transversales | pourquoi je ne fais rien (codicille pour un silence)

Un père emmène son fils sur une île déserte coupée de tout pour vivre une expérience survivaliste; le père est habité par son obsession, le fils le suit par devoir filial. ils font de gigantesques provisions de viande qui peu à peu pourrissent. Le fils se suicide. Je ne me souviens de rien d'autre.

Bien sûr, il y a le printemps qui arrive et le jardin à préparer, bien sûr il y a quelques soucis de voisinage avec le démolisseur-constructeur à ma porte, bien sûr il y a aussi la gestion (et le financement) de ces gros travaux d'entretien de la maison, mais la vraie raison n'est pas là. Transversales me fait réfléchir aux histoires, à mon goût des histoires. je me dis raconteuse d'histoires, je me dis grande lectrice et je suis incapable de me rappeler les péripéties des histoires que j'ai lues. L'ambiance, les personnages, les rencontres me reviennent, mais rien de ce qu'on appelle l'histoire avec un début et une fin, un objectif à atteindre, une question à résoudre. Rien, rien, rien ! Juste le passage du temps sur les personnages, comme s'il ne se passait rien d'autre que le temps qui passe et transforme les êtres, fait évoluer ce qui était en germe et qu'on pouvait deviner.

Je ne me comprends plus. je ne comprends plus ce que j'appelais mon goût des histoires. C'est comme si les seules histoires que j'aimais étaient celles où le temps fait son oeuvre. Le destin qui n'aurait rien à voir avec la volonté du héros ? Je sais un peu les histoires que je déteste : celles qui sonnent faux, celles de pure invention où la dynamique des personnages est irréaliste, celles où les réactions des personnages sont expliquées après coup par des traumatismes abracabrantesques révélées in fine.

Pourtant j'aime les histoires de folie, de mensonges, d'obsession qui conduisent à des fins inéluctables. L'histoire d'une soeur qui veut honorer son frère mort et renonce pour cela au mariage et à la vie. L'histoire d'une femme qui chaque année traduit un nouveau roman d'anglais en arable et ne fait que cela. Je ne me souviens plus des histoires. Alors, les développer, savoir comment elles commencent, je ne sais plus. Je réfléchis et je ne trouve pas.

Est-ce que cela me dérange ? Pas du tout ! J'ai envie d'apprendre à écrire autre chose que des fragments, ou alors des fragments qui s'enchaînent, j'ai envie de sortir des propos elliptico-didactiques (c'est un mot qui m'a plu dans le dernier livre d'Edouard Louis changer : méthode). C’est quand même assez inconfrotable pour dire vrai de s’apercevoir qu’on ne se souvient d’aucune des histoires qu’on lues, de ne pas arriver à retrouver ce qui fait avancer l’histoire.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

26 commentaires à propos de “transversales | pourquoi je ne fais rien (codicille pour un silence)”

  1. Une histoire ou l’on ne se rappelle plus des histoires, tu es une championne de l’esquive. Bravo. (écriture façon aïkido)

  2. Danièle Godard-Livet, j’ai la même problématique. J’aime votre verbe « avancer ». Les livres que j’ai lu, j’ai parcouru avec eux. c’est ce « parcours » dont je pourrais me souvenir. L’histoire, je ne sais plus. Merci pour cet aveu que pourrait être le mien et qui ouvre je pense un espace très riche de réflexion sur la réception d’un texte.

  3. Et si l’objet de la lecture était de vivre une histoire et pas de s’en rappeler ? Je veux dire que ce qu’il en reste au plus profond de nous d’un livre n’est pas forcément une histoire, ni même une ou plusieurs images, mais quelque chose d’indéfinissable qui relève de l’odeur, de la sensation, du sentiment. Ça marche comme ça pour moi.

    • Tout à fait ! Mais comment crée-t-on ce voyage où on embarque le lecteur ? Pour qu’il continue à cheminer… Il y a des livres que je pose au bout d’un chapitre, des fois même sans aller voir la fin, des fois en allant voir la fin pour connaître la fin de l’histoire justement. Et ces livres qui commencent par la fin et qu’on lit pour connaître le cheminement . Le mystère s’épaissit pour moi.

  4. Comme Jean-Luc.
    Je peux me rappeler du lieu ou du moment où j’ai lu tel livre ou auteur, la sensation de la lecture et ce qu’il m’en reste mais l’histoire, non. Quant à l’écriture, en ce qui me concerne, je ne maîtrise pas ce qui vient (mais je sais avec force que quelque part, ça me concerne).

    • Ne pas maîtriser ce qui vient est un grand bonheur quand on a solidement démarré qqch…mais a-t-on accroché le lecteur pour qu’il ait envie de continuer ? Et comment tout cela finira-t-il ? Je ne me pose peut-être pas les bonnes questions, mais ces transversales me travaillent.

