Le sentiment du soir, le sentiment, le sentiment de ne pas vouloir dire, ne rien dire, laisser les mots venir, le sentiment de n’avoir plus rien à dire, rien à dire, d’avoir tout dit, le sentiment d’avoir fait ce qu’il y a à faire, de la chose faite, le sentiment des choses faites, le sentiment du jour, du jour passé, du jour qui se pose, déposé, le sentiment de déposer, du soir, de laisser les rayons, se poser, les mots venir, le sentiment du, du dépôt, de laisser les rayons venir, les rayons tomber, tomber sur, se poser, les rayons viennent, se poser, du soir, le sentiment du bien, se poser là, du bien être posé, bien posé, de laisser le soir tomber, de laisser finir, de laisser le jour aller, de voir, de voir le jour finir de se poser, se poser là, le sentiment d’avoir été, d’avoir fait, le sentiment de ce qui a été fait, des choses dites, et puis se taire, le sentiment l’impression de silence, entendre, le repos, le repos de sentir le jour finir, sur, les choses faites, de ce qui s’est passé, ce qui est passé, le sentiment de ce qui passe, le sentiment qui passe, du jour, qui passe, le sentiment du soir, le sentiment, le consentement, le sentiment de soi, des rayons qui font comme un chez soi, comme chez eux, de faire comme chez soi, dans, le sentiment d’être là, l’assurance, d’avoir été, fait, fini, que le soir est là, de la rencontre du soir, de rencontrer, d’avoir rencontré le jour, passé, d’avoir vu le jour, le sentiment de renaître, à la fin du jour, la naissance de la fin du jour, à la toute fin du jour, au dernier moment, le sentiment de la fin, le repos, le repos du sentiment, se reposer, se reposer sur le sentiment de la fin, de laisser en suspens ce qui n’est pas fini sans laisser tomber, suspendre, seulement, même sans accomplissement juste suspendre, le sentiment suspendu du soir, de se reposer dans la suspension se suspendre, dans le repos, le sentiment de suspension, de la suspension, du jour, le sentiment du soir comme suspension du jour, le lustre du soir, le soir suspendu à des mots, comme à des rayons, la lumière du soir, le sentiment de lumière, l’assentiment, la lumière oblique, le biais, le biais des mots dans le jour, le chemin, la traversée, le sentiment d’avoir effectué une traversée, d’avoir bien traversé le jour, d’en avoir fini, de clore, le sentiment de fermer le jour derrière soi, du jour laissé suspendu derrière soi, de soi, le sentiment d’aller dans le soir, de voir le monde sous un nouveau jour, un éternel soir, la fraîcheur du soir, sa douceur, l’intuition, le sentiment de la douceur, de douceur, la sensation, le souvenir des soirs, les souvenirs du soir, le sentiment porté au soir, nourri, nourrir un sentiment pour les soirs, la venue du soir, le sentiment de la venue, le pressentiment.
Le sentiment
Le sentiment de, le sentiment, le sentiment que le sentiment n’est pas le mot, n’a pas le sens, que ce n’est pas le sens, le sens du mot sentiment n’est pas là pour dire une gare, le sentiment d’une gare ne veut rien dire, que ce n’est pas le sens du mot, qui compte, qui est là, il n’est pas pour son sens là, il est là pour moi, j’ai l’impression, veut dire le sentiment, je crois, je me crois là, crois être là, je dis le sentiment pour me dire là, me faire y être, je me dis que, j’ai le sentiment que, c’est le sentiment pour dire, c’est juste pour dire, le sentiment vide, le sentiment creux, le sentiment d’une gare, la gare est vide, le sentiment de la gare est meilleur vide, la gare pleine n’a pas de sentiment, est sans sentiment, ne fait pas de sentiment, le sentiment fuit les gares pleines, le sentiment de la gare, ce n’est plus le sentiment de la gare c’est, le sentiment des voyageurs, la gare est pleine de sentiments de voyageurs, est traversée, est comble, est du bruit, est du monde, le sentiment de la gare n’y est pas, la gare est sans sentiment, est vidée, est évacuée, est traversée, gare traversée, la gare se vide et se remplit, et se vide et le sentiment reste, reste une gare vide, le sentiment est ce qui reste, de la gare, il y a deux gares, le sentiment de la gare n’est pas dans la gare, le sentiment me suit, je suis le sentiment de la gare, je vais dans le sentiment, je suis un sentiment, un sentiment mêlé, je suis mitigé, je suis allées venues de gares, j’ai des gares, j’ai des sentiments de gares, des quais, des lumières de gares, le sentiment éclaire, est éclairage, le sentiment de l’éclaircie, elle me remplit d’un sentiment, ce n’est pas pour dire, ne rien dire, rien vouloir, rien trop vouloir, le mot, sentiment, dit, il dit que je sens, que ce que je sens résonne, il dit le chemin de l’éclaircie en moi, des gares, c’est ce que les gares me disent, la gare me dit, me dicte un sentiment, un sentiment mêlé, je suis mélangé, je suis emmêlé de mes sentiments, mes sentiments sont partagés, non, c’est moi, moi qui suis partagé, je ne sais pas quoi penser du sentiment.
