Une femme. À quoi s’apprête-t-elle l’épée à la main ? Un homme qu’elle aime, qui déteste les femmes par folie sauvage. Il court dans les grands bois, l’aboi strident des chiens l’appelle. Le chœur. Il dit que l’enfant agile disperse ses flèches partout dans l’univers. Une femme. C’est un amour dément, sacrilège, d’un esprit fol. La chaîne du soleil a décidé de son sort. Elle sera pire qu’un monstre. Elle a le remords comme mauvais maître.
Une ombre. Qui l’arrache au séjour sinistre des enfers ? Elle craint d’être la proie de monstres nouveaux. Une furie. Le sort doute, il hésite entre deux rois instables, souillés d’eux-mêmes et haïs de tous. Le chœur. Il annonce le bestial festin, la faim éternelle, l’éternelle soif. Un homme. Il veut venger le crime, le forfait sanglant, atroce : la toison de l’animal sacré floconne dans son esprit enfumé. Il refuse la colère ordinaire. Il doit inventer pire. Quel dol ? Un homme. Il pense qu’à la fortune on peut préférer l’infortune. Il ne voit pas le piège. Il veut oublier les fureurs du passé. Le messager. Il a entendu vibrer le triple aboiement, frissonner l’aube et tanguer l’eau. Il a vu tomber trois fois le diadème du front du roi. Il sait qu’Aurore, dans la rosée lumineuse, ne pourra croire que le meurtre est un votif calmant.
Une femme. Elle implore sa vigueur passée. Retrouvera-t-elle son pouvoir de nuisance ? La souffrance du traître est le pire qu’elle puisse souhaiter. Elle prépare le carnage. La Colchide, elle se souvient. D’un reste elle deviendra ce qu’elle est. Elle crache à la face des dieux. Un homme. Il ordonne l’exil du monstre cruel. Il veut la délivrance d’une souillure. Une femme. Elle doit se surpasser. Elle doit accomplir ce que le monde entier jamais ne cessera de raconter. Le feu, le vent, le trait qu’on lance ne sont pas si redoutables qu’une telle violence. Une femme. L’épouvante envahit son âme. Elle voit les incantations magiques. Elle sait que ces libations ne sont pas ordinaires, fleurs mortifères. Une femme. Elle invite à des noces d’un genre nouveau : elle a bouleversé les lois du ciel. Le messager. Il dit que l’eau attise le feu. La transgression est inouïe. Il a vu sur son char, ceinte d’un long ruban comme pour des funérailles, fuir l’infâme sanguinaire.
Une femme. Elle craint que les monstres ne manquent. Elle se demande ce qu’elle attend pour être folle. Le chœur. Il dit que la vie est brève. Il dit qu’il faut occuper le présent. Une femme éplorée. Elle pense que le fardeau des épreuves doit trouver sa limite : lion, chevaux, sanglier, taureau, serpent. Elle pense que la fureur ne doit pas s’obstiner. Le succès protège-t-il du malheur ? Comment effrayer la mort livide aux dents voraces ? Un homme furieux. Il a vu le spectacle interdit. Il a percé les secrets de l’En-bas. Il a vu ce que personne jamais ne verra. Le séjour de la mort est pire que la mort. Il raconte. Il veut maintenant orner sa chevelure d’un peuplier. Il ne doit pas chercher de nouvelles victimes plus grasses. Mais il veut plus encore, pire encore : rocs, bois, pics empilés jusqu’au ciel. Un homme déjà vieux. Jusqu’où peut aller la folie furieuse ? Il voudrait ne pas avoir vécu si longtemps. Le chœur. Il demande que la raison aveuglée, ce monstre, soit chassée. Un homme furieux. Il a tout perdu. Il est nu devant le carnage.
Décor. Un soleil incertain. Quel pire crime que d’assassiner son père ? Le sort prévoit de frapper encore plus fort. Un homme. Prosterné, les mains tendues, il supplie. Le chœur. Il dit que la mort est partout : le taureau tombe, le bétail gît, le berger périt. Le lion ne rugit plus. Le serpent a perdu son venin. Le devin. Il attend des signes certains de la colère des dieux. Un homme. Il pense que ne rien savoir n’est pas un remède au malheur. Il sait que les chants magiques, les mots qui calment les ombres, les libations sanglantes n’apaiseront pas les mânes infernaux. Il veut trouver la vérité qu’un long temps a obscurcie. Il veut châtier le violateur des lois sacrées, l’homme qui renverse les lois du sang par le coït maudit, le monstre. Le messager. Il a vu l’homme dément les yeux hagards, la face révulsée se glacer de sueur et déborder de fureur. Il l’a vu fouiller l’orbite de ses yeux et déraciner les globes de leurs cavités béantes. Il a vu la sanie ruisselante du sang vomi à flots des veines arrachées. Le chœur. Il dit que la peur conduit au destin que l’on fuit.
Un homme aveugle. Il veut aller par les pics abrupts retrouver l’asile du Cithéron. Il ne veut pas être arraché à la mort. Il craint le pire : être sauvé. Sa monstruosité surpasse celle du Sphinx, il est l’énigme indéchiffrable à tous. Comment expier le crime ? Une jeune fille. Elle dit que son père est innocent. Elle dit que les dieux sont coupables. Un homme aveugle. Il a tout perdu. Le sort a tout ravi. Il ne reste que les larmes. Il a été accusé d’un crime affreux avant même de naître. Comment se fuir soi-même quand la mort nous fuit ? Le forfait est inouï. Il attend pire encore de ses fils. Plus rien n’est crime quand on est né d’un crime. On peut abattre les remparts, attaquer les dieux, tout culbuter. Le messager. Il veut apaiser une rancœur trop violente. Un homme aveugle. Il veut bouillir gonflé de rage, aggraver les maux lancés par le destin. Il entend déjà la confuse rumeur du cruel combat.
Deux frères. Le premier veut mettre l’autre dans le troupeau des exilés. L’autre sait qu’un roi haï ne garde pas le pouvoir longtemps. Le pouvoir à tout prix est bon marché. Il ne s’obtient pas contre une livre de chair.
Une écriture lente et pleine de questions qui nous envahit à travers une succession d’images souvent mystérieuses. Fortes sensations.
Tant mieux pour les sensations. Je poursuis le travail.
« Il court dans les grands bois, l’aboi strident des chiens l’appelle. »
Les grands bois et cette bascule vers le fantastique. Un de ces noyaux dont parle François.
La tragédie romaine, l’ancêtre du fantastique ! Peut-être le point de modernisation.