Ça se passerait tout entier dans ton regard et à cinq mètres de toi déjà
Je l’aurais senti avant de te voir et dès ton ouverture de la porte
Je lirais dans tes yeux et comme sur tes lèvres ton affolement
Je me serais retournée et sur toi pour autant n’aurais rien vu de changé
Je remontais content les escaliers mais cesserais, à ton air, d’avancer
Je ne saurais pas quelle vague alors me prend, venue seule et d’où
Elle s’est dressée comme un écran d’incompréhension entre nous
Elle s’est dressée comme un écran d’incompréhension entre nous :
l’équivalent de la distance entre la porte du garage et la table à manger
Tu passais du salon au séjour des souvenirs entre tes mains
Je débarrassais la table basse avant d’y éponger les ronds des verres
Nous serions un dimanche et je n’aurais pas pensé faire rien de spécial
Cela aurait recouvert les fumets du bœuf, qui mijotait, en daube
Au ralenti une convulsion jamais vue de moi s’emparerait de ta figure
Je ne pourrais contenir mon exclamation — Ni moi mon étonnement,
je te demanderais ce qu’il y a — Je te demanderais ce que c’est que cette
Je me rejoue la scène et la développe et la raffine de mes mots
Tu n’aurais plus fait un pas et tu tomberais le pantalon, ton rouge, là
Je ne me serais pas changé pour l’occasion car je ne savais pas
Je ne te savais pas en bas : tu ne m’as pas dis que tu descendais —
et vrai dans la maison c’est ça : chacun suit son idée et va à son affaire
Je n’aurais pas su avant que je ferais ce que, ce jour j’aurais fait
Je te regarderais prendre cela à la légère — te considérerais
Je t’ai fait l’impression de le prendre par dessus la jambe — cependant
Tu aurais cet air hilare ou innocent et dégagé ou libre genre :
je ne vois pas où est le problème de ne pas voir où est le problème
Je ne savais pas que je le ferais, je ne le savais pas avant de le faire
Tu as fait tomber ton pantalon devant moi — comme si ça venait de lui
Je me sentirais d’un coup les jambières lourdes les jambes coupées
Ou bien de moi — vrai que je ne m’explique toujours pas ma réaction
Comme si le bas seul était en cause ; si ce n’était qu’une histoire de bas
— Qu’est-ce que tu es descendu faire — Mais je ne me savais pas le faire,
tu sais que je ne fais que ce qui me prend — cela m’aura pris donc
Je te dirais : ne refais jamais ça — s’il te plaît, ne me refais pas ce coup-là
— Non mais oui quoi, c’est quoi ton problème avec une odeur de terre,
je veux dire oui une odeur de terre retournée, tes parents sont jardiniers non
Ce ne serait pas pareil l’odeur de la terre en l’air et l’odeur là, dans le séjour,
et venant de toi — Moi je ne pensais pas à mal, je l’aurais fait sans y penser,
cela m’a pris, je crois que je l’ai pris comme un exercice de méditation —
je n’étais pas descendu pour le faire — Pourquoi le faire : pour quoi faire ça
Vrai, me croyais-je à Ryōan-ji — ou à Raray sur le parcours de golf
Non mais aussi, c’est quoi ce pantalon rouge — C’est juste un jean,
juste je serais descendu ranger les légumes ou chercher un outil ou
Je te regarderais te défaire de ce bouchon de jeans à tes pieds et aller
J’étais descendu chercher des patates pour le bœuf ou peut-être un livre
Jusqu’à la porte vitrée de la cuisine et sur la terrasse au-dessus du gazon
Un livre ou le carton d’une imprimante ou redescendre les chaises
En secouer et dehors battre les jambières — il bruinerait alors
Les chaises d’école qu’on ne monte que lorsque nous avons du monde
Et je me vois me demander : croit-il vraiment que ça se cantonne là
Je me rerejoue la scène et je l’alambique ou me la complique et fausse
Qu’a-t-il donc en tête, un comble, pour ne secouer que le bas
— Tu le sais que je cherche un pied-à-terre ; le repos ; un bureau
— Cette cave n’est pas saine, en ratisser le fond n’y changera rien
Car c’est exactement ce à quoi je serais revenu de m’employer
Cette cave, humide est inutilisable, on n’y peut rien entreposer
À quelle sombre espèce d’aménagement me serais-je laissé aller
Nous possédons sous la maison une cave divisée en deux parties
Nous louons un pavillon avec jardin, garage, combles aménagés
et jouissons sous toute la surface d’une cave divisée en deux parties
Égales, l’une sur la chape de ciment de laquelle en îlots sur palettes
Grand lumineux séjour, je m’y cherche pourtant toujours l’endroit d’où écrire
S’entassent ce qui de nos précédentes vies n’a pas trouvé sa place
Ne serait-ce qu’un espace… Je suis passé dans la deuxième cave
