#enfances #05 | Choses qui sont entre le galet et le mobile (et quoi ?)

Choses qui furent

un 30 avril,

Le fond de la mer affleure au sol de la forêt en galets noirs. 

un 26 avril,

Attendant la vague. 
La vague virant lumière. 
(Qu’elle se retire.)
À guetter le mobile parfait. 
L’opalescent. 
Lest, leste dans sa forme.
(Dans la laisse moussante de lumière.) 
Qu’il se fasse à la main.
Encore humide.
Le luisant.
Galet comme la vague est.
À emporter.

un 8 septembre,

Je n’ai rien à faire là. 
Je cherche un mobile. 
— Perdu ton portable ? 
— Je cherche mon mobile. 
Un mobile pour être là. 
Ma recherche de mobile me conduit là. 

Je trouve un mobile. 
Il me plaît bien. 
Je le tourne dans tous les sens. 
Il me plaît. 
Je le prends avec moi. 
Si quelqu’un me demande ce que je fais là. 
Je tiens mon mobile. 
(Je le répète.) 
« Je cherche un mobile. » 
« Je répète. »
(Je me le répète en boucles.) 
(Prononce.) 
(Je me le dis à haute — intelligible, audible — voix.) 

Sitôt prononcé, mon mobile devient fée. 
La phrase que j’ai tournée en forme de mobile. 
Ma réponse devient fée, elle m’enlève. 
Maintenant que je suis seul avec mon mobile je suis fée. 

un 22 juillet,

Tout autour la transparence me fait signe. Ne se tient plus là, loin, que ce qui se retire, s’éloigne encore, s’ouvre, souffle, découvre, rapetisse, agrandit, épanouit. La détente est immense. L’intimité est cela, ce grand écart qui embrasse. Loin des regards. Cela ne regarde plus que la transparence. C’est entre elle et moi.

Aériens elle et moi. Des bribes de paroles de loin me parviennent par la transparence de l’air, portées par le vent, comme à l’état naissant. De même les cargaisons, les passagers, les départs, les vacances, les sillages…

Non pas, sous moi, une crevette dans un trou d’eau — mais la transparence de la crevette à l’élément eau.

Non pas, haut au-dessus de ma tête, un avion — mais sa transparence, fuselage effilé comme une graine, au rayonnement solaire.

Ainsi de goélands, ainsi de mouettes, ainsi de car-ferries, de porte-conteneurs, de voiliers, voiles de voiliers, de silhouettes comme de mirages, d’un avion encore comme d’un poisson dans l’eau : ne me touche que leur transparence. Transparence seule sensible.

Tout m’est bulle dans le niveau. Larme à l’œil. De partout l’état de transparence me fait signe…

ce 19 novembre,

Sous le pied — et au creux de la main, entre les doigts, contre la joue ou l’oreille et sous les yeux — sur la langue. 

un 12 septembre,

Une montée de lait lèche les graviers, les gravats, les décombres, les éboulis, l’érosion, la plage des décombres emportés, à emporter, grain à grain, les galets, morceau par morceau dans ses poches, les poches pleines de mobiles, mobiles muets, assourdissants, les poches alourdies de galets, de pépites, alertes, sonnantes, le lait de la mer se jette sur l’amas, la laisse, le cordon des galets, le poulier, le rempart éboulé, l’ébranlement, l’effondrement, le recul du bord, du monde, du lait marin, du lait des galets, galets roulés, du lait des vaches non, des terres non, des falaises, la mer jette son jus de falaise sur les galets, la mer lumineuse. 

ce 26 avril,

« Eh les enfants ! On a des mobiles !
Qu’à choisir ! »
« Se baisser ! »

un 14 septembre,

Noir (ou pris pour tel) avec des inclusions (amas) d’un brun verdâtre (mastic) ou caramel, ici nébuleuse, là quasi trapézoïdale, qu’environne un petit nombre (plus ou moins la dizaine) de points d’impact virant au roux, nébuleux eux-mêmes (nuée de points) pour certains, des clartés (comme on dit nucale), ce qui donne à penser (laisse à rêver) qu’on a sous les yeux un morceau du ciel ou de nuit, que dis-je, de galaxie (Voie lactée) tombé tout poli (dans sa précipitation) dans la main, et qui (bien poliment) s’y prête, glissant (voilà qu’ils se délient) entre les doigts qui le tournent et sans avoir de cesse se le renvoient comme il passe aussi, y compris d’un rapide bond (détour) en l’air, d’une main dans l’autre.

un 4 juillet,

Biface amygdaloïde en silex beige veiné de la période abbevillienne ramassé en Charente. 

un 24 juillet,

Étendue, mon ombre sur la plage des millions d’individus rognons encore que la mer façonne et efface. Qui sont sans plus de visage. Qui sont tout joue, talon, fesse.

