Le bureau symbolique : L’acception de l’adjectif « symbolique » prend, pour moi, une importance particulière. Mon bureau symbolique est plus symbolique que bureau. C’est une table, souvent celle du salon chez moi, mais aussi une table de jardin, un coin dans la cuisine, le bureau dans la chambre de mon fils parfois. Je n’ai jamais eu de bureau et je crois même que j’ai toujours oeuvré pour ne pas en avoir. Parfois, un fauteuil avec l’ordi sur les genoux. Je dois vous avouer que j’ai appris à être journaliste sur le terrain. À l’époque, je n’avais pas d’ordinateur portable lorsque j’allais assister à des événements dont je devais rendre compte. Le plus souvent, je me calais dans la voiture, sur le siège de droite histoire de ne pas avoir le volant devant moi, et j’écrivais à la main. Après avoir noirci de mon écriture les feuilles volantes pour, parfois, remplir une page entière de journal, je téléphonais au service des sténos pour dicter mes articles. De façon paradoxale, ces conditions pour peu difficiles ont longtemps été une condition nécessaire à mon travail. Je me suis même surpris à recréer un certain inconfort quand celui-ci ne s’imposait pas. En salle de rédaction, je me mettais à écrire quand il y avait beaucoup de monde et de bruit. L’agitation autour de moi, le bruit, le fait d’être mal assis ou coincé dans l’habitacle d’une voiture, permettent de mettre en connexion directe différents processus d’écriture, mais cela demande aussi beaucoup d’énergie. Plus d’une fois, j’ai essayé de m’attacher à un bureau chez moi mais je n’y suis pas encore parvenu. Enfant, à l’école primaire, je me faisais souvent punir parce que je n’arrivais pas à demeurer assis sur ma chaise, j’avais toujours besoin de me lever et de marcher autour de mon bureau. Voilà peut-être une autre explication. Aujourd’hui, c’est pareil, la punition en moins…
Carte géographique de l’écriture : J’adore écrire ailleurs. Je n’en ai pas souvent l’occasion, surtout en ces derniers temps de pandémie. J’adore partir avec un projet d’écriture durant plusieurs jours, seul. J’ai fait ça dernièrement, durant l’hiver, dans une petite maison paumée dans un village du Haut Var qui appartient à l’un de mes frères. A cette occasion, l’expérience n’a pas été très concluante car j’ai passé l’essentiel de mon temps à couper du bois et à nourrir le poêle bien trop petit pour assurer une température décente à l’espace pourtant restreint où j’étais censé travailler. J’ai néanmoins réussi à faire ce que je voulais mais je suis revenu épuisé de mon escapade. En fait, je crois que j’adore trouver de nouveaux endroits pour écrire. J’aime découvrir, sentir l’air et en tirer le substrat qui nourrira mon imaginaire. Mais là encore, difficile pour moi de me caler dans un endroit choisi et y revenir. En réalité, j’avance beaucoup dans mon écriture dans de multiples lieux, souvent sans matériel pour écrire. Juste dans la tête.
Le temps de l’écriture : J’écris, de façon générale, le matin ou le soir. En tout début ou en toute fin de journée. Pas au milieu. Parce que, souvent, j’ai d’autres choses à faire comme bosser par exemple, mais aussi parce que je n’arrive pas à me départir de pensées très pratiques, pour assurer les tâches quotidiennes. Il m’arrive, par période, d’écrire la nuit. Essentiellement de la poésie. Ou plutôt ce que j’appelle de la poésie parce que je ne suis pas sûr que cela en soit. J’ai passé trois mois à écrire toutes les nuits (ou presque) des textes en proses, parfois en vers, avec des mots inventés. Je ne les créais pas selon une quelconque étymologie mais juste par sonorité. « Je particule pendant des heures, je farmidule jusqu’au charpilleur, je déondule avec larteur. » La journée qui suit est, de façon générale, assez compliquée mais c’est ma façon à moi de me dire que l’insomnie vaut la chandelle. Pour ce qui est du déclenchement de ma séance d’écriture, le matin, je suis un vieux diesel. Même si je ne fume pas. J’ai le réveil lent, très lent. J’aime me mettre devant mon ordi sans être complètement réveillé. Souvent, ce désir impérieux est nourri par une intense réflexion nocturne que j’ai hâte de reporter sur l’écran. J’aime finir de me réveiller avec des mots jusqu’au café. Puis continuer alors que l’eau du bocal lentement s’éclaircit jusqu’à la douche. Puis, quand je le peux, profiter de l’élan pour aller jusqu’au bout de mon idée, l’esprit plus clair. J’ai écrit de nombreux textes de cet atelier de cette façon. Le soir, le processus est différent. Si je me mets à écrire en fin d’après-midi, c’est parce que je suis attaqué par le virus du remord de n’avoir pas réussi à m’y mettre (c’est le cas en ce moment même, il est 19h30 et je m’en veux de ne pas avoir eu le temps d’écrire plus tôt). Là, au contraire, le démarrage est explosif, ça part dans tous les sens. C’est plein d’énergie et ça continue, bien souvent, jusqu’au tarissement définitif. Bien après que la nuit est tombée si je suis seul. Quand je ne suis pas seul, il faut me tirer de ma table.
