– chapitre 1, où l’on verra comment devenir poète
au fond il s’agit de se trouver une identité – disons un commissaire de police qui s’appellerait Couvrelaire, que deviendrait-il dans ce monde de brutes ? Tous les vices, le jeu, l’alcool, la perversion, du sexe, de l’érotisme, une libido désenchantée, la drogue – des rixes, des gangs, des armes et des cris de la douleur, du sang des larmes – ça disait « j’ai pas peur de mourir et je ne m’en fais pas trop à ce sujet », ce qu’on aimait c’était les sections de cuivre (Blood Sweat and Tears comme le prédisait Winston), des disques tombés du camion posés sur des tables empruntés dans les salles de cours – Jussieu année soixante-dix merguez et soupes sur les étals à côté – le mort reconnaissant (Grateful Dead) ou le « je suis un homme » de l’autorité de transport de Chicago le gros gras de la basse, le solo du héros de sa guitare – les flammes qui s’évadent – alors évidemment si la vie n’était faite que de fumée, de piqûres, de snifs de larmes, de choubangs de speedball de stupre et de fornication comme disait le poète, bien sûr ce serait beaucoup mieux, on prendrait la Ford Mustang (de Bullitt) ou plutôt la Dodge Challenger (de Kowalski) et on traverserait le continent aux côtés de Thelma ou de Louise (c’est plus tard c’est vrai)
add. du 12 avril : trouvé cette image (l’un des premiers selfies – anachronique, probablement – polaroïd très certainement) Louise et Thelma (qui est aussi une chanson qu’on aime)
– on prendrait l’autoroute sixty-one « tu marches dans la chambre, ton stylo à la main, tu vois là quelqu’un à poil et tu dis « mais qui c’est ce type-là ? » – quelque chose arrive ici mais tu ne sais pas ce que c’est hein, monsieur Couvrelaire ? – c’est autre chose c’est différent les rides se creusent, on prend du ventre, il y a les douleurs internes et les amis qui meurent
– chapitre 2, où l’on trouvera la réponse à la question cruciale, « être à quoi ça sert »
non mais à rien – servir comme quand on vous demande ce que vous « désirez » – qu’est-ce que ce sera ? – je vous en prie, merci à vous – se faire comprendre des autres – travailler surtout, peut-être aussi lire s’intéresser aux images, les prendre au sérieux comme disait MdlP, vers quarante ans, je suis retourné voir un peu ce qui me manquait dans ce compartiment du jeu (les sciences humaines) un jour un de ces types (ça s’appelle un prof, parait-il) humiliait une étudiante, un accent de l’est, le travail peut-être bâclé rendu restitué, le type est mort quelque mois plus tard, le travail au sujet des Roms les « enterrez-moi debout » les « on aime manger des hérissons » et puis celui des témoignages, recueillir ne pas trahir poser des questions – et puis tout a chu – la caravane a brûlé tout entière, il n’en est plus rien resté
– chapitre 3, où l’on verra que la vie est semée d’embûches et pas de tout repos
si vous voulez, je vous le présenterais – ah mais oui avec plaisir oui ce serait gentil, et puis reprendre contact par téléphone, et puis c’est sans suite, je n’étais pas suffisamment admiratif – les gens aiment qu’on soit fan d’eux surtout les artistes ou ceux qui se prétendent tels – j’ai arrêté quand Charles Trenet est mort – j’avais à l’idée de rencontrer Raymond Devos mais la porte était fermée – assez hermétiquement, Patachou ça aurait pu se faire mais non – Charles Aznavour tournait ailleurs – oublier oublier oublier finalement parce que le temps passe, il ne reste plus que deux ou trois mois avant de rendre le mémoire et tout recommencer
– chapitre 4, où l’on verra se tirer de deux mauvais pas
j’ai beaucoup aimé continuer à regarder autour de moi, mes conditions de travail, mes obligations comptables, administratives, réglementaires, compléter la liste des choses à faire pour ne parvenir qu’à travailler, numéroté paraphé, aller voir les experts-comptables, répondre aux ordres légaux, obtenir des autorisations, remplir des déclarations de candidature – cerfa numéro tant – pas vraiment mauvais, ces pas, mais pas non plus tellement gratifiants ou valorisants : avec le règlement de la première facture sur le faubourg s’offrir une montre à fond noir – on m’avait volé celle de mon père qui était automatique comme celle de F. récupérée quand il s’est tiré, emporté par un crabe – l’autre affaire devait être l’armée manier le fusil démonter graisser remonter nettoyer armer viser – marcher dans la nuit ou rester dans le camion – puis l’infirmerie des heures durant se poser la même question comment faire pour en sortir – le jeune type ne devait pas avoir trente ans, il portait une blouse blanche sur laquelle il estima le contraste de mes deux doigts vérifiant par là s’il y restait de la nicotine – mais non alors respire soldat – l’emprise des bronches, comme une éponge qu’on presse et à chacune des tentatives de prises d’air comme l’impression que plus rien ne peut entrer – ni sortir – plus rien c’est donc ainsi qu’on meurt – le type en blouse blanche qui n’avait pas trente ans blêmit puis verdit il me semble, aucun air ne me parvenait plus, je le voyais bien s’agiter, prendre ici un masque, là ouvrir une bouteille d’air comprimé bleue, puis courir à moitié revenir vers moi – ça ne se brouillait pas mais devenait assez ombreux inspirer expirer ? Non plus rien encore aujourd’hui un demi-siècle plus tard cette sensation obligée de vouloir à toute force ouvrir ses côtes et relevant le menton inspirer jusqu’à plus soif ça ne veut pas ça ne bouge pas ça ne s’ouvrira pas
