Mardi 27 août 2019 — Cinquétral
(« 27 septembre » moins un mois)
De zéro heure au petit matin, je dors mal. Un rêve désagréable concernant mon ancien travail de correcteur, dans lequel j’errais dans un bâtiment des années 1970 qui aurait très mal vieilli en quête de quelque chose à vérifier (mon emploi du temps ? les collègues avec lesquels j’allais travailler ?) en compagnie d’un personnage féminin qui aurait été un mélange de mes deux filles et entouré de différentes personnes de la hiérarchie qui se livraient à des expériences de sécurité ridicules (test d’extincteur-douche).
Réveil à six heures tapantes. Toutes les parties de mon squelette et toutes mes articulations douloureuses, ankylosées. Même les petits mouvements me font mal… alors, que dire des changements de position ! Mes essais de ré-endormissements, vains, me conduisent à me lever un peu avant sept heures.
Après avoir vérifié qu’il ne restait plus de café, j’en prépare une pleine cafetière. Une gentille petite caresse à la minette, venue la demander dès qu’elle a entendu que je mettais le pied par terre. Un peu vaseux, je prends mes médicaments en attendant que le café ait coulé. Une fois mon ordinateur rebranché, je choisis de prolonger l’écoute de la musique commencée hier soir (variété française 1970-1990, Voulzy, Sanson, Johnny). À faible niveau pour ne pas réveiller B.
Je pars à la recherche de messages dans mes boîtes de réception ; sur la page Facebook du Tiers-Livre ; sur le blog WordPress et j’attends, impatient, le post de la vidéo de François Bon qui va nous annoncer la proposition #08 de l’atelier d’été « Pousser la langue ». Je bois un peu de café et m’assure de le maintenir chaud en relançant la machine.
À sept heures trente-trois, la vidéo est postée. Je mets la musique en pause et je regarde. Il s’agit de l’appel de Gorki (1935) à l’« internationale » des écrivains consistant à décrire par le menu leur journée du 27 septembre. Christa Wolf, suite à une relance de l’hebdomadaire Izvestia (1960), s’engage dans l’exercice et s’y tiendra tous les ans à la même date jusqu’en 2000, puis de 2001 jusqu’à sa mort. Deux livres : Un jour dans l’année et Mon Nouveau Siècle. François Bon nous propose d’écrire quelques « 27 septembre » de notre vie, de les garder en réserve et de tous les poster simultanément sur le blog WordPress… le 27 septembre 2019, avec l’intention d’en faire un livre.
Très inquiété par la consigne, car je n’ai aucun souvenir de 27 septembre, cette date n’évoquant strictement rien, je reprends l’écoute de mes rengaines de variétés en me demandant bien comment réussir à me rappeler un quelconque de mes « 27 septembre ». Tricher ? « Antidater » quelques événements marquants du passé, quelques journées que je pourrais décrire « par le menu » ? Impossible de faire comme pour la proposition précédente, inventer de façon précise à partir de bribes de souvenirs une maison perdue. Il faut que je me tienne au plus proche de la proposition. L’exercice consiste, à mon sens, à décrire en temps réel un vrai jour. Pas d’idée. Et nous sommes le 27 août.
Au plus vite : des renseignements sur Christa Wolf et, plus particulièrement, sur Un jour dans l’année. Je fouine sur Amazon. Trop cher pour moi. Et puis je n’arrive toujours pas à trouver le moyen de m’approcher de la consigne. Même si je lisais le livre d’un bout à l’autre. Je cherche dans les ressources que François Bon met à notre disposition : rien. Sur la page Facebook, je demande des extraits en ligne. Me tourner vers Duras et son Été 80. Je lis les coupures : merveilleuse idée de toujours commencer par le temps qu’il fait chaque jour ! Mais ça ne me suffira pas. Il faut que je trouve de la documentation sur Internet. Un article déniché sur Remue.net. Je l’imprime et je le lis. Un autre article sur un blog. Idem. Je l’imprime et le lis.
À ce moment-là, me vient une idée d’approche : nous sommes le 27 août, autrement dit à un mois pile du 27 septembre. J’imagine aller d’un point à l’autre en décrivant chacune de mes journées par petits intervalles de temps. Oui, une approche du 27 septembre… par « petits » pas.