La mise en route : J’ai l’impression d’être en blocage depuis plusieurs mois. Durant le premier confinement, il y a maintenant deux ans, je suis parti dans l’écriture d’un roman. Pas de problème d’étincelles, j’en ai tout un lot en magasin. Je suis parti à pleine vitesse très vite mais, aussi rapidement, mon réservoir s’est tari. Trois ou quatre chapitres et c’en était fini. J’ai essayé de louvoyer, de changer de cap pour retrouver du vent, mais rien, nada, le désert des tartares. Alors, j’ai abandonné. Pas vraiment, en vérité, parfois j’ouvre le fichier, je relis, je cherche ce qui cloche, mais non, le bois est trop mouillé pour que le feu reprenne. J’ai abandonné l’idée d’un livre. Mon plaisir d’écrire reste pourtant intact. Alors j’écris des fragments, je peins des morceaux de toile. Je réponds aux propositions de l’atelier, parfois de façon fiévreuse. Comme pour Saint-John Perse. J’ai littéralement pas dormi de deux nuits, obsédé par ces versets impératifs. Plus sûrement, je crois avoir attrapé un mauvais microbe qui m’a fait monter, conjointement, la fièvre et ces pensées fixes. J’en ai tiré deux textes dont un, le second (le repas du tigre), demeure assez mystérieux pour moi. J’aime découvrir des moments d’écriture particuliers. Et puis j’écris tout sorte de choses aussi. Pour mon travail, puisque cela en fait partie, mais surtout pour moi. Des idées attrapées dans des livres. Par exemple, Perec, pour moi, est hautement inflammable.
La promenade : Vitale, après l’écriture matinale. Quand je le peux, encore une fois. Elle me sert de mise à jour mentale de mes projets d’écriture. Sans forcer aucun processus, une heure de promenade dans les collines derrière chez moi (j’ai cette chance) me permettent de revenir avec l’idée claire de ce que je dois faire le lendemain. J’ai peu de chance de l’oublier, cette promenade, mon (jeune) chien se charge de jouer le rôle de l’alarme. C’est une mise à jour de mon programme. Avant l’écriture, celle du soir ou, parfois, celle du matin lorsque je me réveille tôt en plein été avant que le soleil ne tape trop durement, la promenade me permet de travailler sans contrainte matérielle. J’ai toujours admiré les écritures qui sont rythmées par les pas de la marche, comme celle de Sylvain Tesson (je parle juste de l’écriture, pas du fond) ou dans les livres de montagne ou de désert. La musique vient d’un autre moment que l’écriture en tant que telle, elle est la réminiscence d’un flot de pensée rythmé par la marche. C’est hypnotique. Un autre moment de la journée a une fonction similaire à la promenade, c’est l’instant précédent le sommeil le soir, juste avant de m’endormir. Ce moment est précieux et je prends souvent le temps de goûter cet instant en éteignant la lumière plus tôt que nécessaire. Je résous beaucoup de choses à ce moment précis, mon imagination s’enflamme avec une surprenante efficacité, comme s’il s’agissait là de l’ultime feu d’artifice de la journée.
Rituels et manies : Je ne crois pas en avoir beaucoup. Mieux, je les évite. Je connais leurs fonctions mais je les évite. Ça relève peut-être du psy, c’est juste comme ça. J’ai passé une bonne partie de ma vie professionnelle à travailler les samedis et dimanches, ou tard le soir, et j’aimais ça. J’aimais être en weekend les mardis et mercredis, j’aimais me lever à l’heure du déjeuner, j’aimais être décalé. Mais, évidemment, j’ai des rendez-vous. Avec moi-même, j’entends. Je me donne rendez-vous pour aller courir, pour ramer. Comme pour manger. J’écris sur mon portable MacBook Air. Lorsque j’avais un ordinateur fixe, la notion de bureau était moins symbolique mais avec la mobilité, l’idée est devenue évanescente. J’utilise le logiciel de traitement de texte Pages, police Helvetica Neue 11, espacement simple, compteur de caractères ouvert en bas de page. J’y jette parfois un oeil. Là, je suis à 9163 caractères. Ça fait beaucoup pour une proposition d’atelier. Je verrais si je coupe plus tard. Pour corriger pleinement un texte, je lui soumets un interlignage double, je l’imprime et je le trimballe avec moi. Je le lis sur la table de la cuisine, dans un fauteuil, assis dehors sur une pierre en buvant un café, j’y dessine dessus au crayon, j’annote dans la marge, je biffe, je rature, je remplace. Ces feuilles de papier doivent être en vie.
