Il fallait prendre le monde comme il venait: le carton posé au milieu de la pièce et qu’il fallait maintenant remplir de toutes les expériences inutiles qui l’entouraient, les placards riches de rumeurs, les tiroirs pleins de doutes, les étagères réceptacles de ces illusions qui du sol au plafond s’effondraient sous ses yeux adolescents : ses parents n’étaient pas d’une beauté subjuguante, leur parole n’était pas d’or, ils s’étaient trompés bien des fois dans leur quête de perfection, avaient remisé leurs principes au placard quand l’orage avait menacé, avaient rempli les armoises de cadavres dont la poussière ce matin s’abattait sur elle et qu’elle s’empressait d’attraper les bras tendus, grain par grain, et de les déposer au fond du carton qui est devenu son monde – et chaque grain saisi avec lenteur, minutieusement, dresse l’inventaire de toutes ces traces humaines qui l’ont enracinée, et la plonge déjà dans l’intensité de ce qui va suivre.