Il n’y a plus de foule, la foule, c’est le 19ème siècle, la foule au 20ème siècle déjà n’existait plus que dans les représentations, aussi réelle que le cow boy de western, ou contenue, découpée dans un cadre politique et massacrant, pour faire croire qu’elle existe encore, mais il n’y a plus de foule, ni même de géante gazeuse, il y a une nébuleuse, où tout se lie et se dissocie en même temps, où on ne fait plus corps ni avec soi-même ni avec les autres, jamais solide sauf à la mort, un instant, un instant, d’ailleurs est on encore mort, encore en vie, je percute ce gros chien noir qui me barre la route, renifle une poubelle et puis s’en va, je passer sous le regard lourd de cet homme adossé à la barrière face au bistrot, je regard plongé dans la gueule débordante de cette autre poubelle, gueule ouverte figée dans le temps comme une photo où on peut s’amuser à zoomer pour voir les détails éphémères, ceux qu’on a voulu avaler, cacher, dictionnaire des procédés littéraires décrypté sous le papier gras du kebab, quel accident de la vie, quelle urgence, appartement à vider rapidement, dégoût d’une vie a jeté le livre non dans la benne collective, papier ou ordure ménagère, mais dans la poubelle commune, la poubelle de rue, je sur petit camion à roulette éraflé contre la méchanceté amoureuse de l’asphalte, ou souvenir du balcon, septième ciel sécurisé, nu, vague heureuse du vent, rire des jeunes filles au trottoir d’en face, statue des amoureux, l’enfant, sa mère s’éloigne pour le faire avancer, il ne faut que quelques secondes pour mettre en échec la stratégie impératif du monde chronologique parentale, quelques larmes d’enfants pour liquéfier obstinément les illusions du réel, et je croise successivement tous les âges de la vie, patinette et papa ours en peluche dans une main, courses dominicales dans l’autre, fillette à vélo et petit frère, et déjà dans un coin de l’oeil gauche une traversée de route alzheimer préfiguré, l’annonce faite à notre mort, il n’y a pas de foule, il y a des gens qui sortent de l’église comme des pirate des Caraïbes, des gens qui se conforment à la qualité de l’alimentation, des vêtements et des enfants, des gens qui respectent les jours de la semaine, il y a aimable les piquets de grève émoussés qui tentent quelque chose mais ça ne fait pas foule, il y a eu des trois sœurs pas la plus folle des trois qui pestait contre une des voitures embouteillées dans la ruelle, c’était sans doute celle de tête qui tentait une manœuvre à cheval sur le trottoir pour déposer cet homme en fauteuil roulant devant chez lui, cette même voiture qui tout à l’heure agacera la famille désireuse de sortir du parking un dimanche où même on est emmerdé, il n’y a pas de foule, je n’avais pas remarqué tout à l’heure qu’au pied de la poubelle gisait aussi des cases en noire et blanc, des bulles tracées au pinceau, dessins, frères vous aussi de mon exil, je ne navigue pas aussi sûrement que cet homme qui à chaque embranchement croise ma route, de points A en points B, se déleste d’un paquet, sert une main, évite un camion de police, file droit jusqu’à son prochain point de livraison. Il n’y a pas de foule jusqu’à ce que je les déplie.
Assez d’accord avec cette idée que la « foule » appartient au XIXè s, les villes, la foule, Walter Benjamin ou Baudelaire, les flaneurs. Aujourd’hui, il n’y aurait plus que des dispersions, pas d’unisson…
Merci pour ce texte qui donne à penser!
Merci beaucoup pour ta lecture Fabienne. Avec le recul, il y a un véritable enjeu d’écriture autour de cette instabilité contemporaine où tout explose, se décompose, tient par image éphémère. Un rythme à trouver aussi. J’aime vraiment cet atelier qui m’amène doucement vers quelque chose que j’ignore, reste à tenir et aller encore plus loin, beaucoup plus loin. En attendant passage à l’étape 4. (Et rattrapage de la 2 )