»Vous échouerez, vous abandonnerez, c’est statistique. Si vous n’êtes pas en prépa, pourquoi prétendre faire quelque chose en littérature ? » C’est ainsi que nous accueille le professeur d’université en première année de Lettres Modernes. Nous étions sept cent idiots, inconscients et naïfs, à vouloir entrer en littérature. J’étais la première de ma famille à mettre un pied à l’université, j’avais passé mon enfance à la bibliothèque municipale. J’avais une telle faim de ce monde, j’y entrais avec un coup de pied au cul. Rester à sa place de raté, surtout. Ne pas le contredire.
»Vous et l’écriture, ça fait deux, on vous l’a déjà dit ? » demande mon directeur de recherche en DEA. Une virgule mal placée l’a choqué. Comment pouvais-je ignorer l’importance de la ponctuation? Si chez moi on n’écrit que pour la liste des courses sur des petits morceaux de papier qu’on range dans le tiroir de la cuisine. »Vous écrirez quand vous quitterez votre famille » concéde la psychologue qui m’aide à garder la tête hors de l’eau. Je suis partie, je me suis perdue dans d’autres aventures, je griffonne sur un journal. Depuis je traîne derrière moi, mes cartons de livres et mes cartons de rêves. Je fais basculer la peur, je change de vie, de pays, mais je ne m’autorise toujours pas.
»N’écrivez pas, surtout, n’écrivez pas, par pitié. Le monde a besoin de lecteurs, pas d’écrivains en herbe dont tout le monde se fout. » Merci Alain Robbe-Grillet, tu m’as remis les idées en place. Comment aurais-je osé? Quel orgueil! Comment se permettre cette révolte? Non, j’ai été élevée pour obéir. Le grand écrivain sait sans doute mieux que moi ce qu’il faut que je fasse. Et je l’écoute, j’obéis et je me tais. Pourquoi avoir plus confiance en eux qu’en moi-même? Qu’ai-je à y perdre? Comment oser écrire? Comment se permettre l’activité sacrée ? J’ai bien trop d’admiration pour ceux qui écrivent, de passion pour la littérature pour m’autoriser à en être. C’est comme si je restais sur un bout de trottoir à regarder les voitures passer. Qu’elles sont belles avec leurs couleurs rutilantes ! Comme elles vont vite! Je reste bouche bée à l’écart, je les admire. Et puis, la vie s’occuppe de trouver des prétextes : je n’ai pas le temps- je n’ai pas la force- je n’ai pas la patience- j’ai peur- Et puis, ai-je réellement quelque chose à dire?
Passer mes nuits à lire ne suffit plus. Il manque quelque chose. Vais-je déjà passer du côté des regrets? Sans même avoir tenté? Je dois me débarraser des phrases des autres, articuler mes mots, construire ma langue. Je dois cesser d’obéir aux injonctions énumérées, je dois me battre contre leur écrasante pression, arracher une heure à mon quotidien, dire non à tout le reste. Écrire est une surprise. C’est de la joie et de la tristesse, en alternance. Une exaltation quand je crois tenir quelque chose entre mes mains et de la frustration quand je n’arrive pas à la saisir. Reprendre, être frustrée, apprendre, recommencer. Essayer de ne pas être trop impressionnée par les autres. Trouver mon propre chemin, ma force, ma confiance. Écrire, un tout petit peu, tous les jours. Et ne plus penser qu’à ça. Qu’est-ce que je faisait avant, dans ma tête?
Merci pour ce témoignage sincère… qui me fait vous découvrir. Le jeu d écrire est un jeu où l on est toujours gagnant.
(c’est pas pour les autres (enfin si) qu’on écrit mais surtout (d’abord) pour soi) (continuez) (et merdocons dont était, il faut bien se rendre à l’évidence , cet ARG) (merci à vous)
« écrire un tout petit peu tous les jours » Merci Irène comme ça on a une chance de découvrir ces lignes là ( par exemple) et toutes les autres …
Bravo Irène pour ce « coming out » littéraire… à qu’est ce que je faisait avant dans ma tête? Je rajouterai comment je faisait avant dans ma tête?
Merci à vous tous de votre présence bienveillante et à FB pour ce défi qui tombe à point nommé. C’est un plaisir et une inspiration quotidienne de vous lire.