transversales #05 | proches

bureau(x) (symbolique(s))
il y en aurait deux ou trois – je ne compte pas le brûlé pourtant c’était le mien, il pesait sept ou huit ânes morts, ma tante avait pour projet de le poser au milieu de la pièce, face à l’entrée : ainsi pourrais-je recevoir mes commanditaires – elle est partie, TNPPI, un jour de juillet dans ses draps jaune salpétrière – ses jolis petits cheveux blancs – celui d’aujourd’hui se compose de l’écran, lequel se détache d’une petite exposition (une fusée de Tintin rouge et blanche, un cowboy de plomb, la tabatière des cailloux des images quelques effigies de lion) des fleurs séchées – un autre se détache aussi de l’écran avec l’image encadrée d’une photo polaroid « c’est juste pour régler la balance des blancs» m’a dit le photographe « je vous la donne » – parfaitement datable puisque A. n’a pas six mois – nous étions au café du coin Charonne/Ledru Rollin, nous marchions déjà (je la portais sur mes épaules) de concert – des morceaux de bois et des livres, des papiers des compas des boites de cigarillos (jamais je n’ai fumé de cigarillos) vides ou avec des trucs dedans (elles sont à ton père – elles l’étaient) – une table sans tiroir – un écran un transformateur – un lumière, dos à la fenêtre , la pièce n’est pas plus large que la table, on l’a refaite il y a quelques années, blanche, rideau blanc qui établit, avec la fenêtre une frontière avec la rue qui est une route, camions de lait ou tracteurs et tout ce monde-là passait pendant les trois mois de réclusion du printemps 20 – il faut mettre de la musique et en tous cas éteindre la radio – un casque si tu veux (ce n’est pas obligatoire) on appelle ça de la variété, ou de la musique populaire ou pop ou rock enfin on s’en fout – la musique classique aussi bien (je pense à J. qui a tiré sa révérence) – Bach qu’il aimait ou d’autres on s’en fout aussi pas mal – cette chanson de la Piaf jm’en fous pas mal c’qui peut m’arriver n’importe quoi – un peu, du moment que c’est beau – tout ça est assez hanté – il faut se mettre au travail et l’atelier y aide peut-être, comme la revue, comme le rouge qui s’en dégage aujourd’hui – libérer l’esprit, c’est entre cinq et six souvent puis ça se prolonge, longuement parfois, rarement mais du calme de la lumière de l’intensité peut-être – marcher prendre des images essayer de comprendre, reposer encore cet ouvrage sur le métier encore – il y aurait un inventaire à faire des pistes que j’essaye de suivre sans y parvenir jamais – celles du cinéma que pourtant j’ai laissées derrière moi (A. était sur mes épaules lorsque, sur le faubourg, un jour de septembre 91, nous croisions Sam qui disait à sa femme « Look at those eyes ! » rigolant – je ne sais plus s’il fumait le cigare – dix ans avant sur le pont Neuf il me disait d’arrêter avec ces conneries, ces enquêtes et de faire du cinéma, d’y aller, de continuer cette voie-là, il faisait nuit et doux et beau et il fumait – il me disait qu’il n’était pas un seul jour sans penser à la mort – ces choses-là vous hantent – je ne sais plus quand mais on avait marché aussi sur ce pont quand Christo l’avait emballé d’ocre – ainsi qu’on est allés voir les sculptures d’Ousmane Sow quand il les avait exposées sur le pont des Arts (si par hasard on y croise du vent, ne pas s’inquiéter : il ne s’en prend qu’aux fâcheux) de même que cet emballage bleu et argent qui rendait presque beau cet arc et ce triomphe du haut de l’avenue, la flamme de la soldatesque, inconnue sans doute, y brûlait encore – ces choses qui nous viennent à quarante ans d’écart – quand le vent hurle au loup dessous le pont au Change, (…) là-bas où le destin de notre siècle saigne chante Ferrat – on s’installe, le clavier, la tasse de café, le stylo qu’on ronge et les livres qui attendent et les affaires pendantes – celles de l’écriture commencée sur un cahier noir et rouge, papier jaune ligné dans la marge les films qu’on avait été voir, les réflexions, le temps perdu dans le train qui va à Calais, les trains, les horaires et le Chaix – vingt-cinq ans, pourquoi faire ? – la chaise est jaune, un coussin, crème, les pieds sont croisés ils portent des chaussons sur le parquet les jambes sont pliées – le troisième étage – aujourd’hui dans la rue tombe la neige – très souvent c’en est presque devenu un rite, Bird Lament version longue Moondog, répétitive et blasée – les lignes, les principes, les choses sur lesquelles on ne transigera pas : et puis passent les années, le temps, les rides creusées et les rhumatismes articulaires, les coronaires et les ordonnances, et puis non, on ne transigera toujours pas – il faut se promener pourtant, aller ici ou là, l’écriture comme un passe-temps de vieillard – des choses à faire et à dire : incarner et décrire, stabiliser et détruire aussi simplifier – descendant le boulevard hier et croisant la rue Cujas, le cinéma dédié à Debord remplacé par quelque chose de l’immobilier non, de l’épargne, il était titré accatone (ça veut dire mendiant en italien – c’est le titre d’un film de PPP, Rome sa banlieue ses turpitudes – la plage d’Ostia et la voiture qui roule sur son corps une fois, puis deux – le quelque chose avec l’Italie, la colonie puis le protectorat – la mer bleue, toute la vie… – toutes ces pistes à suivre, à parcourir, à inventorier peut-être) – celles des voyages immobiles, la mer Noire et la guerre aujourd’hui, sans cesse, jamais, regarder partir et revenir – il faudrait poser des liens à chacune d’elle, les séries, les titres de chapitres, les onglets, la colonne de droite, ranger penser classer implémenter revenir recourir relire et rédiger encore ces histoires-là – les parents, ceux qui nous ont donné quelque chose comme la vie, cette façon de voir et de vivre et de commenter – refaire du café