– chapitre 5, la difficile question du réel
c’est quand tu as mangé des betteraves et que tu pisses rouge, de ne pas te dire que tu as un crabe à la prostate – quand tu distribues tes gâteaux envoyés par ta tante à tes compagnons de chambrée de ne pas refuser de voir les plus fachos d’entre eux te faire des sourires complices – c’est de ne pas souhaiter la mort de quiconque quand même ce serait la pire des ordures – qu’est-ce que tu en penses – le réel c’est écouter Baraye et penser à ce pays, entre la Caspienne et le golfe – est-ce que c’est le réel ? dis-moi, est-ce que c’est de trouver que lorsqu’un type, soixante-seize piges, milliardaire, menteur truqueur voleur insiste sur le fait qu’il faut les attraper par la chatte, les femmes, le réel est-ce que c’est de penser que c’est un peu excessif pour un président ? Ou simplement pour un homme, un être humain, un bipède? La question qui vient, est-ce que c’est celle à laquelle je pense ou autre chose ? Une autre chante « une odeur de foin coupé/ monte de la terre mouillée / une auto descend l’allée, c’est lui » on attend la suite, on regarde le ciel, il y passe des nuages gris qui comblent l’horizon – « c’était ta préférée je crois/ qu’elle est de Prévert et Cosma » – sa belle-sœur habitait au cinquième, eux (elle et lui) vivaient dans le duplex qui donnait sur le quai, au rez-de-chaussée, on la voit parfois longer le garde-fou en souriant avec complaisance aux photographes mais c’était sa belle-sœur qui s’occupait de l’intendance des deux maisons – elle était mariée avec le frère (aîné, je crois bien) qui avait gardé plus profondément de leur père ses convictions, son mari à elle trouvait qu’à un moment il en a eu trop été, ça suffisait comme ça et jeta ailleurs les souvenirs de ce père : ils se sont alors fâchés pour ne plus jamais se reparler, et puis elle, elle est morte, et puis rien n’a plus été pareil – mourir oui, partir ailleurs s’en aller disparaître – est-ce que tu te souviens, dis-moi, de Georges Wilson qui jouait celui qui revenait et elle qui l’attendait ou ne l’attendait plus ou j’en sais rien, mais qui tenait ce bar de Puteaux (Georges Wilson est né à Champigny-sur-Marne, est mort à Rambouillet ), elle c’était Alida Valli – pourquoi, Cora Vaucaire ici ? Et Colette Deréal ?
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oh merci pour cette idée (bien menée) de snober les mots auteur ou poète et en rester à être 🙂
@Brigitte Célérier : merci à vous (ce sont des mots difficiles à endosser…)
Merci pour Baraye ! Et aussi pour Et les autres références,
Avec cette caravane qui crame au milieu… On se doute que rien n’est facile à dire ou à écrire, mais ça passe quand même la flamme… vos mots !
Because of dancing in the street
Because of fear while kissing
Because of my sister, your sister, our sister
Because of changing rotten minds
Because of shame for moneyless
Because of yearning for an ordinary life
Because of the scavenger kid and his dreams
Because of a command economy
Because of air pollution
Because of ‘Vali Asr’ Avenue, and its dying trees
Because of a cheetah (Pirouz) that may go extinct
Because of innocent, outlawed dogs
Because of the incessant crying
For the image to repeat this moment
Because of the smiling face
For students, for the future
Because of students, for the future
Because of this forced paradise
Because of the imprisoned elites
Because of Afghan kids
Because of all (Because of…) non-repetitive
Because of all these empty slogans
Because of the rubble of fake houses
Because of the feeling of peace
Because of the sun after a long night
Because of the nerve pills and insomnia
Because of man, country, rebuilding
Because of a girl who wished she was a boy
Because of woman, life, freedom
Et les autres références,
@Marie-Thérèse Peyrin : c’est gentil de poser les paroles de cette chanson si belle – si pleine de ce qu’on ressent aujourd’hui – merci à vous
et puis, dans le même registre (il y a plus de trente ans,juste…) j’ai posé une image des deux filles, là, qu’on adore – Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991) – et une chanson pour elles (et vous) (encore merci)