En celle-ci, l’autre est en terre battue encore et n’a pas l’électricité
Celle en terre, avec les soupiraux c’était comme le fond d’un étang
Nous aurions passé sous silence jusque là ce sol de terre battue*
Mais sans l’eau — mais sombre comme si elle était là encore
Je t’interrogerais : c’est quoi le truc alors d’aller gratter cette croûte,
projettes-tu d’y dessiner un jardin sec — d’y élever des poussières
Ryōan-ji c’est à ça qu’à chaque instant devrait ressembler un bureau —
quant à écrire, cela revient pour moi à cultiver ce qui ne voit pas le jour
— Des endives ? Tu cherches une champignonnière à vendre
J’aurais remonté contre moi son air mal renouvelé saturé de spores —
et je me rererejoue la scène et l’élabore ou je me l’assimile
Quelle absence t’aura dicté d’en égaliser le terrain afin d’y pouvoir d’aplomb
établir une table — J’y écrirais comme on fait sale au cul des fourgons
Devant les marques de ma réprobation et malgré ma peur je noterais que
Je ne m’étonnerais pas de la légèreté ou même, de l’inconscience avec
laquelle j’aurais retourné ce sol, même, j’aurais jugé être une conquête
d’avoir en ce traitement de surface comme touché un point de non-
retour — Dis-moi s’il te plaît que c’est la dernière fois
— Je t’ai toujours fait peur — Tu ne m’aurais jamais fait peur comme ça
— Jamais je ne l’ai fait exprès — Vrai, tu ne fais jamais qu’ouvrir la porte
— Plus je m’efforce d’arriver doucement, moins tu m’entends venir
— Tu pourrais me venir à l’oreille, que je serais encore surprise
— Je devrais m’annoncer — Il nous manque un huissier
* contenu subsidiaire
Nous aurions passé sous silence jusque là ce sol de terre battue
où nous ne nous serions pas même aventurés. De même ce qui,
tricycle et cage à oiseaux et quoi, y demeurerait au fond échoué,
abandonné de précédents occupants comme un rébus d’ombre
noyé dont la solution viendrait, à la condition de nous avancer,
derrière la nuque nous être soufflée. C’est une croûte en fait,
craquante sous le pied comme gaufrettes ou boudoirs pour
aussitôt redevenir poudre grasse, grise spectrale à la lampe frontale.
ci-dessus non daté un événement (sombre) précurseur (avec, entre autres, 110321, 130327, 200731, 210130, 210322/23) de 210410 (et du séquençage, de l’écriture qui s’ensuit) /
mes jours, ce que j’appelle mes jours, ceux qui sont mes jours ou assistants de fiction, ne sont ni plus ni moins que des épisodes — séquences /
je relis (activité qui demande un certain doigté car il est couvert de notes au crayon et de post-it) le petit texte Assistants de G. Agamben, à propos des Gehilfen de l’arpenteur du Château, mais aussi de Pinocchio et du promeneur de Walser : je m’y sens complètement concerné et inclus (de même, dans la deuxième cave, j’ai écrit que je me sentais compris) /
je dis assistant, je pourrais dire démon, je pourrais dire lutin, je pourrais dire tracassin /
je souhaite de cet événement, -surprise et stupéfaction, et compagnon finalement, faire un poème façon R. Carver (Les Champs !) (mais sans ses incompréhensibles enjambements) /
sauf qu’ici l’élan ou souffle lyrique est bridé par le fait que je ne veux pas dépasser la ligne, pas d’enjambement, me coulant dans le moule WordPress, désirant que mon texte, bien que versifié, conserve l’apparence (l’illusion) d’un bloc ou paragraphe de prose — les majuscules en début de lignes en étant seules l’indice /
j’élabore un dispositif versifié (relativement) contraignant qui, paradoxalement, ne m’autorise pas la poésie (de par le jeu du vis-à-vis ou face-à-face, ligne-à-ligne, ligne après ligne ou sur ligne, jeu de composition-confrontation-alternance des ressentis ou vécus, entrecroisement des voix (×2)) /
car il s’agit de répons ou réparties (répliques) /
je pense à des rayures /
un empilement ; des couches ; façon carotte temporelle /
mettre l’odeur en regard(s), la faire tenir (et vivre ou survivre, perdurer, insister) entre deux regards /
J’aime beaucoup l’évocation de la cave, ce qu’on pourrait y projeter, la quête d’une installation, et ce qu’elle refuse de pouvoir instaurer, le confort d’écriture, ce qu’elle laisse percevoir, à travers ses portes, ses cales, le sol en terre battue, les odeurs, l’humidité ambiante, tout ce qui s’échappe, l’instabilité, le fantasme, l’inassouvi, les relents d’un excellent pot-au-feu, tout rentre en concordance, et dit sur un ton de poème en prose, les phrases diffractées, la notion d’inachèvement… Bravo et merci Christophe !!