transversales #6 | je n’aime pas le melon au porto

Depuis que je suis petite je veux devenir écrivain. C’était l’année de mes huit ans. Je m’en souviens plus ou moins. Mais cela ne s’est jamais concrétisé. J’étais en colonie de vacances, à Saint-Béat exactement, dans un bois ou une forêt des Pyrénées apparemment. Je m’ennuyais là-bas. Je pleurais ma maman tous les jours et je vomissais beaucoup après les repas. Enfin bref, je n ‘étais pas vraiment dans mon assiette d’autant que les filles, qui s’appelaient Cécile, avaient les cheveux courts et que les garçons, qui s’appelaient Romain, avaient les cheveux mi-longs coupés au bol et blonds. Enfin je crois que c’était à peu près comme ça. Là-bas, à Saint-Béat, j’ai eu huit ans. C’était au moment des vacances de Pâques, et la colonie de vacances était prise en charge par le ministère des finances. Ma mère travaillait aux impôts. Donc, pour mon anniversaire, ma mère m’avait envoyé une petite carte, un petit carnet de pages blanches avec un dessin Sarah Kay en guise de couverture, et un petit stylo. Je ne me souviens pas très bien du stylo ni de la carte postale. Mais je me souviens très bien de ce petit carnet. Je voulais y consigner mes petites pensées et des petites histoires. J’ai dû y mettre le mot papillon et quelques points. Pas de point final, juste des points de suspension. Un peu plus tard, la même année, c’était à Noël, le ministère des finances avait offert des cadeaux aux enfants des employés des centres des impôts. Il y a eu un arbre de Noël avec tous les enfants mais moi je n’y étais pas allée, ce devait être à Chartres et nous habitions Châteaudun. J’ai reçu, en cadeau, une petite machine à écrire bleue. Tout de suite, j’ai adhéré. Je voulais devenir soit secrétaire comme maman, soit écrivain. C’était au choix. Mais je n’avais fait ni Pigier comme ma mère, ni l’école des écrivains comme mon père, enfin c’était tout comme mon père. Non moi j’étais en CE2 et j’avais fait l’école de L’oiseau Lyre. C’était le livre de lecture de CE2. Et je l’ai lu en long, en large et en travers. J’adorais lire. Je lisais tout bas et à voix haute pour mon petit frère qui adorait m’écouter lui conter des histoires. Je me rends compte qu’en fait, en guise d’écrivain, je suis bien devenue la reine des lectrices, ou une petite secrétaire de mon inconscient torturé qui me dicte des mots et des phrases. Je fais des images, des photos et des vidéos. Et je mets toute ma charge émotionnelle sur mon Instagram. Pour ce qui déraille vraiment, j’ai un carnet intime. Mais ça je ne le montrerai jamais. Je n’y mets que ce qui me passe par la tête et ce n’est pas forcément très joli et très poli. Je ne suis ni écrivain, ni poète, je suis juste secrétaire de ma petite âme malade et circonspecte qui ne sait pas d’où lui viennent tous ces mots. Je ne fabule pas, j’invente selon les circonstances. J’invente sur l’instant. Tout ce que j’écris n’est qu’un instantané de ma vie, un succédané de ma cerise qui vit encore malgré ses années. Je ne bois pas de queues de cerise, je mange les cerises par la queue et je m’invente des jeux avec les cieux. C’est le secret d’une vie romancée, d’une vie de petite secrétaire aux airs patibulaires qui a été faite pour déplaire aux passants. Je suis la bande passante d’une vie solitaire, à manger des cerises par la queue. Pourquoi remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même ? Autant faire tout sur l’instant. Avec mon petit carnet, j’ai en réalité fait des piges et je ne pige rien à cette proposition de Georges Perec dont je n’ai pas lu l’extrait. Je ne peux donc pas m’y référer. Je suis peut-être le E du W, qui sait ? Je ne suis peut-être rien d’autre qu’une Élise Island qui glande accrochée à son enfance qui est une île perdue quelque part au pays de Combray. Je ne suis que la petite secrétaire d’un esprit qui chimère et qui se met à espérer dès qu’elle voit la porte d’un livre s’ouvrir. Un livre qui s’ouvre, c’est autant de portes qui n’excluent personne d’un univers. Enfin c’est ce que j’espère. Je pourrais en rester là, en finir avec moi, avec mes velléités d’écriture, mais j’y reste accrochée comme une bouée à la ceinture d’un maître-nageur qui n’a plus peur de ne pas avoir pied dans le grand bassin. Je me jette dans le grand bain avec mes bouées autour de ma taille. Est-ce vraiment utile d’écrire ça ? Non mais qu’est-ce que c’est maladroit ! Je n’ai rien d’autre à mettre que mon smartphone et mon ordinateur en guise de carnet, ce sont mes bouées de secours, mes bouées de sauvetage, et rien n’arrêtera ce flot de paroles qui se déverse partout sur la toile. Je suis diserte, je suis bavarde, et j’emmerde les melons au Porto qui ne passent plus dans le frigo. De toute façon ce n’est pas très bon, il y a beaucoup trop d’alcool dedans. Et de l’alcool, moi, je n’en bois plus. Je préfère écrire et sourire à mon champ d’évasion qui se trouve dans mon jardin, avec les rouges-queues et les merles moqueurs qui ne parlent de rien mais qui font entendre un chant mélodieux. Un sacré beau chant mais ils vont me chaparder toutes mes cerises et ne me laisser que les queues de cerise et même en infusion, ce n’est pas très bon.

A propos de Elise Dellas

Court toujours. Ou presque... La retrouver sur son compte Instagram.

7 commentaires à propos de “transversales #6 | je n’aime pas le melon au porto”

  1. « Je suis la bande passante d’une vie solitaire, à manger des cerises par la queue. Pourquoi remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même ? Autant faire tout sur l’instant. Avec mon petit carnet, j’ai en réalité fait des piges et je ne pige rien à cette proposition de Georges Perec dont je n’ai pas lu l’extrait » « Tout ce que j’écris n’est qu’un instantané de ma vie »: Touchée par ce portrait(auto) buissonnier qui prend aussi les choses bien face (par ici ce sont les pies qui dédaignent les queues de cerises – elles sont terriblement intelligentes )

  2. Adoré du début à la fin ! Nathalie a relevé, à mon tour : « Je ne suis que la petite secrétaire d’un esprit qui chimère et qui se met à espérer dès qu’elle voit la porte d’un livre s’ouvrir. Un livre qui s’ouvre, c’est autant de portes qui n’excluent personne d’un univers. » Et encore : »Je ne suis ni écrivain, ni poète, je suis juste secrétaire de ma petite âme malade et circonspecte qui ne sait pas d’où lui viennent tous ces mots. Je ne fabule pas, j’invente selon les circonstances. J’invente sur l’instant. Tout ce que j’écris n’est qu’un instantané de ma vie, un succédané de ma cerise qui vit encore malgré ses années. Je ne bois pas de queues de cerise, je mange les cerises par la queue et je m’invente des jeux avec les cieux.  » Bref je pourrais copier tout le texte. Et le retour aux melons qui ne passent pas au frigo… Adoré. Merci.