J’écrivais dans mon lit, je m’endormais et je tachais mes draps. Sur des cahiers Clairefontaine petit format, petits carreaux, toujours les mêmes. J’écrivais dans le train, écriture debriefing avec moi-même, ou sur de tout petits papiers (enveloppes, pages d’agenda petit format), argumentaires à développer. J’écrivais à coup de cigarettes et de café sans pause, une sorte d’ivresse sous le coup de l’urgence et de la colère, l’envie d’en découdre. les mots comme arme fatale.
Il faut que je me calme, ne lis surtout pas par-dessus mon épaule, jamais je ne lirai mon texte en public. Comment je suis passée de la hantise qu’on me lise à l’envie qu’on me lise. Comment la plume facile ne suffit pas à écrire un livre. Il faut de la patience, de la persévérance, c’est sûr. De la motivation aussi. Voilà que pointe le découragement. Déjà ! Aller au bout d’une intrigue, développer, retravailler, corriger, jeter. Y mettre de soi, beaucoup de soi, en gardant la distance. Sans technique un don n’est qu’une sale manie.
Je choisis un pseudo, ma mère meurt ; cela m’aide un temps. Pas longtemps. Je me fais biographe, je me fais généalogiste ; cela m’aide un temps d’écouter l’histoire des autres ou de raconter l’histoire des morts. Pas longtemps. J’écris des recueils de nouvelles, j’écris sur mes séries photographiques, je publie, enfin quoi j’autopublie. On me lit, pas beaucoup, mais un peu.
J’ai une chambre à moi, un ordinateur, du temps et aucune difficulté à me servir de tout ce qui m’arrive pour en faire un motif d’écriture :voyages, promenades, rencontres, actualité, politique… J’écris sur tout et j’oublie au fur et à mesure. Juste un peu de temps, n’importe quand, du silence et une envie. J’ai l’écriture impulsive. Qu’est-ce qui ne va pas. Un peu journaliste de ma vie, en déplaçant, fictionnant, créant l’écart pour montrer ma vision du monde; ça devrait être dans mon blog et ça n’y est pas souvent; schizophrénie des lieux où je pose mes textes, à interroger. Promenades dans la nature et promenades sur internet, bien différentes, à bien doser pour ne pas se perdre, exploser. Et puis des livres qui s’empilent, s’entassent, donnent des angoisses d’échec (et de rangement à venir).
Un roman achevé dort dans mon ordinateur. Mes relectrices ont déclaré forfait. C’est drôle, le français n’était que leur langue d’adoption, je m’en aperçois maintenant. La recherche d’éditeur ? Épuisant, aussi rébarbatif que de faire ses comptes. Atteinte de phobie administrative. Un agent littéraire, un style plus déjanté, plus halluciné, moins encombré de logique et de documentation, ça me tente, mais il est plus difficile de changer de style qu’au chameau de passer par le trou de l’aiguille. Je ne vise pourtant pas le royaume de Dieu, ou peut-être que si.
Je manque de rituels, de manies, de dictionnaire. De sérieux aussi, de me prendre au sérieux quand j’écris. J’aime essayer des trucs, des logiciels, des manières de mettre en page, de traiter les photos, d’apparaître sur les réseaux sociaux. Tout cela pour écrire sous Openoffice et corriger avec Antidote et me servir simplement d’un Petit Robert et de son dictionnaire des synonymes. Je manque de cette petite étoile qui me guiderait, me dirait que ce que j’écris n’est pas que bien écrit, mais nécessaire, important, fondamental, pédagogique. Renouvelle le regard. Éclaire le passé. Montre l’avenir.
Un roman en cours. Tout est là. Il ne reste qu’à le terminer. Il ne reste qu’à l’écrire au lieu de…
« Comment je suis passée de la hantise qu’on me lise à l’envie qu’on me lise. » c’est une question: écrire sans avoir (un peu) l’envie d’être lue?
j’aime qu’il y ait toujours de cette colère… et la logique et la documentation (ce sens politique qu’on trouve dans tes textes) surement que Dieu est aussi par là?
Merci Nathalie d’être passée me lire. La colère est un moteur puissant pour moi et que je ne crains pas; il y en a aussi chez toi, n’est-ce pas ?
je trouve ma colère bien paresseuse
un style plus déjanté, plus halluciné, moins encombré de logique et de documentation, ça me tente.
Je me souviens d’un texte hyper documenté que tu avais mis en « chantier ». Tu butais sur la suite. Ce style halluciné dont tu rêves est peut être une façon de sauter l’obstacle.
mais il est plus difficile de changer de style qu’au chameau… Ça c’est pour faire peur aux enfants.
Laisse toi tenter !
Merci Bernard. Je butais sur la suite de l’intrigue, mais ça je l’ai trouvée (avec encore force documentation, personnelle cette fois et inédite). C’est le travail à fournir qui bloque. Je suis la reine des premiers jets, tout commence après.
Le ton plus déjanté, je m’y essaie avec ma chaine YouTube et la possibilité que donne la vidéo de rendre les ambiances sonores.
Le titre dit tout. Colère et grosse envie. Alors tout va bien je trouve.
Sans doute, mais encore beaucoup de travail.
je me permets de te faire remarquer que la citation est « l’avait l’don, c’est vrai j’en conviens, l’avait l’génie/ mais sans technique un don n’est rien qu’une sale manie » – quant à l’objet d’icelle (une bien jolie chanson) elle traite pourtant d’une disposition assez différente de celle de l’écriture… (encore que : la fatigue de l’édition/publication/recherche agent etc. ne s’en éloigne guère – il me semble; mais j’ai déclaré depuis très longtemps, dans ce compartiment du jeu (comme on dit au rugby), forfait) (merci de ta sincérité)
Merci Piero. J’ai bien sur pensé à la chanson de Brassens. J’adore sa formule qui peut s’appliquer à mon avis à tous les domaines de l’activité humaine. Merci de ton passage.