Un rituel, des gens assis en rond sur de la terre battue, une couverture sur les épaules, attendent la nuit noire. La nuit venue : on leur dépose un bol à leur droite, en silence ensemble, ils lèvent le bol, ingèrent la substance. Rien ne leur ai dévoilé de ce qu’ils mangent : ils perçoivent l’odeur d’un feu non loin, qui leur suggère le lieu de cuisson. Le lendemain, on n’en parle plus. Ensuite on ne parle plus de ce chacun fera.
Le rituel se reproduit une bonne dizaine de fois, à des semaines d’intervalles. A chaque fois, ils sont un peu plus nombreux. Ceux qui apportent la nourriture sont recouverts de voiles de la tête aux pieds, on entend que leur pas crisser sur la terre battue. C’est en clairière, il y a un silence absolu, c’est seulement le cri des oiseaux de nuit qu’on entend, le pas furtif d’une biche, d’un cerf, d’un renard, les branches, il doit y avoir une nappe d’eau non loin, l’air est humide, il a cependant peu de moustique.
D’abord, dans la cuisine, on est tout.e seul.e. On sort les aliments, d’abord on les dispose sur des assiettes, les tomates bien rouges, d’abord avec les feuilles vertes sur des assiettes rouges. Les vaisselles colorées rehaussent la couleur des aliments : poivrons jaunes vert et rouge, basilic et on a déjà une petite composition picturale. Il doit y avoir une ou plusieurs cuillers en bois, des couteaux affutés, une planche en bois, des torchons à portée de mains, les épices, le dispositif est simple. C’est le fruit d’une analyse et d’une simplification. La vie à ramener à une simple expression. Ensuite le découpage, première transformation des aliments : de transformation en transformation, on arrivera au plat définitif, qui sera encore une transition vers un autre état. Découpage et selon la recette cuisson des aliments dans un certain ordre. Si on dépose tous les aliments ensemble prêts à cuire, il se dégage encore un certain ordre et on peut se demander si on sait ce qu’on mange : un principe ? Il n’est pas besoin de réaliser des plats complexes, on retrouve l’essence du repas. C’est un ensemble de gestes prévus à l’avance. Faire un roux… Laisser mijoter un moment, tourner, gouter. Petits rituels de chaque instant, pendant que ça mijote. Mettre du sel, du poivre, certaines épices corriger le goût. On peut y adjoindre un fond musical, on peut cuisiner à la diable c’est-à-dire sans idées préconçues, laisser flâner l’inspiration en fonction de ce qui reste, c’est l’art d’accommoder les restes, sur le feu il y a le moment de cuisson, de transmutation de l ’aliment avec les autres aliments, c’est là qu’on laisse faire une chose curieuse qui est presque magie. On ne peut pas décompter le moment où c’est bien cuit. On ne sait pas la raison, ce n’est pas réductible au décomptage de minutes…