Ils viennent chaque année, toujours au milieu du printemps. Toujours pour le même nid. Toujours le même endroit où les chats les guettent, où la machinerie qui filtre l’eau de la piscine ne fait silence que la nuit, où je les dérange quand je passe par là. Ils sont un peu cons, mes gris, mes gobemouches gris. Ils me ressemblent un peu avec leurs habitus imbéciles qu’ils n’abandonnent jamais. Jeux de mots, pirouettes,cacahuètes, contredire, contrarier. C’est mon choix, ma manière à moi d’interroger, de dire non, d’évacuer. Il y a longtemps que j’ai répondu à la question du jour du questionneur. Par une blague nulle de potache que j’ai même inscrite dans le prologue d’un roman policier inachevé dont le personnage principal s’interroge parfois sur ce qu’il serait si il avait été autre un jour d’avril en 1976. Clément Rossetti savait bien que Paul Ricoeur n’était pas une marque d’apéritif. Entre l’intime et la fiction, choisir l’évitement, la dérision. Je me suis longtemps levé de bonne heure, longtemps couché tard, pour écrire afin de payer mon loyer, fournir les feuillets de 1500 signes pour manger, finir le mois, boucler les dépenses. D’autres écritures, rassurantes celles-ci, viendront ensuite. Et d’abord l’écriture libératoire, citoyenne, le cri qui délivre, déloyal mais incontournable, nécessaire. Le texte qui une fois écrit, une fois rendu public, ne me tourmente plus. C’est l’adversaire visé, la cible, désormais qui ne peut plus dormir. Soulagement de cette écriture de la « patate chaude ». Elle a des conséquences. Mais quelle jouissance de les assumer. Plus rassurante, plus apaisante encore, l’écriture fidèle à la promesse faite, à la parole donnée. Celle-là relève d’un temps long qui prend son temps. On ne veut pas mourir avant de l’avoir tenue. Amérindienne pour moi, elle a pris une bonne trentaine d’années. Dans l’entre-temps, quelques fois, des écritures jeux qui s’amusent avec le « Je », qui jouent avec les intertextes, les paratextes, le contexte. Des je(u)x, sans plus. Le ballet des gobemouches qui nourrissent leurs petits est incessant. Je n’ose plus passer par là. Ne pas déranger les oiseaux. Se concentrer sur la question de la semaine, re-relire Perec, suivre la consigne, me faire ce personnage qui met en intrigue le récit de sa vie avec, un peu, beaucoup, passionnément, d’infraordinaire dedans. Je ne suis pas certain que, comme l’affirme Ricoeur, la vie soit « un récit en quête de narrateur ». J’ai un doute, en mode profond. Et, à mon avis, ce n’est pas à moi de dire « qui suis-je » ou « que suis-je ». Ricoeur cite Hannah Arendt : pour elle, « répondre à la question qui, c’est raconter l’histoire d’une vie ». Et moi, pour le moment, je ne suis pas encore mort. Donc…
Codicille: Au-delà de la désinvolture obstinée à laquelle tient mon identité narrative, un minimum de sincérité m’oblige à dire ici que je n’aurai pas plongé dans cette transversales #06 sans les audacieuses écritures de Nathalie Holt et de Danièle Godard-Livet, pionnières de cet exercice. Leurs interrogations sur l’interrogation ont agi sur moi comme un chant polyphonique libérant un élan primordial. Et les points d’interrogation posés par Anne Dejardin et Géraldine Queyrel sont également pour beaucoup dans mon jettement dans ce gouffre entre intime et fiction. Sauter de l’avion-atelier en oubliant sciemment le parachute des points qui interrogent. Quel grand sot !
Laissons le ciel aux oiseaux Ugo, eux n’ont pas besoin de parachute! Ne t’éloigne pas trop de l’avion atelier, la traversée ne sera pas dépourvue de turbulences mais quel plaisir d’être là tous ensembles! J’hésitais a être du voyage à sortir à la prochaine gare et puis zut j’ai pris mon billet pour un long courrier… j’avais presque un peu oublié à quel point vous m’avez manqué !merci pour cette deuxième transversale… on se retrouve sur le tarmac ?
« l’écriture comme une promesse tenue » c’est beau. Ce qui est frappant c’est comme vos textes anciens résonnent ici : du jeu de mot potache aux appuis et références « scripturés » avec l’exigence conceptuelle et politique qui fait entendre le fracas des questions : et comment va le monde …(en omettent leurs signes sur la page) avec Ricœur dont on peut abuser sans risquer de se griser, avec Arendt ( questions sur l’antisémitisme et ou la responsabilité et ou le mensonge qui remontent ) aux gobemouches gris qui nidifient, avec auto portrait en bestiaire et pirouette finale pour évacuer la fin de l’histoire qui se poursuit…
J aime bien ton histoire de gobe-mouches. J ai l impression que le reste, je le savais depuis nos premiers échanges sur la cigarette. Le « qui », la personnalité cela ne se dissimule pas facilement et puis comme les gobe-mouches on revient toujours faire son nid au même endroit comme des cons. C est peut-être aussi cela le style, ta langue. A bientôt sur les écrans.
Merci Géraldine, Nathalie, Danièle. Merci de vos textes et de vos lectures patientes et attentives. Promis, écriture-promesse, je ne saute pas de l’avion-atelier. Ne serait-ce que pour continuer à vous lire et vous entendre. Et « pirouetter » encore un peu sans doute. Merci.
« l’écriture comme promesse tenue » même à spi : oui (encore faut)il la faire l
“l’écriture comme promesse tenue” même à soi : oui (encore faut-il la faire la promesse)
et oui comment dire ce que l’on est ? ou le savoir ?
(je me souviens d’un film titré « The Rider »(Chloé Zhao, 2017) (il s’agit d’une réalisatrice chinoise, qui travaille aux US) c’est cette affaire avec les paroles kali’na – il y a un chapitre qui parle de Kandiaronk dans le « Au commencement était… » sous titré « une nouvelle histoire de l’humanité » (David Graeber et David Wengrow, les liens qui libèrent) – il y a un truc avec les rituels aussi et les dispositions à une certaine distinction – (en tout cas, ce n’est pas non plus le nom d’un circuit automobile) – tu dis lire la consigne, mais en vrai tu as oublié les points d’interrogation (on s’en fout, c’est vrai aussi). Merci à toi