Il est environ neuf heures et quart. Je ne mesure pas encore la difficulté ni, surtout, la lourdeur de la tâche : trente fois la description exhaustive d’une journée… alors que, de plus, elles se ressemblent toutes ces temps-ci. Comme s’il était besoin d’en rajouter, me vient brutalement la conviction tremblotante qu’il va falloir que j’achète trente fois un quotidien national et un quotidien local afin de nourrir mes écrits. J’ai bien peur, toutefois, qu’à cette période de fin de vacances, il n’y ait que très peu de matière intéressante à piocher dans la presse. Et puis ça va me coûter plus cher que le livre de Christa Wolf !
B. est levée depuis un bon moment. Je vais lui demander d’aller acheter les journaux, car je ne peux pas conduire. Elle est d’accord et va se préparer. Elle part vers dix heures quinze et revient vers onze heures trente avec Le Monde et le quotidien local, Le Progrès. Pendant ce temps, après m’être lavé, je poursuis mes investigations, mais ne trouve que des éléments épars qui ne me sont pas utiles. Les chansons continuent de défiler au cours des heures qui passent.
Au retour de B., je commence avec douleur la lecture des journaux : exercice infiniment laborieux pour moi qui n’ai plus fait ça depuis des années. Mon espace de travail n’est pas adapté à ce type de format et il m’est impossible de prendre des notes en même temps que je lis. L’épluchage intégral me prend deux heures. (Je ne prends pas de repas de midi, mais je fais une courte pause.)
Je relève deux articles parfaitement dénués d’intérêt qui pourront me servir dans ma rédaction. Le premier est un papier statistique qui décrit le meurtre par étranglement d’une femme d’une trentaine d’années dans le Pas-de-Calais par son mari qui s’est tranché les veines dans la foulée. L’entrefilet indique que le nombre de « féminicides » est en augmentation par rapport au nombre de l’an passé à la même époque. Je suis intrigué par le terme « féminicide » et je n’en vois pas l’utilité : un peu comme si le fait divers était mentionné juste pour mettre ce mot en valeur. Machisme, quand tu me tiens !
Le deuxième papier parle des célébrations de la libération de Paris et des grandes villes il y a soixante-quinze ans. Calcul de tête : 27 août 1944. En réalité, la date officielle, m’apprend le journal, est le 25 août. Totalement incompréhensible que les journaux en parlent avec deux jours de retard ! Je prends ça comme une médiocrité journalistique. De toute façon, je me soucie comme d’une guigne de ces commémorations. Le reste de ma lecture me laisse un puissant relent d’écœurement : longs papiers de propagande avec, par exemple, photos de Macron et Trump se serrant la main virilement au G7 de Biarritz ; un flic pour deux habitants autour de la ville du Pays basque, contestation muselée ; vaches heurtées par un TGV, agriculteurs sous le choc… et j’en passe.
L’écriture du premier jet (au stylo-plume sur un bloc-note) de ce texte a commencé à quatorze heures et fini aux alentours de seize heures quinze. Deux grosses heures d’écriture à la main pour seulement commencer à dire si peu de chose. Sentiment désespéré qui me noue la gorge. Mon intention d’écrire tous les jours jusqu’au 27 septembre est totalement incongrue. Il va falloir singulièrement réduire mon ambition. D’autant plus que, depuis le début de l’atelier d’été, je ne produis que des textes assez courts pour, entre autres, ne pas ennuyer les autres participants. Un nouveau calcul s’impose, tout en gardant l’idée d’une « approche du 27 septembre » par bonds successifs, mais en limitant à quelques journées consacrées à cette proposition #08. En effet, d’ici au 27 septembre, quatre autres propositions vont être faites et il faudra trouver du temps pour elles aussi. À ce stade d’écriture, je laisse stylo et papier et passe au rewriting sur traitement de texte.
Il est dix-neuf heures passées et je viens de saisir sur traitement de texte le premier jet manuscrit en le modifiant et en l’allongeant. La journée du 27 août 2019 n’est cependant pas encore finie. Après la variété française, j’ai écouté (en lisant journaux et documents et en écrivant ce texte) du krautrock (Faust, Harmonia, Neu !).