Le sentiment
Le sentiment de, le sentiment, le sentiment que le sentiment n’est pas le mot, pas le bon mot, pas de bon mot, n’est pas tout seul le mot, le sentiment, de le dire, appelle les mots, appelle un développement, est le sentiment de quoi, le sentiment m’appelle, d’être appelé, je suis amené à répondre, j’abonde le sentiment, je me repais, je le goûte, ce faisant je nourris le sentiment, est un cercle, le sentiment est une sphère, atmosphère, je dis l’ambiance, j’essaie de dire l’ambiance, l’ambiance d’une gare, l’ambiance non, je préfère le sentiment, finalement, l’inadéquat, un sentiment d’inadéquation, je préfère, ne pas tomber sur le bon, de mot, le sentiment d’être dedans ou d’être à côté, tomber, de ne viser pas juste, résonne, le mot sentiment résonne, la résonance du mot sentiment, je dis le sentiment de, je répète, le sentiment de, le sentiment de, je me remplis de sentiment, je me vide de sentiment, le sentiment de vide, d’une gare vide, plus c’est vide plus c’est plein de sentiment, de mon sentiment, mon sentiment aime le vide, mon sentiment attend dans les gares vides, rencontre un sentiment de quai, un sentiment de place, sentiment de ciel, d’attente, le sentiment attend d’être le sentiment d’une chose, de quelque chose, le quelque chose d’une éclaircie, il y a quelque chose dans une gare, une éclaircie, il y a quelque chose comme un sentiment de, le sentiment de la rouille, ou le goût de la rouille, en moi, mes nuances de rouille, le fer, le goût du fer, le sentiment que donne le fer, le sang, dire le sentiment ne veut rien dire, dit autre chose, dit un début de sentiment, que je commence, commence à avoir du, j’éprouve un.
Le sentiment
(…)
j’ai envie de dire que pour moi le sentiment c’est = la nuance, puissance de la nuance
Merci pour cette entrée, progression millimétrique dans le soir, dans ce consentement à la nuit.
Merci Jean-Marie. Intéressant de comprendre comment se constitue la matière textuelle chez Tarkos, en tentant (d’approcher) l’expérience pour soi-même. J’ai toujours trouvé son travail de l’improvisation profondément libérateur (et je me rends compte à quel point, dès sa découverte avec « Caisses », je m’en suis retrouvé imprégné). Se dire aussi — et je l’ai compris en le faisant — qu’il ne s’agissait pas d’écrire sur le soir, que le soir est un prétexte (comme est le mot « sentiment » qui est un starter, mais dont la présence dans le texte change tout à ce qui pourrait n’être qu’une description) et qu’il y avait au contraire, en premier et dernier lieux, à préserver une sorte de vide, de disponibilité à la venue des mots, dans leur désordre, dans leurs hésitations, dans leur divagation ; encourager une prédisposition à ne parler de rien de spécial et, dans le soir, laisser écrire (se laisser résonner comme un angélus). Parce que je n’avais justement rien à en dire a priori, c’était là qu’il fallait aller (j’ai essayé de rester le plus fidèle — et là le mot de « justesse » qu’emploie François lui aussi résonne — à la version que j’ai en fait enregistrée vocalement en marchant : dans le soir).