« Mais lui n’avait pas l’intention de disparaître »
TARKOS
Chapitre 1, où l’on verra comment l’enfant grave et espiègle est devenue poète
Au départ, l’enfant n’était ni grave, ni espiègle. Elle s’est simplement battue sans le savoir pour survivre au sortir prématuré du ventre maternel. Elle est née sans ongles dans une maternité du Sud. Une mère épuisée par trois enfants en bas âge et qui n’avait pu la porter jusqu’aux neuf mois de gestation réglementaires.- Madame, vous avez une fille !!! – Ah ! Très bien, mon mari sera content !!!
Son départ dans la vie fut donc légèrement tronqué un peu comme la mention « passable », de justesse, qu’elle a conservée en mémoire jusqu’à aujourd’hui.
C’est drôle comme les choses se répètent dans une vie et cette sensation de précarité de l’existence lui a collé à la peau qu’elle a fragile et irritable, a l’instar de ses bronches restées hyper réactives aux intrusions atmosphériques. Lui est restée l’impression d’une chance à ne pas perdre qui a dicté son attitude et sa façon particulière de grandir en confiance au milieu d’adultes qui semblaient pourtant très inquiets.
C’est la fratrie qui sauve ? Elle a fini par le croire. La joie enfantine est difficilement domptable. Les adultes craquent devant leurs pitreries qui les consolent parfois de leurs soucis et de toutes leurs fatigues immémoriales. L’enfant est devenue espiègle, puis grave, elle ne situe pas vraiment le moment de l’inversion de survenue. A l’adolescence sans doute, la plupart des récits résiduels en attestent. Longtemps, elle aura évité de les susciter et de les partager. On n’aura pas le temps ici de les mentionner en détails. La lecture et les études mènent à cela, inéluctablement. La vie, par ailleurs, se contente de faire alterner les petites trouvailles d’énergie fulgurantes et les découragements les plus chroniques et banals.
Grandir n’est pas sorcier, même sans forçage. On nous change la taille des vêtements, on nous bassine avec des injonctions de bonne conduite et des avertissements sentencieux. Tout finit par glisser comme l’eau de pluie sur nos plumes de cane moqueuse ou peureuse. Elle est solidaire de tout ce qui imperméabilise contre le pessimisme récurrent.
Tout est écrit dès le départ. Et les mots ne feront que se multiplier dans son cerveau fidèle, pour commenter sa double vie. Celle qu’elle mènera et mène encore, et bien sûr, celle qui restera chevillée au corps intime et au souvenir de la Maison des Mort.e.s. Cela reste parfois très séparé ou brusquement très convergent.
L’écriture est pour elle une barque plate aux parois putrescibles. L’eau qui est en dessous est parfois turbulente, parfois trouble, parfois plus calme et apaisante. Le poème ci-dessous date de 2013. C’est dire si l’enfant espiègle et grave ou grave et espiègle a pris son temps. Le premier poème remonte à ses dix-sept ans, et il parlait de rêve étrange et informe, en très peu de mots. Elle n’a jamais tenu de journal intime, elle craignait l’ambiguïté et l’inanité des mots et davantage encore les indiscrétions. Au fil du temps et des rencontres elle a trouvé sa plume et dégagé des pistes…
Chapitre 2, où l’on trouvera la réponse à la question cruciale, « être poète à quoi ça sert ?»
FEMME EST-CE QUI…
Avoirs de Mémoire Leur dire
Beaucoup plus vieille aurait bien ri comme une treille folle
amplement secouée par vos derniers vendangeurs bègues
Plus ancienne encore aurait bien vrillé toutes vos antennes
déviant fil à fil toute onde torve pour oublier
Nous pensant plus enivrantes dès lors qu’oppressées
Hypothétique égard
Territoires résilles Résignations factices
Serments déconnectés
Peut-être un peu plus tendres les années qui viendraient
L’adulte espiègle et grave a écrit FEMME EST-CE QUI … Printemps 2013 – Livre d’Artiste avec un collage de Max PARTEZANA en 6 exemplaires
Chapitre 3, où l’on verra que la vie de poète est semée d’embûches et pas de tout repos
La poésie n’est pas un métier. Elle est une gestuelle verbale soluble à 100 % dans la vie. Bernard Noël qui refusait l’appellation de poète, ne cessait pas de répéter qu’elle était comme l’écriture « un don de temps ». Mais pour gagner sa vie, il a écrit entre autres choses, des notes de Dictionnaire, celui de la Commune est très particulier. Sa poésie ne l’a pas fait prospérer matériellement, et il a passé son temps à enrichir la pensée d’autrui par la sienne subversive, engagée et rieuse. Charles Juliet, au visage si longtemps mélancolique, a dit que le poème était un rapt, un surgissement, les siens sont concis, lapidaires, sans sous-entendu… comme raclés au fond d’une marmite de mémoire trop lacunaire. Contrairement à Bernard Noël qui se plaignait presque que ses mots coulent trop vite et fort, l’écriture de Charles Juliet a été laborieuse, sarclée jusqu’à l’obsession, il a même fantasmé un jour, ne vouloir écrire qu’un seul poème dont la densité aurait celle d’un socle minéral (indestructible ?). A moins de l’utiliser comme une balise de repérage sur une carte géographique mentale, où plusieurs chemins d’écriture sont disponibles à portée de vue et de voix, être poète n’a aucun sens pour l’ancienne enfant espiègle et grave qui vous parle. Il lui importe seulement d’utiliser la forme poétique comme outil d’expression à usage courant et partageable par convention ou dissidence par rapport au langage courant. Un jeu de sens et de couleurs chatoyantes, une concrétisation d’instants vécus et transformés, parfaitement biodégradables.
