Ce n’est pas moi l’écrivain c’est l’autre que je scrute, un jour nous nous rejoindrons. En attendant j’essaye, j’imite, je me parodie. Chercher là où ça se fabrique.
Choisir une chaise, en paille, pas trop confortable, un bureau, en bois de chêne. Éviter de s’encombrer de trente-six chaises et de trente-six tables. Oublier le grand tableau blanc et les feutres Velleda. Prendre une feuille. Admirer la page blanche. Dissimuler les copies à carreaux à marge rouge. Pousser du coude les piles de livres envahisseurs.
Laisser décanter des siècles d’écriture. Se souvenir qu’Homère était aveugle. Oublier les maîtres. Ça viendra.
S’entourer d’un réel inspirant, d’une belle nature verdoyante, d’un espace de caractère. Refuser l’hiver, l’obscurité, le brouillard et la pluie. Attendre l’éclaboussement du paysage. Se tenir loin du bruit, loin des enfants et des réclamations du réel.
Bouillonner d’impatience. Étouffer l’étincelle. Regretter. Patienter.
Cheminer à l’intérieur de soi-même à défaut de pouvoir être un vrai promeneur, vraiment solitaire, véritablement rêveur. Explorer les possibles. Ne pas juger trop sévèrement. Accepter. Accueillir.
Colorier, classer, trier, numéroter, scinder la page en deux, écrire sur le recto, organiser, ranger, relire, réécrire, mettre au propre, corriger, relire, réécrire jusqu’à ne plus voir.
S’obséder du mot juste de la rigueur de la raison. Ne rien dire qui se regarde trop soi-même, qui fasse beau, qui fasse littérature. Se garder des afféteries de la forme. Effacer toute recherche laborieuse de la langue. Qu’elle se tienne droite, là, toute seule, dans la clarté nuptiale de l’évidence. Simplifier. Épurer.
L’écrivain ce n’est pas moi c’est l’autre que j’examine. Un jour, je le rejoindrai. Un jour, j’aurai des vraies manies, un vrai rituel. Je fermerai les dictionnaires, les grammaires, les manuels, les études de textes, les éditions originales, savantes, bilingues. Je me moquerai des saisons et des lueurs du crépuscule. Je subirai les insomnies du génie créateur, les affres de la graphomanie. J’étincellerai d’inspiration. Je serai envahie par la musique des mots, assaillie par des monades harmoniques. J’entreverrai les mondes possibles, des mondes préférables. Je serai transportée par l’imagination, la reine des facultés. Oui. Un jour. L’écrivain ce sera moi.
J’aime beaucoup ton texte Olivia et je m’y retrouve tellement… 🙂
Mention spéciale pour ce « Attendre l’éclaboussement du paysage »
Vraiment beau. Et bien sûr qu’on s’y retrouve tous. « Qu’elle (la langue) se tienne droite, là, toute seule, dans la clarté nuptiale de l’évidence. » Merci.
Merci pour vos commentaires. C’est le réconfort de cet atelier d’écriture : on n’est pas seul !
C’est tellement ça que me m’y retrouve aussi ! Merci Olivia !
« se souvenir qu’Homère était aveugle… loin des réclamations du réel… un jour ce sera moi » Touchée vraiment
Il est bien beau le dernier paragraphe mais un peu triste aussi.
Peut-être vaut-il mieux en rester à s’entourer d’un réel inspirant et bouillonner d’impatience. Ou, au moins, en profiter à fond.
Pourquoi fuir l’hiver et rechercher l’inconfort de la chaise en paille ? c’est fascinant toutes ces modalités d’écriture des autres.