l’image d’entrée de billet montre mon père (il a au premier plan les yeux fermés) derrière lui, le sien qui porte en ses bras le petit C.(vaguement le sentiment que mon grand-père (paternel) donc porte des boutons de manchette) (disposition, distinction, classe) et son frère E. (il est de profil et sourit à sa fille) il s’agit de l’oncle de mon père, survivant de son frère (un jour de février quarante-cinq il me semble, ils se sont rencontrés tous les deux du côté de Mulhouse ou quelque chose (il en parle dans son cahier) : de quoi parlèrent-ils ?) : les deux sont là, avec leurs enfants, souriants, ça doit se passer quelque part sur la côte) : elle doit dater de 1930 si tu veux mon avis – c’est aussi une autre des pistes qu’il faudrait suivre (pour quoi faire ?) (on a des choses à lire, et à apprendre) – et des voyages à suivre – et des chemins à arpenter – je la repose

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

8 commentaires à propos de “transversales #05 | proches”

  1. Tant de pistes et toutes ces amorces. Des histoires dont tu ne nous donnes que si peu. Peux-tu imaginer une fois qu’on aimerait en savoir plus de ton univers intérieur où tu ne nous laisse entrer qu’en entrouvrant une porte vite refermée ?

  2. …un jour de juillet dans ses draps jaune salpétrière – ses jolis petits cheveux blancs (cette image me remue beaucoup) : la couleur jaune et le blanc. Comme une « encoche  » elle fait l’image ( encoche le mot lu chez Toussaint) Et le bureau: sept ou huit ânes morts… dans le rituel des écritures il y a beaucoup de monde, des absents-es. Il y a des voix, de la musique et des chansons; des visages sur des photos, un dédale de pays et de rues ( leur joie à porter les enfants sur la belle photographie de famille) et plein de pistes… même du rouge

  3. Émouvant entrelacement de souvenirs, de saynètes qui pourraient être des fragments de récits à venir, la tante aux jolis petits cheveux blancs dans ses draps jaune salpétrière, Sam sur le Pont Neuf, les sculptures d’Oman Sow , du contexte du travail d’écriture ainsi que d’une réflexion sur le temps qui passe.
    Écriture foisonnante et mélancolique.
    La photo, au prime abord je pensais que tu étais le petit garçon aux yeux fermés qui souriait à ses images, ses rêves peut-être. Et en fait c’était ton père.

  4. Rétroliens : #40 jours #02 | – Tiers Livre | les 40 jours