Dictionnaires : J’adore. J’en ai de toutes sortes (d’acquisition récente, le dictionnaire amoureux des dictionnaires, d’Alain Rey, est ma dernière source de délire). J’aime cet ordre apparent qui, en vérité, quand on s’attache aux sens des mots, est un grand foutoir. J’adore puiser dans le hasard des pages et des successions de définitions de quoi nourrir mon imaginaire. Pour écrire, j’utilise essentiellement deux sources. La première est le Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi) présent sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (www.cnrtl.fr), que je ne manque pas de parcourir également quand j’ai besoin d’affiner ma recherche. La deuxième source que j’utilise pour débusquer les mots que je poursuis est le Thésaurus chez Larousse. C’est un dictionnaire où les mots sont classés par idées. Là aussi, quand je m’y plonge, je dois faire preuve de fermeté envers moi-même pour ne pas succomber à l’appel de la course folle et du rebond intempestif parmi les pages de l’ouvrage. Les nombreuses marques de tasses à café sur la couverture témoignent de mon désir d’apprivoiser cette envie irrésistible en posant sur le livre un objet fragile afin de ne pas l’ouvrir à tout bout de champ.
Que reste-t-il de tout cela, chante Charles Trenet ? Quelques mots couchés dans des fichiers de traitement de texte, enregistrés sur le disque dur de mon ordinateur et, par souci de sauvegarde, sur un disque externe que je mets régulièrement (plus ou moins) à jour. Parmi les textes que je compose sans autres commandements que mon seul plaisir (hors activité professionnelle donc), rares, au final, sont les fichiers qui change de statuts pour devenir une feuille imprimée. Rares, aussi, sont les textes qui dépassent l’horizon de mes yeux. Les réponses aux propositions de François Bon ont la chance de voir un peu le jour sur le blog de l’atelier du Tiers-Livre et d’être soumis à votre oeil bienveillant. Parfois, même, ils s’évadent dans les pages de quelques livres collectifs, voire s’échappent de la bouche de lecteurs attentifs, tels Bruno Lecat et Françoise Renaud (que je remercie encore pour avoir fait prendre l’air à ces mots enfermés). Leur offrir un site web perso ? Pourquoi pas, l’idée me trotte. Mais j’aime si peu m’acharner dans des problèmes techniques de langage html ou d’indexation, là où ce temps précieux me servirait à rêver…
Beaucoup d’intérêt à lire ces mises en écriture, les lieux, les moments, la manière d’en parler, la sincérité qui s’en dégage. Une émotion à lire cela.
Merci pour ton intérêt. On a tous beaucoup de choses en commun me semble-t-il.
« Pas de problème d’étincelles » ! Quelle chance ! J’aime votre façon de vous adapter, ou mieux, d’aimer les lieux nouveaux. (je me rappelle encore avoir essayé, jeune, d’attraper des haikus dans des champs). C’est vrai que n’avoir qu’un l’ordi portable libère de la table et du lieu fixe, n’avais pas pensé à cela.
Belle image que d’essayer d’attraper des haïjkus dans les champs. C’est exactement ça. Merci pour votre retour.
Ou comment se retrouver dans les pensées et écrits des autres… la sensation de ressentir les mêmes choses parfois, et de se sentir reliée.
Merci pour ce joli texte et moments d’écritures.
Je crois aussi qu’on vit beaucoup de choses identiques, qu’il existe une liaison par nos réflexions. Nous lire, c’est explorer des pistes en chacun de nous. Merci.
Des idées attrapées dans des livres. Par exemple, Perec, pour moi, est hautement inflammable. Chacun trouve son carburant. Merci pour cette belle promenade.
Merci Laurent. En plus, les livres sont une énergie renouvelable et inépuisable.
il y a qqch qui fait très envie dans ton écriture voyageuse à moi qui ai besoin de me poser. J’aimerais pouvoir écrire comme ça, mais cela ne produit que de minuscules choses (même si j’écris généralement vite). je fais des photos dans ces conditions non-installées.