#L1 Toute debout

Elle enlève ses chaussures. Elle le fait sans y penser vraiment, c’est une nécessité du corps. Elle fait glisser les lanières de ses sandales par-dessous le talon comme si elle s’apprêtait à fouler le sable. C’est le bitume qu’elle rencontre sous les pieds nus. Il vibre à chaque voiture qui passe derrière elle. Elle ne veut rien entre elle et le sol. Elle regarde l’allée s’étendre devant ses pas. Des graviers. ça tombe bien. Elle veut sentir les milliers de petites pointes mordre sa chair, la fraîcheur qu’ils ont gardé de la nuit, les pousses de mauvaises herbes glisser entre ses orteils. Elle veut incruster ce chemin dans sa peau. Pour l’instant, elle se tient devant la grille ouverte. Ce n’est pas ainsi qu’elle l’imaginait. Elle est plus petite, plus noire, comme racornie. Des traces de rouille et de mousse se sont incrustés dans les jointures. Elle l’aurait aimée imposante, majestueuse, presque sacrée. Le vrombissement des moteurs lui heurte les tympans, lui vrille l’épiderme, elle voudrait couper le son, entrer en-dedans. Même le chant régulier d’un rossignol, probablement perdu dans un des platanes de la rue, lui semble incongru, déplacé, irritant. Elle tire sur son cou pour redresser le dos, faire rouler les épaules en arrière. Une douleur vive lui pince la colonne mais elle veut entrer là toute debout, absolument droite. Elle enfonce les ongles dans la paume de ses mains. Elle reste là le regard volontairement sec. Elle attend que son corps lui donne son accord, que son corps soit tout à fait là.

https://www.tierslivre.net/ateliers/35199-2/

https://www.tierslivre.net/ateliers/l3-les-oiseaux-aux-poils-trop-longs-ne-peuvent-pas-voler/