Vous entrez dans la salle. Un cube de dix mètres de côté, espace d’exposition comme il se doit immaculé, vide à son apogée. Il l’est également le temps de la présente exposition. Il l’est quasiment. En regard du volume mobilisé, le panneau routier bien que des deux pieds ancré dans le béton ciré du sol ne pèse que de peu de poids. Rectangulaire, aux dimensions d’une signalisation d’entrée (ou de sortie, EB10/20) d’agglomération, à une ligne. Il ne vous regarde pas, faisant face à la sortie, agit là en point d’intrigue, j’oublie de dire : vous entrez dans l’espace de la salle par le strict milieu d’un des côtés, une ouverture y étant pratiquée, une autre dans le côté opposé : en miroir. Le panneau d’apparence routière est implanté dans l’axe de ce dernier, au fond si l’on peut dire. Aimantant l’œil, le corps venant avec. Vous avez à partir de votre entrée neuf mètres à parcourir, soit en ligne droite un peu plus de pas à effectuer, plus un pour le contourner, avant de lui faire face. Lire. Et puis sortir. Comptez vingt et quelques pas si les dimensions du cube se montent à vingt ; si vingt mètres de hauteur sont encore raisonnables ; si ce n’est pas tomber dans le somptuaire. Le présomptueux. Le pharaonique. Sur le chemin, l’envers vierge vous darde les accents métalliques et sourds de sa tôle d’aluminium. Il n’est pas plus éclairé que ça. Vous n’êtes pas là à l’heure de son apothéose. Vous finissez par vous retourner. Sur l’espace donc. Vous lisez. Car un panneau se doit de porter une indication. Un message. Une signalisation. Que vous interprétez, merci de votre compréhension, vous sortez. Depuis l’entrée il vous a semblé à vous, vu de dos que ce panneau partageait aussi le gabarit d’une balise de virage à chevrons (J4). Serez-vous qui va deviner ? Reprenons : vous êtes entré.e, à partir de là rien ne vous empêche de contourner largement le panneau ; de prendre la mesure de l’espace ; d’employer à l’envi la surface ainsi offerte à votre déambulation ; à votre réflexion ; méditation ; de faire durer le plaisir ; le suspense ; de tourner en ronds. Ce en quoi consiste une exposition : vous voilà confronté.e à votre liberté de mouvement. Exposé.e au choix. Dans un espace dédié, caisse de résonances. Imaginez dans le même espace, la même exposition vide à un second titre : déserte. Vide le cube l’est à l’instant qui précède immédiatement votre entrée. Disponible. Espace libre alors (Cette parenthèse de liberté vous est offerte par ***). Imaginez qu’il vous soit réservé. Consacré à un.e à la fois : vous faites votre entrée, seul.e comme un panonceau bien en vue soit y invite, soit le stipule. Une personne maximum dans cet espace (Sans titre — Une expérience à vivre en solitaire, « suspensive »). De ce fait les autres visiteurs attendent, qui se retrouvent les suivants ou les prochains, deux ou trois d’entre eux pouvant se tenir dans l’encadrement de l’accès à la salle, et voir. Attendre de voir. Attendez voir. C’est quelque chose dans votre dos… N’est pas exposé.e là qui vous croyiez. Nul.le artiste. Le public seul. Espace recevant du public, il n’est pas question de ce qu’il y a à voir. Mais de qui le voit ; du comment — et, qui sait, de ce qu’il y a à lire… L’air de rien vous vous approchez. Vous avez profité de l’espace ; de ces, de cette minute. Vous n’en pouvez plus de ne pas vouloir savoir. Vous le prenez de côté comme à revers, prenez-le du côté que vous voulez, une chose est certaine : vous passerez devant. Il n’est pas dans le passage, ou ne l’est qu’en effet. Un panneau emprunté au domaine public forestier et qui dit en gros que vous entrez dans une zone de silence. Ah. Le sens de tout ceci vous l’emportez avec vous. Cela est le sens de la visite. La signification est à emporter. Vous en sortez, non sans vous être, une dernière fois, retourné.e. Prendre une photo.
Bonjour Christophe
Voilà un beau texte beckettien un peu inquiétant, assez dérangeant. Un grand merci pour cette lecture !
Merci à vous, Fil, de cette lecture. Beckett ? Ce doit être assez profondément ancré en moi pour que je n’y aie pas pensé. J’avais moi dans la tête les dispositifs de Bruce Nauman ou Dan Graham. Il est vrai qu’en termes d’espèces d’espaces, ces trois-là ont fort en commun.
Je suis assez d’accord, beckettien-kafkaien. L’expo qu’on est évidemment tenté de prendre à contre-sens.
Merci, Perle, de votre visite. Quant à l’exposition, si nous la prenons à contre-sens, en trouverons-nous la sortie ? (Pardon je joue…)