1. Pourquoi les Contenus enlèvement présentent Christophe Testard
D’abord les Contenus enlèvement ne présentent personne. Ils se présentent sans auteur. Cependant ils disent je. Les contenus enlèvement n’arrêtent pas de dire je, à moi, je. Ils viennent avec un locuteur. Ou avec une voix. Un corps ? Ou une partie d’un corps. C’est un je qu’ils soufflent à l’oreille — ils sont de l’air. Ils sont des contenus hors contenant, dépareillés. En fait ils viennent en phrases. Ils sont comme les faits divers qui viennent et tiennent en phrases, comme les prévisions météo. Ils se désirent programme. (Sauf qu’un fait divers ne dit pas je…) Quels teasers ils sont. Ils disent avec Warhol : quand on naît c’est comme si on se faisait enlever… Ils sont un petit doigt, une voix qui s’élève, émet comme elle peut parmi les mots qui sont des monstres : des monstres qui attendent leur enlèvement. Des monstres le jour des monstres, ou comment Christophe Testard ne veut pas être auteur et c’est d’une telle prétention qu’il veut être une légende. Rien que ça. D’ailleurs Christophe Testard n’est pas là. C’est un début…
2. Où Christophe Testard ouvre une parenthèse,
dans laquelle il s’inclut
Quinze ans quasiment plus tard il lui arriva d’énoncer (se dire) ceci : « En 1996 — l’été, ayant fini l’armée, ayant retrouvé mon boulot, faisant une pause dans mes études —, j’ai ouvert une parenthèse d’écriture qui ne s’est depuis plus refermée. C’était un essai : pour voir. Cela fera vingt-cinq ans, l’essai n’est toujours pas concluant. Cela fait une vie. J’ai comme mis ma vie et tout projet — mon avenir — entre parenthèses depuis ce temps, tout ce temps. Ce fut moins une décision qu’une pente personnelle. Par inertie, donc. Écrire est sans avenir. Me perd dans le temps (anti-passe-temps). Cette parenthèse — est-ce comme une cicatrice ? — semble devenue impossible à refermer. Je préfère qu’on ne me demande plus ce que je fais dans la vie… C’est aussi en écrivant, et dans sa parenthèse tour à tour dépressive et enchantée — elle fait le chaud et le froid en moi, écrire m’apprend à échouer —, qu’il me semble de plus en plus probable ou envisageable (et justement parce que c’est une énormité) que je ne devienne jamais (auteur) ni adulte, ni un homme. Comme s’il y avait une autre voie… »
Et de retourner bientôt à des considérations techniques telles que, paraphrasant ou extrapolant Alferi Pierre : « Une voix fabriquée de toutes phrases. Une voix composée. Ce dont il me faut être bien conscient, c’est du fait que (ma) cette voix ne coule pas, ne coulera jamais de source. Elle est le produit d’un dispositif, enregistreur, expérimental : l’écriture. Elle est elle-même instrumentale. Une voix textuelle est une voix instrumentale. Une voix littéraire. Je ne vais pas vous raconter ma vie : je vais l’écrire. »
3. Même pas pour voir moyen de se poser nulle part
Aujourd’hui pas moyen de poser le pied. Pas moyen de lever le pied. Aujourd’hui entre Mitry et Claye l’affluence et la concentration des trajets domicile-travail. Aujourd’hui D9 ou D404 une auto dans le rétro. Toujours quelqu’un derrière. Aujourd’hui à Thieux des barrières et des chaînes à l’entrée des chemins. Aujourd’hui pas moyen de mettre un pied où. Aujourd’hui à Villeneuve un pylône en béton couché en travers d’un chemin pour en barrer l’accès. Pas moyen d’emprunter un chemin aujourd’hui. Quitter l’auto. Aujourd’hui à Compans les panneaux Dépôts sauvages interdits. Aujourd’hui les voies communales de Compans sous vidéo-surveillance. La chasse aux dépôts. Aujourd’hui la guerre des autos. La rage. Aujourd’hui à Thieux l’aménagement d’un sentier de promenade au bord de la Biberonne et auprès du lavoir. Aujourd’hui encore le chantier interdit au public. Aujourd’hui des lycéens à pied à Juilly. Aujourd’hui entre Juilly et Saint-Mard la route au milieu des champs et des vents bordée d’un trottoir et de lampadaires. Aujourd’hui lycéens sous les abribus. Aujourd’hui le bus Mise en place. Aujourd’hui suit immédiatement le deuxième bus Mise en place. Aujourd’hui à Saint-Mard le parking payant. Aujourd’hui l’étriquement des rues des bourgs ou sous-dimensionnement. Aujourd’hui sans accès. Aujourd’hui sans arrêt. Aujourd’hui à Thieux un bouchon de 2 km (direction Paris) à cause d’un stop. Aujourd’hui le dehors impossible insensibilisé inexistant. Aujourd’hui la pression circulatoire. Automobile. La campagne est sous pression. La pression immobilière. Les champs sous la pression des zones. Les champs qui sont des zones. L’atterrissage des avions. Aujourd’hui la pression des infrastructures des axes et aménagements. Des équipements. Le resserrement. Aujourd’hui sensible multiforme entre Compans et Thieux la pression de la rénovation urbaine. Sous la forme (tas) des dépôts d’entrepreneurs divers hors déchetterie. Des moulins pré-industriels devenus résidentiels. La panique. Aujourd’hui à Dammartin manœuvre de camion benne rempli de terre de remblai. De déblai. Aujourd’hui à Dammartin la circulation alternée. 20. 19. 18. 17. 16. 15. 14. 13. 12. 11. 10. 9. 8. 7. 6. 5. 4. 3. 2. 1. À Dammartin aujourd’hui la progression du front résidentiel. L’avancée des travaux. La vague résidentielle ici prochainement. Aujourd’hui à la sortie de Dammartin le bouchon dans le rond-point (direction Paris). Aujourd’hui le bus Ne prend pas de voyageur. Aujourd’hui le sac poubelle crashé dans la bretelle. Aujourd’hui l’éclatement la dispersion d’un sac à gravats dans la bretelle de la N2.
ou Qui écrit n’est pas qui conduit
… et pourtant est sur la route
4. C.T. sur un fil
5. Le réel. Traité de l’idiotie
Je reconnais là pourquoi je cours — tomber sur ça.
Écrire comme ça.
Le divers dans sa chute devant mes yeux.
Chute du divers dans les yeux
#dechargesauvage
En te levant, attention de ne pas soulever de significations imaginaires. Les significations sont des tentations, ne les réveille pas. Car la signification est un piège que te tendent les mots. Entendons-nous : il n’est pas dit que la signification n’est pas recevable. Simplement elle est fortuite. La signification n’est qu’une couleur dans le nuancier. Elle est une image comme une autre : c’est fortuite — non construite — qu’elle est vivante. Attention à toute signification qui se ferait prendre pour autre que quelconque. Elle doit laisser à désirer. On ne s’attend pas au réel. L’insignifiance est une activité (voir l’art américain de la seconde moitié du XXe siècle). Pense en termes d’activité et de pratique plutôt que de sens. Et pourquoi pas va jusqu’à suivre ce dernier avatar de l’art américain de la seconde moitié du XXe siècle de Kenneth Goldsmith lorsqu’il affirme (Theory) :
« À chaque fois que j’ai une idée, je me demande si elle est suffisamment idiote. Est-ce possible que cette idée, d’une manière ou d’une autre, puisse être considérée comme intelligente ? Si la réponse est non, je fonce. »
Le titre du chapitre 5 — où sa pensée est tordue — est emprunté à Clément Rosset.