  5. Il n’y a pas que l’histoire, il y a la voix, il y a le rythme, il y a un chemin dans lequel on entre ou pas ! il y a ce qui nous permet de rester dans la sensation, de flotter au dessus. Pour moi, c’est ça la lecture, la vraie, un abandon. Merci pour cette réflexion Danièle .

    • Je suis bien d’accord et je m’étonne même d’oublier à ce point les histoires. Pourtant, il me semble qu’il faut une progression dans un récit et que c’est aussi ça qui attache le lecteur.

  6. Merci Danièle d’ouvrir cette brèche de l’effacement des histoires…suis en plein de dedans et c’est pénible !

    • effacement des histoires ? Je ne sais si je pourrais dire cela alors que tout est fait pour nous raconter des histoires (dans les séries par exemple). Je constate simplement que je suis incapable de m’en souvenir après et que ce n’est pas ce qui reste ; pourtant c’est en partie ce qui m’a attachée au récit : qu’est-ce qui va lui arriver ?

  7. Merci pour ce texte où je me retrouve. J’accumule les fragments, j’avale les histoires, mais je ne sais pas ce que je veux raconter. Merci de le dire tout haut.

    • Je crois que je sais ce que je veux raconter, ma problématique serait plutôt de savoir comment le faire en intéressant le lecteur et en sortant de la facilité des fragments (qui me viennent sans effort sous forme d’historiettes)

  8. Merci Danièle pour ces questionnements qui font écho – Je viens de lire Le vrai lieu D’Annie Ernaux et elle dit de très jolies choses sur comment une histoire se construit pour elle, la place de l’écriture, etc.
    Bonne journée.

  9. Merci Danièle. Je me sens moins seule…Cette proposition a aussi réveillé ce constat d’oubli qui parfois me désespère. J’aimerais que les histoires lues m’habitent longtemps et durablement, que je puisse les convoquer aisément. Alors je me dis pour me consoler que mes lectures impriment sans doute en moi quelque chose d’invisible, d’imperceptible, même si j’oublie… Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle moi aussi j’accumule des fragments en écriture. Des petits bouts de monde, détachés les uns des autres. Avec comme fil quand même des obsessions et un regard j’imagine.

    • Merci Emilie. Je ne pensais pas que mon propos éveillerait autant de commentaires. Je prends cette proposition comme une incitation à réfléchir sur cette notion d’histoire qu’on croit indispensable mais qui n’est peut-être pas si importante que cela. Pour moi, c’est la remise en cause d’une croyance bien ancrée et cela me fait avancer (immobile pour le moment, mais en pleine réflexion).

  10. Merci pour ce partage, Danièle. — Ces Transversales me travaillent aussi, en partie parce qu’elles m’ont coupé l’herbe sous le pied de L’écrire-film. — Concernant les histoires, je suis aussi sur le même bateau : j’ai été incapable de choisir tel ou tel livre pour compresser des histoires dont je ne me souviens pas. J’en ai pris mon parti pour faire avec les livres du moment, et les histoires que j’avais sous la main (à la télé, à l’hôpital où je me retrouvais — j’en suis sorti), donc en intégrant en partie ma propre histoire, en essayant de la compresser. — Je sais, c’est tricher. Et j’ai d’ailleurs eu du mal à faire avec ça pour les deux autres Transversales liées que je n’attendais pas. — En tout cas, je me suis laissé porter par la dérive initiale en utilisant comme je pouvais les consignes de f. Ce qui ne fait que confirmer que « l histoire m importe peu en fait mais j ai besoin que qqch avance ». — Quant à la question de savoir: « Comment nommer cela ? » Je n’ai pas vraiment de réponse. Je dirais bien : écriture, mais c’est une pirouette.

    • Merci de ton long commentaire. je suis un peu loin du collectif en ce moment et je n’écris absolument rien. ça va revenir, mais pas tout de suite. Je lis encore. Et je pars en vacances : première étape Chalais ! (comme quoi ce la va devenir un haut lieu) On retrouve des amis (ceux de Chalais) et puis on part. Il faut que je leur fasse lire « Retour à Chalais »

      • Alors belle étape à Chalais. — Pour ma part, j’ai le problème inverse : je devrais arrêter d’écrire un moment et lire un peu plus. Mais je ne voulais pas rater un atelier avec des films et un petit travail sur l’image. — J’ai toujours aimé regardé les images dans les livres. Je crois même que c’est comme ça que j’ai commencé à lire : en regardant les images, le texte en arrière-plan, comme un paysage auquel on ne prête pas d’abord attention et qui finit par sauter aux yeux ! — Bonne vacances Danièle.