Elle sait qu’il’est difficile de réussir à dégager un poème de la gangue de confusion qui la précède ou la reconstitue après-coup. Il est étonnant d’entendre qu’un poème ne s’explique pas, qu’il ne faut pas chercher à le décortiquer,seuls les universitaires férus de classificaiton s’y aventurent. Il convient donc d’accueillir sans chercher à en savoir plus, et surtout pas d’où il tient ses origines. Poème comme chèque en blanc. Poème imputrescible ? Bien sûr, la narratrice n’y croit pas une seconde. Pour elle, Ecrire (poème ou pas) c’est à chaque fois tenter de « bondir hors du rang des assassins », suggestion Kafkaïenne qu’elle trouve plus juste et nécessaire, même si elle est audacieuse et pétrie de préjugés. La poésie est source d’humilité car elle prolonge l’inachevé et l’imperfection.
Chapitre 4, où l’on verra l’enfant espiègle et grave se tirer de deux mauvais pas
Elle a depuis longtemps renoncé à la maîtrise de son destin. Les mauvais pas sont inévitables, surtout lorsqu’on marche de traviole depuis le début.
Une encéphalite fiévreuse à l’âge d’un an, aura été avec la semi-catastrophe de sa naissance le deuxième faux pas que la vie lui a fourni sans notice d’emploi. Elle ne doit sa vie sauve qu’à la bienveillance, et à la réactivité de son entourage, et le plaisir, non sans malice, d’en parler très à distance. Elle a été une petite fille entravée des jambes par des coquilles de plâtre, puis porteuse d’un appareil orthopédique disgracieux à l’école primaire… Elle a subi des soins dont le souvenir n’est plus qu’onirique et vraisemblablement transformé. Les faux pas historiques sont suffisamment précis et datés pour qu’elle les considère comme des preuves d’une certaine résilience dont elle partage le mérite avec les personnages de sa vie passée. L’expression « revenir de loin » est pour elle un tonneau des Danaïdes pour nourrir son imagination et sa compréhension des événements personnels, familiaux et généraux qu’elle explore encore, par goût du savoir, et du savoir être.
Chapitre 5, l’enfant grave – espiègle et la difficile question du réel
Quand on sait un peu d’où l’on vient et qu’on a pris le temps d’analyser à chaud comme à froid les tenants et aboutissants de sa propre existence, on considère les autres humains avec une propension à l’empathie et à la gratitude.
Cette hypersensibilité aux signes de fragilité physique ou psychique rend à la fois vulnérable et aguerri.e. Poncif relatif mais qui n’est pas dénué d’intérêt pour l’enfant grave-espiègle qui a appris graduellement à dépasser ses peurs et ses empêchements conjoncturels. La difficile question du réel, n’en est pas une, elle est plurielle..
On se cogne au réel et on en fait une réalité subjective. On se représente soi-même en situation, c’est plus ou moins lucide et documenté. On sort de soi pour aller chercher de l’aide ou un soutien et on rend la pareille lorsque c’est possible.
Comme dans le livre de Milène Tournier « Se coltiner grandir » est une tâche universelle. S’y atteler consciemment et en relater les étapes peut occuper l’esprit pas mal de temps. Mais on dit aussi qu’il ne faut pas se prendre tout le temps la tête, ni celles d’autres. Les temps d’aujourd’hui portent à la quête du vide-grenier, de l’allégement par des techniques ancestrales ou édulcorées…
Face à la « gestion » du réel est préconisée « la méditation « le sport pourvoyeur d’endorphines.
Face à l’état désastreux de la planète, plantes, bêtes et gens, le détachement à tout prix et la déculpabilisation font florès.
Grandir c’est choisir. C’est renoncer, c’est oublier, c’est expérimenter le risque, c’est dépasser le conflit intérieur et extérieur, c’est se dépasser soi au poteau et se retourner pour voir qui on a été, qui on est , vers quoi ou qui on se tourne pour avancer.
C’est quand le réel se grippe qu’on s’agrippe aux solutions miracles, aux conseils de plus en plus commerciaux.
Le réel aujourd’hui c’est cette entreprise généralisée d’influence que le Web, qui remplace les religions et les dictatures, du moins qui cherche à s’en affranchir individuellement.
