Celle qui jetait des nasses dans les rivières en crue, celle qui préférait contempler la fuite du ruisseau le nez au ras de l’herbe, celle qui prit le voile par peur de ses pulsions, celle qui resta droite, digne et muette dans le vent des tempêtes, celle qui pour donner la parole aux hommes voulut bien sacrifier la sienne, celle qui portait un singe sur le haut de l’épaule, celle qui naquit sèche et le resta toujours, celle qui fit de son mieux pour devenir adulte mais dont le rire gai confisqua le statut, celle qui nageait, piochait dans les seaux de l’épicerie familiale des graines, des noisettes et de la liberté, celle qui se maria et fut veuve éplorée, celle qui divorça, se cacha dans les caves avec ses deux petits qui ne comprenaient pas, celle-là encore qui n’eut pas froid aux yeux et transcenda le siècle, celle qui portait ce prénom idiot, tellement qu’on n’arrive plus à remettre le doigt dessus, celle qui saignait en dedans sur le bleu des rubans, celle qui se peignait les ongles et laissait pousser ses cheveux, qui n’avait d’autre rôle que l’ornement des lieux, celle qui sursautait quand le tonnerre grondait, celle qui voyait des ennemis partout, envers et contre toutes les logiques assénées par de plus doctes qu’elle, celle qui confondait les prénoms de ses fils avec ceux de ses frères, celle qui sentait fort la réserve gourmande, la chemise de nuit au lever du sommeil, celle qui préférait tout truffer de lavande de peur de se sentir, celle qui aimait les piles de draps frais, les boites de babioles et les tiroirs secrets, celle qui oublia de raconter l’avant, celle qui disparût avant d’avoir fini et celle qui resta pour écrire une histoire.