Elle a reçu la veille le premier des livres commandés, écrit par un chauffeur de bus. « Aventures et mésaventures d’un chauffeur de bus » de Michel Brocq. Un goût un peu trop prononcé pour les jeux de mots datés, mais pour le reste elle y apprend des choses : les soucis qu’occasionne la conduite avec un véhicule dont porte à faux arrière et avant avoisine les deux mètres et l’absence de toilettes aux terminus. Son mari, toujours plein d’un savoir incroyable sur le quotidien en termes de vie de la cité, lui rappelle que le bus 21 aurait eu un terminus à Montluzin si la mairie avait bien voulu tenir sa promesse d’y construire (et entretenir) des toilettes en bout de ligne. Rien n’a été fait et Limonest cimetière (avec ses toilettes pour visiteurs) reste le terminus le plus fréquenté, privant les lissilois d’une ligne qui doublerait le 61.
Pour le porte à faux, elle a beaucoup plus de mal à expliquer, mais en gros c’est la raison pour laquelle le bus empiète largement sur le trottoir lorsqu’il doit effectuer un virage serré, celle pour laquelle les ralentisseurs et autres surélèvements de la chaussée lui sont particulièrement néfastes d’autant plus que désormais la plupart des bus ont des planchers surbaissés pour faciliter la montée des poussettes et autres usagers à mobilité réduite.
Il faudra aussi qu’elle parle un jour de la buée, autre gêne majeure des conducteurs.
Le premier dimanche de la semaine du 15 août, une semaine vide en France. Ça se confirme, un chien en profite pour faire sa promenade sans maître au matin, un homme chargé d’un gros sac (il va nager à la piscine du Rhône et préfère « rester discret ») échange sur ses vacances terminées avec une connaissance qui rentre de chercher son pain « à Tataouine ». Deux passagères âgées montées à Chasselay, assises l’une en face de l’autre sur les sièges réservés aux personnes à mobilité réduite, réjouies comme des collégiennes racontent qu’elles partent au marché St Antoine, bus plus métro D. il n’y a que le dimanche qu’elles peuvent faire ça en rentrant par le bus de midi, les autres jours, il ne fonctionne pas. Ça les sort, ça les amuse.
– Et la messe ?
– Plus jamais, avec tout ce qu’on entend !
Un ange passe, mais elles retrouvent vite leur gaieté pour continuer leur escapade et s’engouffrer dans l’escalator qui descend vers le quai du métro.
Il n’y a plus beaucoup de curés, bientôt il n’y aura plus de paroissiens dans cette banlieue de Lyon où les enfants sont encore nombreux à fréquenter les écoles privées.
Grand vide à la gare de Vaise, il y a plus de pigeons que de voyageurs. Un homme ramasse une croûte de pain qu’il émiette. Gros succès. Une femme fait de même. Ces bêtes ont l’habitude. Elle engage la conversation avec des « sapeurs » ; ça les fait rire qu’elle les appelle « sapeurs ».
– C’est plutôt les Congolais ! Nous, c’est pour la fête de l’Aïd.
– la fin du ramadan ?
– Non, la fête du mouton, trois mois après la fin du ramadan
Ils rentrent de l’office. Ils sont stylés, l’un en blanc, l’autre tout en vert, pantalon étroit, haut comme une djellaba courte, mais ils ne prennent pas le 21.
Un garçon et une fille qui parlent anglais entre eux, considèrent les horaires du 61 et se rabattent sur l’attente du 21, bientôt rejoints par une troisième. Ils vont « au taf », chez Acta, plateforme d’assurance multilingue pour les automobilistes. Ils sont hollandais, mais travaillent surtout en anglais pour les Allemands, les anglais et les hollandais.
– J’ai eu un souci en Italie avec mon chien, il a fallu préciser qu’il me fallait un taxi et un hôtel acceptant les chiens.
– Ah comme les Hollandais qui voyagent toujours avec toute la famille, deux chiens, six lapins, trois poules, deux enfants. Il faut leur trouver un véhicule de remplacement, un réparateur, hôtel, taxi.
C’est son job, il a l’habitude. Juste pour les deux mois d’été. Son français est parfait.
Le 21 une fois de plus l’a emmenée bien loin de son trajet habituel. De Nouadhibou à Nimègue en passant par le marché St Antoine et la piscine du Rhône. Pour eux aussi, ce n’est pas le bon arrêt, il leur faudra marcher, le 61 les dépose juste devant, pas le 21, mais il y a si peu de bus, encore moins le dimanche.
Rétroliens : intertitres//interstices//commentaires (mais des illustrations quand même) – Tiers Livre, les ateliers en ligne