Je fais une pause ensommeillée d’une bonne demi-heure puis vais manger du radis noir, une poêlée de céréales et de légumes, du fromage et du raisin que B. a préparés pour nous. Je décide qu’on ne regardera pas de film comme nous le faisons régulièrement en mangeant, ce qui retarderait mon écriture de cette journée et je suis fatigué. Repas très silencieux. Tendu. Plaintes à propos de la voisine. Je prends mes médicaments.
Il se confirme donc, vu le peu de choses que j’ai racontées, que j’écris très lentement, bien que j’arrive à suivre le déroulement d’une journée avec seulement un décalage dû à l’acte même d’écriture. La fin de la journée est saisie directement sur l’ordinateur. Je relis les deux documents trouvés ce matin sur Christa Wolf et vais me coucher. Il faudra que je lise ses livres (voir s’ils sont à la médiathèque). Il est vingt et une heures quinze. Je tente de lire un fascicule de poésie, mais sombre en moins d’une demi-heure dans un sommeil lourd. Oui, en ce 27 août 2019, je suis vraiment fatigué et peu motivé par les activités.
Mercredi 11 septembre 2019 — Cinquétral
(« 27 septembre » moins une quinzaine)
Depuis minuit, je dors d’un sommeil profond. Un rêve de culpabilité me réveille à quatre heures du matin. Je ne tarde pas trop à me rendormir. Depuis quelques nuits, je suis moins ankylosé et mes courbatures de tout le corps se sont bien atténuées. Hier, j’ai mis mon téléphone portable à sonner, ce que je fais très rarement depuis que je suis en arrêt de travail. C’est lui qui me re-réveille à six heures trente-trois.
Ce matin, je suis à peine plus en forme que d’habitude. Je me lève lentement. Vérification à la cuisine qu’il reste suffisamment de café dans le thermos. Pas besoin d’en refaire tout de suite. Je traîne. Il fait encore nuit. Et puis je prépare mes vêtements et file sous la douche. Fin de la toilette à sept heures vingt. B. s’est levée, je n’ai pas eu besoin de la réveiller. Je prends mon café. J’attends la levée de l’aube finissant mon réveil dans la pénombre. Je prends mes médicaments.
Ce matin, B. et moi avons rendez-vous à huit heures trente chez notre dentiste pour une visite de contrôle et un détartrage. Ça tombe bien car mon appareil du bas me fait mal quand je mâche. Je lui signalerai et espère qu’elle pourra m’arranger ça. Le cabinet dentaire se trouve dans la petite ville à trente minutes de la maison. Nous partons en avance. J’ai une sainte horreur d’arriver en retard. Bien nous en prend : l’accès est coupé par des travaux barrant la rue. Après avoir pris une déviation par les petites venelles étroites, nous trouvons une place sur le parking du supermarché situé pas trop loin. Les travaux sont impressionnants : une gosse pelleteuse travaille, en léger et inquiétant porte-à-faux sur un énorme tas de gravats, à la démolition de tout un pâté de vieilles bâtisses. À huit heures vingt-six, nous voilà dans la salle d’attente. La visite se passe bien. Je me sens mieux qu’en arrivant.
Ce matin, il fait froid. Le ciel est blanc-gris, avec un voile de nuages plats. Quelques trouées de bleu. Les abords de la route et les champs sont recouverts de gelée blanche. Phénomène relativement rare pour la saison, qui dure déjà depuis plusieurs levées du jour. Notre amie maraîchère nous a dit hier soir, à l’AMAP, qu’elle était, décidément, bien embêtée cette année pour ses plantations et pour ses récoltes avec la météo (pluies, canicules, orages, vents, gelées précoces…). Ça commence à faire beaucoup d’ennuis, ces micro-dérèglements, résultante à petite échelle du grand bouleversement climatique.
En sortant de chez le dentiste, nous allons à pied acheter les journaux : Le Monde, Le Progrès, La Voix du Jura. Le passage chez le buraliste ravive mon manque de tabac et attise mon envie de refumer. Mais je ne cède pas. Bientôt deux ans d’arrêt qu’il serait idiot de casser. Résister est, toutefois, ces temps-ci, particulièrement difficile. Sur la route du retour, nous faisons le plein de diesel. Son prix est très élevé (1,53 €), surtout que, par facilité et pour ne pas faire de détour, nous nous sommes approvisionnés dans un village et pas dans un supermarché.
