Il faut attendre, encore, attendre l’autorisation pour rentrer, sourire platement à la sécurité, écouter les soignants sans trop en dire. Dans les couloirs, c’est un drôle de vacarme entre le rentre-dedans des hystériques et les hallucinations des psychotiques, ça pu l’humanité désinfectée comme un essai de sublimation entre les prises en charges. La souffrance prend corps dans les échecs du mieux. On dirait vaguement les tintements des verres et les claquements des langues familières : une forme de délicatesse dans les recoins d’un lieu de vie, d’heures de repas partagés, des cigarettes réclamés et volés entre deux rendez-vous vivement encouragés.
Pour l’autre aussi, il y a cette attente impatiente. C’est un jour spécial quand il y a de la visite. C’est une petite interruption dans les échos de la durée. Une échappée de l’enfermement. Elle savait qu’il venait alors elle a quand même mis un joli fond de teint pour masquer les marques, du rouge un peu plus vif et du mascara pas trop foncé. C’est la bonne figure de la normalité. Pourtant, elle a perdu du poids derrière le trait qui souligne le regard, elle flotte un peu dans ces habits. Ça cache l’irrégularité des mouvements et les bordures du squelette. C’est que l’orgueil pointe le bout du nez quand il faut sauver les apparences.
Ils se retrouvent comme une première fois. Tout est à découvrir, des pieds à la tête. Mais les rôles sont un peu inversés. C’est la vieille maintenant qui est là, vulnérable. Les pieds déformés par le dépassement sentent toujours la crasse : on n’enlève pas comme ça les années de marches. De marches et de démarches. De montée et de descente dans la maladie mentale. Le chagrin colle à la peau. Ses cheveux blancs forment une jolie couronne autour de son visage creusé par l’alcool. Les cernes violacés de la fatigue environnante supportent les coups d’œil translucide, trop bleu pour ne pas être coalition. Et puis, il y a tout ce qu’elle ne raconte pas, mais laisse percevoir : les temps gris entre l’insensé et la déraison, la solitude de l’endormissement et du réveil. La prise de conscience doucement d’être encore là, dans cette chambre en passage. Et puis dans le regard, la nécessité de la présence de l’autre en matière d’altérité et d’amour. La répétition heure par heure, phrases par phrases. Traits incrustés de l’égarement dans le dédale anxieux. Il faut retrouver l’envie d’échapper encore une fois. Il faut un fil conducteur pour remonter à la surface, ce qui nous a échappé ces années, ce qu’on a jamais su sans trop rien dire.
Le passé déborde parfois dans le comportement trop visible de l’anormalité. Sur son bras, les fines traces rouges des aiguilles affichent une carte veineuse en cascade. Il a envie de demander ce que c’est. Il se tait à cause de la peur, la peur de perdre un peu plus ce lien en torsade qui les réunit dans une pièce. Il a envie qu’elle perce une bonne fois pour toutes le silence englué de la dépendance. Mais il sait. Il sait que ce sont les injections d’utopie politiquement correcte en intraveineuse. Sa peau, ça fait comme une carapace à force d’endurer. Le tissu est devenu tendu. Tendu, c’étaient ses mêmes bras qui enfant le rattrapait contre les rochers, pour lui apprendre à taper fort des pieds dans l’eau et à ne pas couler. Tendu, c’étaient ses mains qui lui apprenaient à sentir les mots et à lire le monde. Comment oublier que derrière la carapace une femme aimante se débat de l’effondrement psychique ? Les fines traces rouges ne sont plus si fines. Elles sont profondes de détresse. Pour comprendre, il faut voir et ne rien savoir. Se rappeler ne rien savoir, surtout, pour écouter vraiment et poser les bonnes questions.
C’est à elle de le détailler même si elle connaît chaque parcelle de sa barbe de trois nuits blanches, de son t-shirt plissé par le voyage, de ses cheveux tombant sur ses lunettes. Les lunettes, mal adapté à sa vue en constante aggravation, laisse entrevoir des yeux verts. Ils cherchent à capturer l’insignifiant : chaque détail est une montagne d’attention. Le regard s’éduque. C’est le problème de cette sensibilité en point de suspension. Elle s’inquiète un peu de ses cheveux blancs à cause du stress au travail et de la ville. Bien sûr, à cause de la ville, où personne ne prend le temps de regarder les branches dansées en rythme ou d’appeler leur mère. Il vient d’atteindre la quarantaine avec un mélange de hâte et d’appréhension. De hâte, parce que, enfin, il n’a plus rien a prouver de sa réussite sociale et professionnelle : ça se voit un peu dans ses pas d’homme sans hésitation. D’appréhension, à cause des rides, de la perte et de la proximité avec la mort. Ça se voit aussi à sa manière de se retourner sur les années.
Tout simplement exceptionnel !!! Merci
Merci à vous.
Merci, Océane, pour cet « Aller-retour dans la folie « .J’ai lu à rebours texte 2 puis texte 1(pas exprès) Impressionnée par la force des phrases, la façon d’écrire les perceptions et les pensées, et puis les corps. Parmi d’autres, m’ont marquée les phrases. »La peur reste sur le ventre par contre… » dans le texte 1 ; ici « Les pieds déformés par le dépassement sentent toujours la crasse : on n’enlève pas comme ça les années de marches ». M’a touchée au coeur la phrase : « C’est un jour spécial quand il y a de la visite. C’est une petite interruption dans les échos de la durée. » Beaucoup de douceur et de délicatesse aussi dans vos textes.
Merci pour votre lecture et votre retour.