dans le train les petits enfants s’étaient réunis dans le couloir et semblaient jouer une pièce improvisée parfois entrecoupée de certains murmures agacés de passagers ou même de certaines grosses voix de silhouettes se profilant et qui devaient appartenir à leurs parents tant leur démarche déterminée et leur ton familier alertaient déjà de loin les enfants de façon entendue ou souvent les faisaient même rire à l’excès Moi, je serais
Marco Polo sur son cheval ! Moi, je serais Kubilaï Khan dans son palais ! Moi, je serais les chevaux ! Moi, je serais les oiseaux, non, les rapaces ! Moi, je vendrais les soies ou le sel ! Moi, je serais Kubilaï Khan qui raconte les histoires avec Polo ! Toi, tu fais Polo ! Comme ça, on est plusieurs à raconter les histoires ! quelques-uns d’entre eux avaient un fort accent vénitien qui donnait du relief à leur petit spectacle narrant les histoires du lagunaire Marco Polo parti pour la Chine au moyen âge – le camp chinois avait eu recours lui au maquillage- l’un d’eux avait même dit habiter à venise là où le grand voyageur et sa famille avaient vécu et où de nos jours s’érigeait le célèbre petit théâtre Malibran qui souvent faisait s’alterner les dramaturgies et les ballets au centre en extérieur de dédales bien étroits non loin de la Piazza San Marco et de son or baroque qui arrivait alors qu’elle se réveillait et se rendormait (la tête inclinée sur le côté) de façon aurait-on dit transversale sur ses paupières à demi-baissées et que celles-ci laissaient donc entrer les pierres précieuses aux mille reflets les statues des saints aux mille histoires et les architectures dentelées prenant si bien à venise et de façon surréelle la douce lumière infusée du soir ne voulait-elle pas justement arriver après la Sicile à Venise pour s’y arrêter…Les enfants semblaient répéter une pièce à partir d’improvisations cousues de fils dorés qui les enveloppaient dans une autre chaleur que celle du train tellement leurs visages s’illuminaient et leurs expressions s’animaient aussi bien dans le regard des autres et leurs gestes suivaient délicatement le cours en arabesque de leurs pensées tout occupées à donner forme à des mondes pouvant aussi être faits d’ombres chinoises dessinées par leurs petites mains potelées sur les portes des compartiments C’était alors l’occasion de se taire et de laisser parler les silences leurs discours laissant la place à l’imagination au grand plaisir des passagers soulagés ou (parfois quand il le voulaient bien) aussi sollicités par le jeu muet des jeunes acteurs s’adressant à eux dans une gestuelle spontanée, ce qui lui avait inévitablement rappelé la manière d’enseigner de certains professeurs d’art dramatique de son école à Damas là où elle s’était formée et qui reprenait en fait les plus simples méthodes d’improvisation et de gestuelles théâtrales à partir desquelles pouvaient se structurer de manière presque définitive en vue des représentations textes idées auteurs et pièces (soit la méthode de travail qu’avait fait sienne entre autres mais celle-ci elle l’admirait ! la danseuse américaine Trisha Brown du groupe Fluxus celle qui avait aimé à répéter avec d’autres dans les souterrains d’une église protestante de New York et à laquelle souvent elle s’identifiait) Pour de nombreuses de ces improvisations elle avait pu recevoir de Mansour son prof préféré seules des bribes de textes quelques fragments lignes même souvent via la messagerie Whatsapp de son téléphone portable dont il aurait fallu tirer du matériel et de la substance comme un miel ou du lait à verser par la suite dans un creuset de paroles gestes silences tous aptes ainsi à puiser dans une écriture qui était souvent dans le cadre des cours de ce prof bien précis une écriture filmique d’emprunt et lacunaire doublée d’une écriture romanesque ou dramatique ainsi démultipliant les points d’accès les regards les angles et les lectures en arrivant cependant à les épaissir les augmenter sur scène disait-il comme un roux une pâte et auxquels elle rêvait maintenant à demi dans ce balancement et ces voix du train cachés derrière tous ces textos reçus qui lui avaient alors fait l’effet d’indices de chasses aux trésors ; dans l’un des derniers messages reçus de Mansour un texte vide accompagné d’une multitude d’images très variées l’avait fait s’interroger elle était partie avant d’avoir pu lui en parler