La peur des toiles d’araignée cantonne le souvenir aux angles, aux coins, aux niches sombres. Retisser une maison à partir de là. Angoisse des toiles d’araignée. Curieuse simplicité extérieure : un fil à linge comme unique décoration de jardin,-seul fil non suspect- pas de fioritures, potager minimaliste, petite allée, courte, au milieu d’une pelouse sans charme mais toujours impeccable. La traverser et rentrer malgré la crise, -une heure de route à pleurnicher, la toile commençait à se filer dans l’esprit apeuré de l’enfant une fois Vienne passée -rejoindre sa chambre en balayant du regard les angles, tous les angles. Trouver le réconfort temporaire du gros édredon et de l’épais oreiller qui avaient sans doute conduit à associer ce lieu aux petits pois, rapport à la princesse, sûrement. Rapprochement flou mais tenace. Pourtant dans la cuisine pas de petits pois, seulement de la tarte aux prunes avec toujours la même pâte, sablée et pas trop beurrée. Rien de trop, comme la maison. De la route on la devinait aisément, elle n’était pas vraiment cachée, pas d’allée interminable, quelques gravillons quand même pour faire propret, pas d’arbres démesurément imposants, ces privilèges-là sont réservés aux grandes demeures bourgeoises, ce n’était pas l’idée. Institutrice laïque –elle insistait toujours sur ce point, l’arrière grand-mère. Maison simple, quoique secondaire, pas de luxe, pas de trop, mais un piano. Droit, noir, clavier jauni – un peu comme elle, dos toujours impeccablement maintenu, couleurs sombres, dents de vieille dame, jaunies aussi-, mais lui, son charme, c’était cette protection rouge et or sur les touches, en feutre. Plaisir d’ouvrir le capot et de soulever cette robe rouge à liseré doré : le lever du silence, soulever le drap, délicatement, la princesse endormie c’était un peu lui finalement. Ce piano, il n’avait pas sa pièce, pas sa place, pas d’espace, calé dans le hall qui s’ouvrait sur les différentes chambres, comme honteux d’être là. Pas le droit à une chambre le piano, un peu à tous et à personne, posé là, au carrefour d’une maison de plain-pied, simple, pas clinquante, celle de l’institutrice laïque, la veuve du contrôleur des impôts. Lui, il paraît qu’il avait son coin, là-bas au fond du jardin, une remise plutôt grande, avec un énorme ballon d’eau chaude, sorte de monstre qui habitait désormais tout seul cette partie de la résidence et qui régnait sur toutes sortes d’outils inconnus. Ronron d’une machinerie dont plus personne ne s’occupait. Oui parce que lui, il était mort dans son sommeil et il paraît même qu’il avait perdu un orteil, comme ça, dans le lit, détaché l’orteil, trop fumé le contrôleur des impôts. L’orteil, les toiles d’araignée, cela pesait lourd dans l’imagination de la petite fille de cinq ou six ans. Cette histoire envahissait la pièce, l’odeur du mort, alors qu’il n’était pas mort ici, mais dans son lit, là bas, à la grande ville. Etrange coïncidence : avoir visité, étudiante, l’appartement du mort, cinquante ans après qu’il se soit éteint, dans la résidence principale, à la ville. 152 cours Albert Thomas. 4èmeétage, droite. Lieu reconnu à cause du carreau fendu dans l’entrée. Failli louer sans savoir. Troublant.
Retour ici, ils devaient quitter la ville chaque fin de semaine pour la maison de plain- pied, simple, lieu de retrait pour fonctionnaires modestes. La petite fille n’a pas connu cela, il ne restait plus qu’elle, l’institutrice sévère, et la maison. Isère. Odeur de la pogne, dégoût, c’est trop fort, la brioche est gâchée, alors se méfier de toutes les pâtisseries là-bas. Traverser Vienne. Angoisse des toiles d’araignées et de l’odeur de fleur d’oranger. Arriver et se blottir dans le gros fauteuil en cuir marron, celui aux gros clous, s’amuser à les compter parce qu’il n’y avait pas grand chose à faire. Univers marron de haut en bas : nature morte peinte par l’institutrice, quelques poires, une pomme, mais pas très vives les couleurs. Peut-être aussi parce que la poussière de la mémoire s’y est installée. Enlever les toiles. Marron aussi le chevalet de couture : curieuse bestiole sur laquelle l’enfant aurait bien joué, mais c’était interdit. Alors il ne restait que le piano. Jeu autorisé, un petit peu, ce seul plaisir, juste pour voir la robe rouge, sa toile à lui, celle qui ne faisait pas peur. C’est la seule toile qu’il me reste , seule trace de la maison Elle n’est pas dans un coin. Le piano noir a été vendu. Je l’ai déposée sur mon piano, un piano marron.
qu’importe la toile d’araignée… qu’elle me plait cette maison !
Merci Brigitte pour votre lecture et votre commentaire…quel exercice tout de même.. on oublie parfois que l’on a certains souvenirs bien nichés derrière les toiles d araignée de la mémoire.. 😊
J’aime beaucoup votre texte, la prise dans cette routine où rien ne déborde, la fixation inquiète sur les angles habités, le tout-marron, la poussière, les brioches immangeables … et le piano honteux d’être n’importe où, mais justement … si vitalisant. L’affaire de l’appartement du contrôleur des impôts est incroyable … Vive le carreau fendu ! Vive le piano qui ne se dé-robe pas !
Merci pour votre lecture et ce partage de sensibilité 😉
Oui ! Touchée, en effet 😉