Revenu à la maison, je rallume mon ordinateur, fouille en vain mes boîtes de réception, mets de la musique. J’écoute la suite de la playlist Hendrix que j’avais commencée hier soir. Par la fenêtre de mon bureau, je vois une équipe de trois couvreurs, arrivés avec un camion-grue plein de chevrons. Ils sont en train de décharger le matériel pour refaire le toit de la maison d’en face. J’ai à peine le temps de passer en revue superficielle mes journaux que l’échafaudage en alu est déjà monté. Leur rapidité me surprend. Je n’ai pas regardé l’heure, mais, soit ils sont très expérimentés et véloces, soit j’ai passé plus de temps que ressenti sur mon feuilletage. Il est dix heures quinze.
Il est midi vingt et j’ai fini d’éplucher mes deux quotidiens plus en détail, tout en ayant changé de playlist musicale (la trilogie berlinoise de Bowie). Je retiens un premier papier à propos de l’urgence d’agir et de changer le regard global de la société sur les maladies mentales. Je me sens tout à fait concerné par le sujet. La deuxième source d’intérêt regarde le traitement qui est fait, dix-huit ans après, aux attentats du 11 septembre 2001. Je trouve un article du Monde sur une série de podcasts consacrés aux théories du complot par France Culture et destinés aux jeunes générations, nourries de YouTube. Je vais écouter ces podcasts, qui feront sans doute beaucoup de bien — ma position, malgré mon refus affiché, n’étant pas toujours très saine — à la mise au clair de mon opinion. Pour continuer sur le 11 septembre, j’aurais bien aimé avoir le livre de Christa Wolf et pouvoir lire son « 27 septembre 2001 ». Je trouve un autre papier dans Le Progrès au sujet d’Al-Qaida. Pour le journaliste, la menace est toujours d’actualité et précise. Il fait un amalgame qui ne dit pas son nom avec toutes les autres principales organisations islamistes et je ne juge pas cet argumentaire très sérieux. Sinon, par rapport à ma lecture de la presse du 27 août dernier, je suis un peu réconforté : les journaux ont nettement plus de choses intéressantes à raconter.
Par exemple, ce 11 septembre 2019, c’est la date de sortie du film Jeanne, de Bruno Dumont. Les critiques sont dithyrambiques et je suis impatient de le voir, comme suite de Jeannette, qui est à mon sens un des plus beaux films de ces dernières années en France. Bruno Dumont dit que « [le personnage] démontre les possibilités de la grâce dans la nature humaine » et que « la Jeanne de Péguy est avant tout une révoltée et fait ainsi le pont entre mystique et politique ; mais le plus beau, c’est qu’elle reste humaine ». Cette manière dont ressort Charles Péguy depuis quelque temps m’enchante, car elle rejoint la base de mon travail, qui cherche à associer le transcendantal « baroque » et l’insurrection « œuvrière ».
Comme à mon habitude, je commence à écrire ce texte à la main, puis je fais une pause. Il est treize heures quarante-cinq. Avant que je passe à la saisie et à la réécriture de mon premier jet sur traitement de texte, B. et une de nos voisines m’invitent à faire un tour du « parcours sportif » dans le bois qui entoure le village. Je prends mon bâton de marche et leur emboîte le pas. Ce chemin fait une boucle assez large et est parsemé de plates-formes et d’agrès aujourd’hui en ruines, destinés à l’origine à faire des mouvements de gymnastique ludique tout au long de la marche. Ces installations surannées rajoutent un charme à la balade, qui dure environ deux heures.
Il est seize heures quinze quand B. et moi repassons le seuil de notre maison. Nous décidons de boire un tchaï pour nous poser un peu. Je vais pouvoir attaquer la transcription de mon « manuscrit » sous Word. Je relance la musique, interrompue par ma sortie inattendue. Comme je tape sur le clavier comme un gendarme, avec deux doigts, et que je transforme la plupart des phrases, ça me prend encore deux bonnes heures. Une pause avant de manger. Il est dix-huit heures trente.
