Je ne suis pas écrivain mais j’écris essentiellement dans mon jardin. Car oui, mon bureau, c’est mon jardin. C’est un vaste champ d’expérimentations avec ses pages et ses lignes d’écriture. Je n’ai pas de rites ni de manies. J’écris à toutes les heures du jour et de la nuit. Ça dépend des jours et des nuits. Je crois que j’écris tout le temps en fait. J’écris le jour pour ne pas faire de rature, j’écris la nuit en faisant quelques bifurcations. Je ne suis pas très sage et je me déplace d’un point à l’autre de mon jardin pour tâter le terrain et tester une nouvelle écriture, un nouveau sujet, pour semer et faire germer des graines d’idées, pour planter et voir la plante pousser et donner des fruits. Des fruits pour moi, mais aussi pour les oiseaux et les musaraignes. Pour les oiseaux qui gazouillent hors de la toile et qui me laissent des plumes dont je me fais un stylo. Pour les musaraignes qui laissent, avec leurs crottes, de quoi inscrire sur des feuilles de cerisier, avec les plumes de pigeons ou de tourterelles, toutes mes divagations. Puis je prends un fil d’araignée et je relie toutes ces feuilles pour m’en faire un livre, ou un rideau que j’accroche au pas de la porte de mon bureau, qui est mon jardin. Jamais de précipitations, mais toujours beaucoup de réflexion pour inscrire d’un jet net et sans bavure ce qui me meut et m’émeut. Une fleur ? Le ciel ? Un arbre ? Un pinson du nord ? Une mésange ? Un chat qui grimpe à l’arbre malgré ses quinze ans ? Une plante ? Un fruit ou une aromatique ? Autant de motifs pour inscrire sur de petites feuilles ce qui me meut et m’émeut. Je passe d’une terre aride à une terre humide, de petits monts à de petites déclivités qui me permettent de marcher et de penser à toutes ces sources d’inspiration. Il faut toujours tâter le terrain avant de se lancer dans cette page blanche qu’est devenu mon jardin qui ne s’épuise jamais et se renouvelle sans cesse au gré du temps, au fil des saisons. Toujours et jamais tout à fait le même. Un peu comme le dictionnaire que je n’utilise pas mais dont j’use les parois.