Il y a déjà longtemps que j’écris, que je tente d’écrire cette chose qui résiste. Le matin, dans le silence de la maison, j’ouvre mon ordi, je pourrais écrire si… je peux écrire si… écrire mon autobiographie imaginaire… quelques mots… parfois une page… ou plus, à la recherche du temps perdu… et mon regard se perd dans le lointain, le lointain des souvenirs, le lointain des sommets de l’autre côté de la fenêtre.
Pourquoi m’entêter ? Pourquoi ce thème ? Pourquoi hésiter ? Pourquoi m’entêter ?
Pourquoi est-ce si rude ? Si rude de réunir des fragments de vie, de les tresser ensemble pour en faire récit ? Tisser du temps ? Pourquoi penser avoir trouvé pour de bon le titre, et pouvoir le garder jusqu’au moment de boucler cette dite autobiographie imaginaire ? N’oubliez pas de donner à manger au chat ? Un drôle de titre ! Auquel je tiens et pourtant j’en suis agacée ? Il faudra que mes futurs lecteurs, mes proches l’acceptent ? Ils n’apprécieront pas, c’est certain ! On ne joue pas avec le tragique familial. Pourquoi pas ? Je ne veux pas pour l’instant toucher à ce titre. Il me guide dans le présent de l’écriture. Pourquoi diable je ne trouve pas de synonyme à titre, ça m’agace ! Le titre – sans synonyme – je le garde.
N’oubliez pas de donner à manger au chat !
Le problème immédiat, c’est l’obligation de lâcher l’ordi. Mon chat se frotte sur mes jambes, il ronronne, il se fâche : tu as oublié de me donner à manger ce matin, j’ai faim. Je ne veux pas lâcher l’ordi. Je crie : Flo, donne sa pâtée à Tommy… Je pourrais écrire sur lui. Ce serait facile et joyeux : comment il est un jour entré dans la maison, s’est installé dans mon fauteuil d’osier et l’a fait sien, et je l’ai accueilli… Mais dans mon titre, ce n’est pas de ce chat-là qu’il est question, Tommy est du côté de la vie, l’autre dont j’ai oublié le prénom du côté de la mort. Il est difficile d’approcher de la mort, de la regarder, et pourtant l’écrire, c’est ramener l’autre-disparue à la vie.
L’écrire pour partager. Non pas me croyant écrivain, dans le désir d’être reconnue par mes écrits. Mais écrivant, lâchant ce qui est pudeur-pruderie, pour que les mots sur le papier disent, tentent de dire, s’approchent d’une vérité, fassent éclater le silence. Et laissant à mes petits-enfants le possible de s’en approcher à leur manière, et non la mienne, d’une énigme, celle de l’histoire familiale, celle de ma façon de l’aborder, de la raconter, de la raccommoder peut-être.
C’est mon projet, ne pas oublier de donner à manger au chat, passer par le papier pour dire ce que je ne peux dire à voix haute du réel qui m’échappe, le dire à travers la réalité des mots transmis en noir et blanc sur une page.