ou
#été2023 #05 | Points sensibles
Infructuosité (non-concluance) de mes tentatives — un florilège
sketch 1 | dix avril – premier mars
sketch 2 | premier mars – dix avril
sketch 3 | premier mars – premier mars
sketch 4 | dix mars – premier mars
Je m’efforce de prendre au sérieux ce que cette aberration de prendre mes jours pour personnages implique. Contre toute raison. J’avance — est-ce que je progresse ? je m’enfonce — dans mon aberration.
Je délire mes jours. Et il est tout à fait probable que j’aboutisse en impasse. Je m’auto-intoxique — comme on respire dans un sac ? — de mes jours.
Enfin je prends le parti de publier comme cela m’est venu et ne me satisfait pas. Au bulldozer.
UN CERTAIN DIX AVRIL, se parle. Se dit :
Je suis encore au lit au-dessus de la route. Je viens d’entendre la porte du garage. Tu es la journée partie. Tu as un train à prendre, il est tôt, pas neuf heures… Tu ne m’as pas réveillé, non plus que les autos conduisant les enfants aux écoles. La fermeture de la porte du garage sous la chambre sous le toit, oui.
LE PREMIER MARS, vite,
Je ne claque pas la porte d’entrée. Je ne voulais pas claquer. C’est le courant d’air. J’ai encore laissé le sas entre le séjour et le garage ouvert — je sais… Je vais, je suis en train d’aller à pied au bout de la rue — devant la Poste, de me le dire me fait aller plus vite, ne pas le rater — prendre le bus, le seul, qui me conduira prendre le train. Je le sais que je suis dans ta tête : dans ta pensée. C’est aussi là que j’habite… Tu es déjà debout à n’en pas douter. Tu vas encore penser, tu es déjà à ruminer que j’ai oublié, c’est plus fort que moi, je le sais.
INCERTAIN DIX AVRIL
Dans ma tête je te parle — me raconte… Me rendors. Alors j’émerge.
LE PREMIER MARS, instant de distraction,
Tu vas sortir… Tu vas certainement aller courir, je te connais. Je crois que je te connais.
LE PREMIER MARS, témoigne,
Il n’est plus le même quand il revient de courir. Il n’est plus le même homme. Revenant de courir, je ne le reconnais pas. Toujours. Pas tout de suite. Revenant de courir il ramène avec lui un drôle d’air. Noir. Nu. C’est sur lui. Entre avec lui un drôle d’air…
UN DIX AVRIL, encore un,
Je replonge. Émerge. L’ébranlement de la porte du garage m’a fait lever l’oreille, et puis le reste du corps, je quitte le lit, le lit deux places. Je descends. En bas les volets demeurés fermés. Je m’habille.
PREMIER MARS, ressassant,
Il y a des jours où il n’est pas le même.
DIX AVRIL, s’habille,
Une fois en bas je m’habille avec ce que je sors du sac de sport dans l’entrée, une espèce d’écume noire à même le carrelage, carrés blancs ici gris, dans la pénombre du séjour, je ne vois rien, je distingue mal, je n’ai pas le sens du toucher, je confonds les textures, je sors le mauvais haut, le remet, le mauvais bas, le refourre, vite fait plié, un autre, l’enfile, je ne trouve pas, je ne mets pas la main dessus, pas en premier, c’est toujours ce que je cherche que je ne trouve pas en premier, c’est ça de plus en plus…
PREMIER MARS
Bonjour…
DIX AVRIL
Ce n’est pas tout à fait je m’habille. Tu vois, je te raconte, te montre : je me revêts…
Dans revêts déjà il y a je m’en vais…
PREMIER MARS, se répétant, reprenant,
Il a des jours où ce n’est pas le même. Des retours.
UN CERTAIN DIX AVRIL
Depuis le dernier dix avril, tous mes levers en sont un. Je me lève dans des répliques du dix avril. Mais ton lever du dix avril, c’était en pleine nuit !? je réplique au dix avril… Oui, il y a, depuis, une nuit, un lever du dix avril qui court entre mes jours.
UN CERTAIN DIX AVRIL, reprenons,
Tu es en déplacement. Tu n’es pas à la maison aujourd’hui. Tu as un atelier. Tu sors. Tu vas prendre le train, la maison pour la journée vide. Je me lève. Tu dois être loin. Je descends. Tu appelles.