Épaules. Genoux… Boules plus ou moins, tous. Quand chacun se fait clin d’œil en roulant sous mes pas. 

« Prends-moi… » 
« Prends-moi… » 

… Poussant un soupir crissant. 

un 25 septembre,

Galets noirs, je ne les prends sur moi que si je leur trouve en même temps un nom. 

— Haricot 
— Langue
— Hache

un 27 juillet,

Je l’ai ramassé… 
Sorti courir j’allais, sans poche, les mains dans l’air. 
Il avait de la terre, je l’ai frotté entre mes mains. 
Je ne savais pas où le mettre, je l’ai mis dans ma bouche. 
Il m’est sorti de la bouche, je l’ai glissé dans mon short, il m’a roulé sous les couilles. 
Il s’est coulé sous mes couilles. Il a dansé. 
Ma foulée s’est allongée, il m’est parti sous les fesses. 
Je l’ai repris en main. Je me le coince entre. 

ce 22 juillet,

… Mon enfant m’apporte à deux mains un rognon — « on dirait la lune ! » — de silex fendu — l’a-t-il échappé ou fracassé ? — en deux. Dedans c’est — ses deux faces — deux fois un ciel nocturne — ici et là voilé de pleine lune. 

ce 8 septembre,

Je m’étonne. Me repais. M’émerveille. Je suis, vous me voyez enchanté qu’une phrase par moi prononcée. Qu’une phrase — formulée, reformulée — m’entretienne dans son enlèvement. Me soit un sort. Je suis agent de mon enlèvement.

ce 21 novembre,

La profondeur d’un galet ne se révèle qu’après un bain — quel qu’il soit.

un 17 juillet,

Un relief couvert de forêt : il s’agit d’un ancien cordon de galets. Une falaise de craie s’est érodée sur cette portion de côte de la Mer Thanétienne entre -55 et -59 millions d’années. 

Le cordon littoral s’est formé lors de la régression de la mer. 

un 28 janvier,

Le chantier de ma respiration est mobile. 

un 9 octobre,

Mon mobile embarqué. 
Mon mobile intégré. 
J’embarque mon mobile. 
Et 
J’intègre mon mobile. 
Garde bien ça sur toi. 
Garde-le bien sur toi. 
(Souffle.) 
Et contre toi. 
Avec mon mobile ce que nous faisons d’une main. 
(Respiration.) 
(Photo.) 
Ce que je fais d’une main et de mon mobile. 

un 6 septembre,

Ce conducteur peut remercier l’épisode de sécheresse que nous venons de vivre. Son véhicule s’est disloqué au fond du nouveau bassin de rétention de la deux fois deux voies totalement à sec, en effet, tapissé de galets (photo). Il dit avoir été surpris par la présence du giratoire.

un 30 août,

Rêve de nager dans l’air. La démarche alourdie, pesante. L’air de brasser. 

Ça part d’un galet. 

Les boues sédimentent. Cimentent. 

Les boues précipitent en silex. Sédiment très durci. Plus tard fondent en galets, et dérivent. Silex détachés de la croûte terrestre roulés en galets en mouvements, entre deux temps deux niveaux de la mer qui les déganguent, métamorphose du rognon en seulement quelques mois. 

ce 12 septembre,

Le galet est sans cœur. Le cœur du galet est de pierre. — De lune ? Le galet est un cœur de pierre. 

Son nom est dû à un effet visuel causé par la diffraction de la lumière en son sein, consistant en une succession minérale régulière de couches empilées alternées. Lorsque la lumière tombe entre ces couches minces et plates, elle se disperse dans de nombreuses directions. Se produit alors un miroitement sous la surface de la pierre, dû à l’interférence aux interfaces des lamelles internes qui donne un éclat pâle, rappelant celui de la lune. 

un 2 mars,

Je suis une couleur. 
Je suis un spectre de couleurs. 
Je n’ai plus de visage. 
Je suis un coloriage. 
Je rase la lumière. 
À pas de chat. 
Me collant aux parois. 
Électricité statique. 
Cherche un corps en moi. 
Me refroidissant vite, n’étant que surface au vent.
Un drapeau.
Un serpent. 
Je me frotte contre moi. 
Montre patte de velours. 
Lissé comme un galet. 
Couleur de bonbons. 
Un bonbon dans la bouche. 
(En cabochon.)
— Qui suis-je ?