Mais l’instinct grégaire est le plus fort, le plus instrumentalisé aussi. Le réel c’est la publicité qui rentre par toutes les pores de nos maisons et de nos corps. Le réel est sponsorisé, le réel est médiatisé, le réel est rentable, il doit être exploité comme le charbon, le pétrole ou le gaz. La santé a un prix de plus en plus élevé et des distributeurs discount, des mutuelles « adaptées à vos budgets » …
Le réel est vivant et attractif et il constitue un patrimoine à investir pour soi, pour sa descendance, pour une cause Kiss Kiss Bank. Le réel est restrictif. Le réel est addictif. Le réel est chronophage. Le réel est roublard. Le réel est malhonnête. Le réel est pitoyable. Le réel est effrayant. Le réel n’est pas éternel.
On fuit le réel et lui nous abandonne sans sommation.
Le réel est un voyou, un voyeur, une source de dévoiements. Le réel n’est ni fiable ni solvable. Le réel tue. Le réel nous jauge et nous juge. Le réel s’en fout. Il n’est que le réel qui défile, nous au milieu. Le réel nous klaxonne. Il veut passer…
Après avoir exploré l’Inconscient avec la psychanalyse, retour au réel et à la prospection dans « la pleine conscience ».
Vider et remplir le réel comme un poumon pour l’oxygéner et le décontaminer. Positiver le vécu. Evacuer le stress. Pulvériser le traumatisme en particules recyclables.
Le deuil comme l’amour ont désormais une date de péremption. Le dépassement des doses peut produire des effets indésirables telle que la dépendance pathologique, toujours trop coûteuse socialement.
Le réel a un versant économique. Il est fluctuant.
L’enfant grave et redevenue espiègle a décidé de collectionner des noyaux d’abricot et des bouchons de lait en plastique (qui vont devenir collector). L’idée serait de planter des arbres comme l’homme évoqué par Jean GIONO et de thésauriser des godets à remplir avec de la gouache acrylique multicolore.
Ainsi, lorsque le réel se fera plus lourd, elle pourra regarder grandir les arbres et repeindre sur les murs les couleurs défraichies ou effacées du réel, en totale souvenance ou altérée.
Le réel de la mort viendra et il sera peut-être trop vieux. S’il vient précocément lui aussi, d’autres planteront des arbres et repeindront les murs.
Le réel recrute n’importe qui. Le réel est un dieu inconséquent.
je vais essayer d’oublier combien précisément vous y répondez si je reprends ce que j’avais ébauché — mais difficile de me prendre au sérieux, trouver le biais — je n’ai pas votre profondeur (juste une remarque, je penche pour #7)
Merci pour votre lecture et votre remarque . Je n’avais pas vue ma bévue (Je suis moins chiffres que lettres et je me perds dans tous ces décomptes …Merci !). Je n’ai jamais lu Tarkos et je ne crois pas accrocher vraiment à son style. Mais les questions qu’il se pose me semblent universelles. Profondeur ou pas, on peut laisser couler l’encre et la sculpter pour dire ici et momentanément ,quelque chose d’inédit. L’important c’est le surgissement et ce qu’on peut en faire en peu de temps. S’il fallait en faire quelque chose de plus consistant. Il serait impossible de suivre toutes ces propositions. Ce sont des gammes. Moi non plus je ne me prends pas trop au sérieux. Le contraire serait dangereux pour naviguer en société. C’est un partage à la bonne franquette. Alors allez-y et ne vous comparez pas. On est toutes et tous dépositaires de plein de mots et d’expérience. Ecrire, c’est comme ramasser des fleurs et des herbes odorantes dans un champ donné, il faut juste les mettre ensemble et les faire tremper un moment dans un vase. Il me semble que vous savez faire !
J’ai beaucoup aimé ce texte qui répond à la consigne d’une manière à laquelle je n’avais pas pensé. Je regrette de ne pas avoir pu être présente à la réunion de samedi, mais j’ai énormément apprécié votre manuscrit surtout par le biais que vous avez choisi de traiter le sujet en question : une machine destinée à guérir la maladie quitte à tuer le malade. Merci pour ces deux beaux textes !
Merci pour votre retour. Il y a encore beaucoup de choses à mettre d’aplomb et à développer pour que certains de mes textes parviennent à devenir un ou plusieurs livres, en aurais-je l’énergie et le temps ? En tout cas, les encouragements sont précieux. C’est drôle que vous écriviez : » une machine destinée à guérir la maladie quitte à tuer le malade ». Je ne vais pas si loin… Je pense que c’est surtout la liberté qu’on restreint en psychiatrie et heureusement aujourd’hui; ce n’est pas définitif comme autrefois pour les malades désocialisés par leurs troubles. Mais les traitements évoluent et l’alliance thérapeutique peut être plus transparente. Mon texte bien incomplet remonte le temps, il faut en tenir compte à la lecture. Merci beaucoup Helena.