La mise en scène dystopique mêlait passé nostalgique, présent interrogatif et futur angoissant sur la scène circulaire de plein air, enchâssée dans son cadre alpin. Les planeurs passaient haut vers dix-huit heures, frôlant les sommets avec les aigles, indiquant une direction incertaine, tournoyante, à l’aplomb précisément du petit amphithéâtre. Les comédiens avaient répété depuis le matin, il faisait encore trente degrés, un soleil intarissable asphyxiait les peaux tartinées d’écran solaire, collant sur elles les tissus épais des costumes, des combinaisons de cosmonautes, de robots, des tailleurs de secrétaires, des perruques rouges ou roses, une robe bleue 1930 sur un vélo centenaire à rétropédalage censé remonter le temps. La fusée spatiale, des bobines EDF empilées et peintes en couleurs vives de Lego, s’élevait côté cour en fond de scène ; au centre, vide, le fauteuil à bascule, symbolisait l’éternelle absence à venir de l’humanité. L’impression de folie s’accentuait au fil de la pièce, les Terriens déboussolés ne se remettaient pas de la confrontation avec leurs doubles Martiens à leur arrivée sur la planète rouge. La représentation des Chroniques se déroulait en une heure vingt. L’enchaînement s’affolait en coulisses où s’était glissé Nigel Verk, en contrebas du jardin, dissimulé par le toboggan, le soir de la générale. Il avait demandé l’autorisation de photographier, aisément obtenue par la fébrile troupe amateur, laquelle n’était pas même constituée deux semaines auparavant. Il avait pris des clichés du lieu montagnard au coucher du soleil, alors que l’orage de chaleur menaçait. Les comédiens, anxieux, fatigués, scrutaient les lourds nuages où résonnait déjà le tonnerre. Finalement, l’orage d’altitude demeura sec. Des éclairs zébrèrent même heureusement l’arrière scène, comme un décor naturel, l’environnement même des robots, sur la bande son métallique de leur déplacement stéréotypé. Nigel photographia aussi les accessoires et les costumes chiffonnés déposés dans de grands paniers sous les tables après avoir servi. Les projecteurs capricieux dont l’ampoule au dernier moment rendait l’âme, les réglages de dernière minute, les fils emmêlés, les « noirs » aléatoires entre les scènes pour dégager les menus ustensiles martiens, la synchronisation risquée du lancement des musiques et des voix off. Il imaginait les tirades de monologue qui tournaient en boucle dans les têtes la nuit. L’obsession nécessaire pour parvenir à tenir le rythme de mémorisation du texte en deux semaines. L’assistante à la mise en scène, d’un dynamisme à toute épreuve, tenait l’équipe à bout de bras, anticipant les défaillances et les approximations des uns et des autres, rattrapant les couacs in extremis, en costume à la régie quand elle ne se trouvait pas en scène, en immersion villageoise intégrale quinze heures par jour, logée et nourrie, recrutée par petite annonce dans la presse locale. Ravie de récupérer une photo d’un pro pour son site d’apprentie comédienne. Nigel lui enverrait un portrait d’elle comme elle n’en avait jamais rêvé, en martienne dans ce village remontant au XIIème siècle, intégré tel quel dans les répliques tragi-comiques des fantômes terriens.