Je ressens la fatigue de celui qui a écrit. Juste la fatigue du jour. Je me suis levé tôt, j’ai écrit jusqu’à midi. J’ai mangé, un peu dormi, puis j’ai re-écrit. Là, fin d’après-midi, j’ai l’esprit un peu embrumé. Pour ce premier jour d’isolement à plus de quatre cents kilomètres de chez moi, j’ai réussi à remettre en route mon projet d’écriture. Je suis dans une petite maison de village chez l’un de mes frères à Fleury-la-montagne, pas très loin de Charlieu, pas très loin de Roanne. Pas très loin de tout ce que j’ai en tête. Tout à l’écriture. Ma résidence d’écriture. J’aime pas trop ce terme, ça fait très résidence secondaire, résidence de luxe, résidence tout confort. Ce n’est pas la première fois que je fais ça mais là, je sentais un besoin naturel. Comme une envie de pisser, on peut dire ça comme ça.
Lundi, 17h30, ça fait déjà plusieurs heures que j’ai enclenché le processus manuel. Du concret. Celui d’écrire vraiment, avec les doigts qui pianotent sur le clavier de mon Mac book, avec mon regard qui fait le va-et-vient entre mon écran, le clavier, un cahier où je prends des notes, la fenêtre et, accessoirement, le plafond, mes pieds, les photos épinglées sur le mur. Le processus intellectuel, ça fait belle lurette qu’il a démarré. Mon livre, ça fait longtemps que je l’ai écrit dans ma tête. J’en ai tellement écrit dans mes pensées. C’était comment ma vie avant que je veuille écrire ?
Il vient d’où ce besoin ? Est-il si naturel que ça ? Pourquoi ? Je me souviens d’un temps où l’écriture n’était pas une question, mais plutôt une réponse. Après avoir été prof une dizaine d’années, je suis devenu journaliste. Lorsque j’en ai cherché les raisons, lorsque j’ai sondé mes motivations, je suis tombé sur une évidence qui s’appelle l’écriture. J’ai toujours aimé écrire. Enfant, je recopiais des articles de journaux que je ne comprenais pas en me disant que je serai heureux de les avoir quand je pourrai les comprendre. Adolescent, j’écrivais des lettres interminables à mes premiers amours en me disant que la longueur de la réponse serait proportionnelle à la réciprocité des sentiments. Pourquoi ne pas écrire ?
Pourquoi ne pas chanter, plutôt ? Pourquoi ne pas danser ? Pourquoi ne pas peindre, faire du macramé ou planter des fleurs ? C’est difficile d’expliquer ses allants, ses attirances, ses désirs. Ce n’est pas une question de prédisposition. Mieux, je crois sincèrement que je ne suis pas particulièrement prédisposé pour l’écriture. Sauf si l’on considère que la quête du plaisir engendre une prédisposition. Je ne sais pas pourquoi j’aime écrire et je crois que la réponse à cette question, si elle existe, n’est pas très importante. Pourquoi est-ce que je me demanderais ça ?
Pourquoi avoir pris la direction du journalisme ? Pourquoi ne pas m’être lancé plus tôt dans ce que je tente de faire aujourd’hui ? Si j’avais envie de couper court à ce malaxage cérébral, j’aurais une réponse toute faite. Une affirmation capable de tuer mon questionnement dans l’oeuf : mon père était journaliste. Le truc qui coupe l’herbe sous le pied. Ah bon ? Ben voilà, c’est pour ça que tu as voulu être journaliste toi aussi ! C’est pour ça que tu as voulu écrire ! C’est pour ça, pas besoin de chercher plus loin ! Tu a voulu suivre le tracé du paternel, c’est simple, c’est beau, c’est naturel… Ben non, ce n’est pas pour ça. Ou si ça l’est un peu, il y a autre chose. Forcément. Je ne vais pas vous raconter ma vie mais croyez-moi, il y a forcément autre chose…
À dire vrai, j’ai commencé à écrire des histoires il y a bien longtemps. Bien avant de me pencher sur un clavier d’ordinateur, bien avant de prendre un stylo bille et une feuille de papier. Depuis combien de temps est-ce que j’écris dans ma tête ? Depuis quand j’élabore des histoires ? Ou plutôt, existe-t-il un temps où je ne le faisais pas ? Je n’en sais rien. Je n’en sais rien et cela m’importe peu. Si cela ne m’intéresse pas , je ne vois pas très bien pourquoi vous, ça vous intéresserait.
Je suis assis à ce bureau à plus de quatre cents kilomètres de mon domicile pour mieux me retrouver chez moi. Dans ma tête. Dans mon écriture. Dans mes histoires. Pourquoi faire tant d’efforts ? Pourquoi ne pas garder mes histoires là où elles naissent, là où elles sont à l’abri dans leur cocon originel ? Pourquoi vouloir écrire ce que j’ai dans la tête ? Ce n’est pas pour laisser une trace, cela m’importe peu. Ce n’est pas pour me faire aimer, peu de mes proches lisent ce que j’écris. Je me fais aimer autrement. Je crois. Il est bien possible que j’écrive pour ne plus me poser de questions.
Connaissez-vous ce cercle infernal des questions qui tournent en boucle ? Connaissez-vous ce mal cyclique du pédalage mental ? Entendez-vous cet inconfort que la force centrifuge du questionnement permanent insinue ? S’arrêter. Lever la tête et regarder autour de soi. Jeter un oeil par la fenêtre pour essayer de distinguer l’oiseau bavard qui raconte son histoire. Partir hors de portée d’un quotidien mal maîtrisé tapissé de points d’interrogation.
Vous savez quoi ? J’en ai marre des questions.
Bonne écriture à Fleury la montagne. Ne te pose pas trop de question et rapporte-nous qqch à lire.
Merci Danièle. Je ne sais pas encore si et quand je le mettrai en ligne dans la rubrique projet. Je termine une première phase lundi. Verrai après. Merci encore.
Merci pour ce texte, Jean-Luc !
Merci Helena. Parfois, ne pas savoir où l’on va permet d’avancer.
« Pourquoi faire tant d’efforts ? Pourquoi ne pas garder mes histoires là où elles naissent, là où sont le mieux dans leur cocon originel ? Pourquoi vouloir écrire ce que j’ai dans la tête ? Ce n’est pas pour laisser une trace, cela m’importe peu. Ce n’est pas pour me faire aimer, peu de mes proches lisent ce que j’écris. Je me fais aimer autrement. Je crois. » Beaucoup aimé.
J’aime ce texte qui s’il contient des questions me semble fort en affirmations. Il fait du bien. Je trouve qu’il contient peu de doute. A te lire alors, Jean-Luc. Bonne écriture.
(le truc « mes proches ne lisent guère ce que j’écris » c’est aussi valable que l’inverse si tu veux mon avis) (je dirais bien un peu comme Danièle) bon courage (et merci)