Trente deux lattes fines, en bois clair, perforées industriellement, selon le modèle consacré, s’amenuisent sans décor, jusqu’à ce tout petit trou, jusqu’à la très fine barre, jusqu’à leur maintien. En attente du poignet, du mouvement sec, de leur déploiement, de l’éclosion de ce qu’un importateur grossiste nomme ventilateur manuel.
Un mouvement un peu trop vif a désolidarisé la première latte celle qui, l’orsqu’il est replié, lui tient lieu de couverture et l’objet rejoint presque son modèle, le vieux, au bois légèrement mordoré et odorant, aux motifs plus fournis, raffinés, même s’ils sont pesque aussi stéréotypés, et dont les lattes très fines et fragiles présentent des manques.
Trente deux lattes que l’on déploie d’un mouvement de poignet soit un éventail, avec le souvenir de ses trésors décrépis, plumes, soie… fragments d’élégances très anciennes qui me faisaient rêver, et ces quelques branches d’écaille filigranées veuves de leur habillage, brimborions depuis longtemps disparus au point que leur souvenir s’efface, ne revient qu’avec l’évocation d’après midi d’ennui, de lattes de parquet, d’un tapis chinois poussiéreux.
Ces ventilateurs manuels, qu’ils soient de papier illustré, copies ironiques des parures d’antan, ou simple feuille pliée, programme agité, longtemps détestés et fuis, quand, mal maniés, ils éventent moins la personne – à mes yeux en colère forcément grasse et avachie – qu’ils n’envoient des courants d’air non désirés sur leurs voisins.
Trente deux lattes que l’on déploie, avec lesquelles on joue, retrouvailles utiles qui accompagnent la canne mais, malgré leur piètre qualité, y ajoutent un petit sourire, le souvenir de l’enfance, des histoires qu’on se raconte et de l’admiration et l’agacement devant ce modèle critiqué, la grand-mère.
(publié le 28 juillet 2019)
image © Brigitte Célérier – Avignon
Me rappelle d’un éventail en bois de santal, un de rien du tout avec un pompon soyeux, mais il me fascinait avec ses fines découpes et son parfum poudré, merci d’avoir convoqué ce souvenir.
waw ! « quelle affinité avec l’objet », j’ai pensé ! ça le charge de bien belles choses ! merci pour ce texte !
Un objet de circonstance qui va bien à votre écriture…
Un brin de fraîcheur…
oui et qui en faisant sécher l’eau pulvérisée sur visage et poignet remplace la climatisation
grand merci à vous
Je le vois utilisé comme accessoire mutin dans les cabarets
là ce n’était pas aussi mutin 🙂 du temps de ma très bourgeoise grand mère (à ‘époque de l’Ambassade de France au Chili) peut-être faussement davantage)