Nous préparons un filet mignon avec des carottes blondes et des haricots pourpre. Quarante minutes à feu doux. Nous mangeons devant un film, American Psycho, que nous interrompons à la moitié car il ne nous intéresse pas le moins du monde. Comme nous avons très bien mangé, je commence à être fatigué. Nous décidons, B. et moi, d’aller nous coucher. Après avoir pris mes médicaments, je lis au lit pendant vingt minutes et m’endors jusqu’à minuit d’un sommeil profond.
Jeudi 26 septembre 2019 — Cinquétral
(« 27 septembre » moins un jour)
De minuit à cinq heures, je dors d’un sommeil lourd et ankylosé. Un rêve à connotations familiales me réveille. Je réussis sans trop de mal à me rendormir, mais pour trois petits quarts d’heure seulement. Ce qui me donne quand même une autre occasion de rêve, là encore familial, désagréable, maussade et violent. Des petits câlins à notre minouche, descendue me dire bonjour. Libations matinales. Préparation du café. Un plein thermos pour que B. le trouve très chaud quand elle se lèvera tout à l’heure. Je file dans mon bureau et commence à saisir cette journée. Directement sur l’ordi, cette fois. Je bois mon café et prends mes médicaments. La playlist « Zappa in New York 1977 », interrompue hier soir, est relancée. C’est un remaster et j’ai une super image stéréo.
Nuit noire. Il pleut. Assez fort. Air frais. Temps d’équinoxe. À ma fenêtre, penché sur l’appui, je constate que les couvreurs ont quasiment fini leur chantier, qu’ils avaient commencé vers le 10 septembre. Ils auront eu de fortes chaleurs presque tout le temps des travaux, à l’exception de quelques averses ces derniers jours, pas assez longues pour interrompre le labeur. Oui, temps d’équinoxe. Ce n’est pas pour me réjouir. Depuis le 21, les nuits gagnent résolument sur les jours. Moi qui, plus je vieillis, ai tant besoin de lumière. J’ai, chaque année davantage, envie de sauter directement au 15 janvier prochain ! L’aube point à peine. Fort embrumée. Il est sept heures et quart. Le temps traîne en longueur… il est huit heures moins cinq… les couvreurs arrivent… sous la pluie… pour faire leurs finitions. (Je ne pourrai jamais refaire ce travail que j’ai pratiqué de 1983 à 1992.) Quel courage ils ont !
Ça va faire une heure que je tourne en rond dans ma tête pour savoir comment dire que cette proposition d’écriture me dérange. Cette date du 27 septembre ne m’a jamais rien dit. Elle flotte, pour moi rattachée à rien de spécial dont je me souvienne. Mes carnets et agendas sont enfouis à droite à gauche, introuvables. Rien à inventer de ce côté-là. Je ne sais pas ce qui a motivé le vieux Gorki à choisir particulièrement ce jour dans l’année, sinon, précisément parce qu’il ne s’y passe jamais rien pour personne ! Je comprends bien le paradoxe littéraire que « ce qu’on n’a pas vécu, dont on ne se souvient plus, on peut l’écrire »… mais je me sens incapable de créer des événements et, surtout, des journées complètes du passé de toute pièce, avec leur part majoritaire d’intime peu signifiant. Comment retranscrire l’état et les gestes intimes et quotidiens (qui diraient tant de chose de l’époque) de n’importe quel 27 septembre ? Sachant que, pour ma conscience, je me refuse à choisir des jours dont je me souviens le plus précisément (il y en a vraiment très peu, d’ailleurs) et les translater sur un 27 septembre fictif. La solution de traverse que j’ai choisie m’a parue la plus honnête avec moi-même, et la plus proche du travail de Christa Wolf : sur un mois, depuis le 27 août 2019, jour de la proposition, avancer par trois sauts en racontant effectivement en direct des journées, et, ainsi, donner une coupe de temps dans l’année qui tende vers le 27 septembre 2019 en ne le touchant que tangentiellement le 26 septembre à minuit. Ça me gêne de ne pas être dans la consigne… mais je continue quoi qu’il en soit. C’est trop tard, maintenant, pour revenir à autre chose !
Long épluchage des journaux. Rien qui me donne envie d’être relevé de la marche du monde qui, semble-t-il, va, selon toute vraisemblance, à sa perte. Je mange un bol de céréales. Je m’endors sur mon clavier. Sieste.
