Il n’y a pas cinq minutes que j’écris et c’est déjà fini. Quoi ? L’écriture. L’écriture est finie. Qu’est-ce que ça veut bien vouloir dire ça, l’écriture est finie ? Un texte, une phrase peut se finir, mais l’écriture ? Le temps d’écriture peut finir. C’est ça qu’on veut peut-être dire. C’est déjà fini et je sais bien que je ne remettrais pas ça demain. Je sais très bien. Pourquoi ne pas faire journal ? Pourquoi ne pas noter des choses banales ? Accumulées, elles dessineront bien une forme. Pourquoi ne pas accumuler dans des carnets, des mots et des idées ? Il y a des carnets neufs, encore emballés, jamais utilisés, il y en a plein dans la bibliothèque. Est-ce qu’il y a un carnet dans la tête ? Un carnet monstre qui avale et archive, digère et recrache, le moment venu, juste ce qu’il faut du suc attendu. Écrire comme on digère. Lentement. Ecrivain-vache à huit estomacs de ruminations ruminantes. Écrivain compressé dans l’illusion de l’écriture-jus du quotidien qui t’avale. Du travail qui t’avale. Ou que tu laisses t’avaler, plutôt. Des fantômes qui trainent partout dans les placards et dans le lit. De ceux qui te réveillent la nuit et dont tu n’arrives toujours pas à faire des personnages. Écrivain pas-le temps-de-l’être. Un jour, j’ai arrêté de considérer ça comme un problème. Un jour j’ai posé la question. Si j’avais plus de temps, est ce que j’écrirais plus ? J’ai répondu non. Fin de l’histoire, dossier classé. Retournes bosser. Et pourtant. Il y a quelque chose qui tourne en rond avec cette question de l’écriture. Est-ce qu’il faut lui faire de la place ? pousser les meubles, ouvrir des fenêtres et faire du temps pour l’écriture ? Est-ce qu’il faut forcer le trait ? Est-ce qu’il faut se forcer ? Est-ce qu’il faut, comme on dit, se donner du mal ? Est-ce qu’il faut travailler ? Qu’est-ce que je fais quand j’écris ? Je ne travaille pas, je vomis. J’ai dit un jour, je n’ai jamais écrit plus d’une demi-heure d’affilée dans toute ma vie. Sauf peut-être au travail, elle a répondu. Qu’est ce qui change au travail ? Est-ce que la contrainte du temps donné par le cadre ? Est-ce que c’est la conséquence possible du retard de l’écrit ? Est-ce que c’est les enjeux qui se cachent à peine, dans ces écrits-là, qui t’accrochent un peu plus face à l’ordi ? Est-ce que c’est la bête obéissance programmée du salarié ? Je ne sais pas. Trente-six points d’interrogation, c’est long. Voilà la flemme qui se pointe. Ce merveilleux mouvement que je connais tellement bien. Ce tellement doux mouvement du c’est très bien comme ça. Pourquoi en rajouter ? Est-ce que je pourrais m’arrête là, à seulement seize point d’interrogations de la fin ? Est-ce qu’il y a vraiment trente-six questions disponibles, là tout de suite, maintenant dans ma tête ? Est-ce que je peux faire la liste de ses questions ? Enfin, il n’en faudrait plus que treize à présent. Est-ce que tu n’es pas un peu en train de te foutre de nous ? De te décaler encore, histoire de ne pas t’y coller ? Qu’est ce qu’il y a d’effrayant dans la longueur de l’effort ? L’effort n’est rien. Je peux marcher douze heures. Mais l’écriture c’est différent. C’est la longueur du rien qui m’effraye je crois bien. Ou est ce qu’il y a quelque chose de plus abstrait, de moins facile à deviner ? L’alarme sonne. Il va falloir s’arrêter ? Est-ce qu’on peut reprendre un texte comme ça, après l’avoir juste laissé ? Est-ce qu’il faut s’accrocher, tant pis pour ce qu’il y a à faire à côté ? est-ce qu’il faut tenir le petit fil à pleines mains, ne pas le lâcher. Il faut se faire baudrier. Il faut regarder ses mains. Les imaginer cloquées. Il faut arrêter de se mentir. Est-ce qu’on peut s’en aller là d’un coup comme si de rien était ? Ouvrir une autre page, un autre projet. Arrêter d’accumuler des projets. En finir un. Est-ce qu’il faut se pardonner ne pas l’avoir fait ? Est-ce qu’il faut toujours avoir des regrets ? Écouter les crapauds dehors et la nuit qui vient dedans. La soufflerie du frigo qui ramène à l’instant. L’eau boueuse dans le siphon, après. Est-ce que quelqu’un vient à présent ? Je n’ai pas la dernière question. Je m’interromps.
Beau compte à rebours! J’ai bien aimé la notion du temps ( le temps qu’il faudrait, le temps qui nous est accordé, le temps que l’on voudrait pouvoir modeler à sa guise) abordé avec beaucoup de poésie dans ce texte… bravo Line
Merci Géraldine pour cette lecture, et quel bonheur de retrouver dans les textes de tous, des questions qui reviennent !