qui avait sonné ce ne pouvait être que lui à cette heure-là si elle le faisait entrer il la saluerait poserait une main pesante trop pressante moite autour de sa taille elle reste immobile derrière la fenêtre retient sa respiration le moindre frémissement du rideau ou l’ombre de son visage trahirait sa présence elle ne parvient à voir que la cime du sapin planté en plein milieu du jardin si l’on peut appeler jardin un parterre de gravier il semble qu’un sapin soit la marque d’un territoire car lorsqu’ils avaient emménagé dans la maison en bois par la fenêtre de leur chambre dans laquelle elle avait installé son bureau elle voyait aussi la cime d’un sapin celui-là rayonnant majestueusement par son port et la couleur légèrement bleutée de ses aiguilles il occupait pratiquement toute la surface de la fenêtre obstruant la vue sur la route un mur végétal en quelque sorte un fond de tableau pour les flocons de neige qui s’accrochaient aux moustiquaires abaissaient lentement une tenture dentelée derrière la vitre elle posait le stylo rouge appuyait le menton dans le creux de la main regardait au dehors les branches du sapin enfiler des mitaines blanches c’est parce que les sapins n’ont qu’une seule tenue qu’ils aiment se faire habiller par les saisons les couchers de soleil enflammaient d’un voile chatoyant encore un sapin au milieu du champ se jetant dans la baie devant cette autre maison en bois et au printemps les geais bleus avaient l’habitude de venir se poser sur ses branches immobile elle les observait depuis la fenêtre sûre qu’ils savaient que dans la cuisine elle tenait prisonnier un oiseau aux ailes colorées sûre qu’ils venaient pour réclamer qu’elle ouvre la cage car elle savait bien que l’on étouffe derrière des barreaux elle qui se plaignait être enfermée dans ce lieu d’exil prolongé derrière cette autre fenêtre d’où elle observait en surplomb les risées froisser l’eau du lac glisser plus vite que les yolettes et lorsqu’à son tour elle ramait elle reconnaissait la fenêtre du cinquième étage à la silhouette derrière la vitre qui suivait des yeux l’ombre des nuages caressant l’eau sans traces traces traces certaines traces collent aux vitres la pluie ne les efface pas ces traces de doigts d’enfants détachées de leur paume de main qu’elle n’essuyait que lorsqu’elle savait qu’ils allaient revenir faire d’autres traces elle dont la main d’enfant aurait voulu se poser sur le carreau de sa chambre emprisonné dans un rideau de dentelle alors du creux de son lit au petit matin cette main d’enfant du mieux qu’elle pouvait écartait les doigts pour laisser passer le rayon lumineux filtré par les persiennes puis attrapait le glaive de poussière d’or et le chevauchait au-delà de la fenêtre au-delà du jardin du portail du grillage
beaucoup aimé ce texte qui glisse de la réalité adulte à celle de l’enfance et du rêve, grâce au motif récurrent du sapin… c’est très visuel, coloré, et cette pointe de nostalgie à la fin avec ces traces de doigts d’enfants, oui, j’aime beaucoup !
Grand retard dans la réponse…merci… les traces, on croit les effacer les oublier les perdre et pourtant elles restent toujours à l’oeuvre…