Mon « petit somme réparateur » a duré quatre heures, ce qui m’a conduit à dix-huit heures. Tiens, c’est à ce moment que tombe la newsletter de France Culture, je vais aller voir. Boum. Jacques Chirac a cassé sa gitane ! En voilà de la nouvelle ! Et au réveil, avec ça… Moi qui gémissait sur la perdition du monde… Et dire qu’on en arriverait (en se forçant quand même beaucoup) à regretter les temps bénis des mensonges, veuleries, truandages, vols, insultes, corruptions tout azimut, impunité et j’en passe ; quand on voit celui qui se prétend Jupiter et qui prétend nous gouverner à l’heure actuelle. Enfin, bref, je vais pas en faire une tartine. Moi, cet événement me sert de gong salvateur pour mon texte maigrichon. Mais, entre nous, not’ bon maître aurait été mieux avisé de passer l’arme à gauche (enfin, façon de parler) le 27 septembre carrément. Ce qui aurait donné du grain à moudre à l’internationale des écrivains qui marchent encore dans les pas de Gorki et de Christa Wolf, et qui décrivent réellement et régulièrement leur jour dans l’année tous les 27 septembre.
Comme quoi, je peux m’estimer heureux. Et ça ne m’a pas empêché de manger une délicieuse salade de tomates au piment et au basilic ; une poêlée de légumes, un bout de fromage et une grappe de raisin. Tout en discutant avec B. pendant un long moment avant de reprendre mon clavier.
Il est vingt deux heures vingts. Je vais cesser d’écrire pour aujourd’hui. Je m’apprête à programmer la publication… opération qui m’a l’air compliquée sur WordPress, si j’en crois mes camarades d’atelier. Encore un petit tour sur Facebook pour voir où en est le dernier défi proposé par Annick Brabant : écrire le dernier 27 septembre ce soir avant minuit. Pour moi, ça s’arrêtera là. Vivement demain pour voir le flux de textes généré !
tu dors ? tu vois que le 27 septembre n’est pas si inutile…
si je te dis que j’adore, tu vas me répondre merci, alors non non je ne le dis pas le 27 septembre que j’adore l’approche tangententielle du 27 septembre, que j’ai fait quant à moi ces translations de 4 faux 27 septembre trop scolaires sans doute mais qui ne perdent rien pour attendre et que la lecture des journeaux à ta manière dégingandée va me manquer (puisqu’elle a déjà eu lieu), je ne le dis pas que c’est un bon texte, je dis dors bien et à aujourd’hui
Je ne te dis pas merci, donc… mais le cœur y est !
Je me suis réveillé vers 4 h 45 ce matin avec l’envie taraudante de lire les textes de tout le monde. Ça a très bien marché, le processus de François Bon !
moi comme je suis naïve me suis dit que nous aurions vraiment le détail de Tous les jours depuis ce 27 août assez riche finalement
Heureusement que je vous ai épargné ce pensum !
Merci Fil pour ce pas à pas vers le 27 septembre ! C’est comme un journal mi subjectif-mi collectif, un journal un peu pour tous de ce 27 septembre qui désormais nous dira quelque chose ! Comme quoi, éplucher les journaux … à n’y rien trouver c’est vous qui l’écrivez ! Merci encore !
Merci à vous, Déneb, d’avoir tout lu. Sûr que, maintenant, je me souviendrai du 27 septembre !
Quel beau texte kaléidoscopique ! Ne pas pouvoir ni vouloir retrouver des 27 septembres mais arriver par un chemin détourné, avec une abondance de détails, à tout de même répondre à la question, bravo !
Merci, Huguette ! Je voulais m’approcher de la forme journal, sans avoir l’ombre de l’envergure de Christa Wolf…
A lire votre texte, j’ai cette image qui s’incruste : celle d’une horloge comtoise qui égrène le temps de son balancier. Des allers et retours entre le dehors et le dedans jusqu’à ce 27 septembre qui ne sera pas écrit mais préparé ligne après ligne avant la bascule, ou le prochain balancement. Merci pour ce texte offert !
Belle image que celle de l’horloge comtoise. Merci pour votre lecture bienveillante !
Ces textes n’ont pas été faciles ni particulièrement agréables à écrire. Je n’en apprécie que davantage votre commentaire.