L’AUTRE JOUR, de novembre,
Vous ne pouvez pas imaginer le repos à la sortie de chez moi. Vous ne pouvez pas imaginer le repos qui règne en sortant de chez moi. Vous n’imaginez pas le repos juste là. Vous n’avez pas idée du repos qui se trouve là. À la porte de chez moi.
DIX AVRIL / PREMIER MARS
Tu appelles. J’ai la veille oublié de l’éteindre, mon mobile sonne, c’est toi, je réponds. Je te demande, tu es où. Tu arrives, tu me dis. Je te dis, à la gare. Non, à la maison. Quelqu’un s’est jeté sous le train, tu as pris tes clés, tu dis. Je devais sentir le truc. Je dis qu’heureusement, que je m’apprête à sortir. Ah. Je sors courir, suis sur le point de sortir. Tu rentres, tu dis.
(PREMIER MARS)
Ah, tu fais. Alors que tu le sais…
PREMIER MARS
À quoi tu passes ton temps, c’est peu de choses. C’est très localisé. Concentré. Sauf quand tu cours…
PREMIER MARS / DIX AVRIL
J’ai reçu une alerte. Suis descendue dès que j’ai pu. À l’arrêt suivant. À la rivière. À la lisière.
DIX AVRIL
Je suis de retour. Je suis là. Ta voix…
PREMIER MARS / DIX AVRIL
J’annule, tu dis. Ta voix au téléphone. L’atelier. Je viens d’annuler, je rentre.
UN CERTAIN DIX AVRIL
Tu n’as pas pris tes clés, tu m’apprends, attends-moi, tu dis. Je rentre. Je rêve. Me rendors. Je rêve que je t’entends me dire, tu ne bouges pas, tiens-toi juste prêt. À partir. Devant moi. Tu as raccroché. Les mots résonnent dans ma tête. Dans le mobile. Dans ma tête. Je suis là…
DIX AVRIL (PREMIER MARS)
Je suis là. Tu ne me dis rien de plus, à la porte, tu te tiens là. Tu es à la porte, tu es derrière la porte, tu m’ouvres, les mots résonnent. Tu es prêt à m’ouvrir, tu dis. J’ouvre la porte.
L’AUTRE JOUR, novembre,
Vous ne savez pas ce qui vous attend là. Vous n’attendiez pas le repos là. Vous n’imaginez pas le repos en sortant de chez moi. Vous ne vous attendez pas au repos qui vous prend. Vous n’imaginez pas le repos juste là.
J’avais pensé à ça :
#été2023 #05 | Le désaccord
ou
#été2023 #05 | Points de désaccord
Encore un effort et vous gagnerez un point de non-compréhension…
PREMIER MARS / DIX AVRIL
Qu’allais tu faire. Rien. Courir. Où courais-tu. Nulle part. Là. Autour. Je m’en allais autour. J’allais revenir.
DIX AVRIL
Tu profites de mon absence pour n’être pas là, tu dis, tu sors en mon absence. Tu allais quitter la maison. Je suis interdit. Je sors du lit. Qu’allais-tu devenir. Raconte-moi.
PREMIER MARS
Qu’allais-tu faire ?
DIX MARS / PREMIER MARS
Qu’est-ce que j’ai glané ? Gagné ? Qu’est-ce que tu vas faire ? Qu’as-tu ramassé ? Qu’est-ce que tu as été ramener ? Qu’ai je rassemblé ? Que suis-je en train de collecter ? Que m’en vais-je enlever ? Entre quels bras je cours ?
PREMIER MARS, bis,
Qu’allais-tu faire ?
DIX AVRIL / PREMIER MARS
Rien. Courir. Je volais. Tu étais en train de glisser. J’allais respirer. Tu te laissais glisser. Tu te laisses aller. Tu gardes la forme et te laisses aller. Je sortais, je… Tu allais glisser.
INCERTAIN DIX AVRIL
Ta voix au téléphone… je ne sais pas si c’est moi, ce n’est pas toi. Ça te ressemble mais ce n’est pas toi.
PREMIER MARS
Reformule.
INCERTAIN DIX AVRIL, reformule,
C’est moi ou ta voix au téléphone, ce n’est pas toi ?
PREMIER MARS
Reformule.
UN DIX AVRIL, tardif,
Je ne sais pas si ça vient de moi… Les volets de la rue sont restés fermés — tu as quitté tôt la maison. Pas les volets du jardin. Les volets du jardin restent ouverts. Le jour entre par le jardin dans le séjour. Je suis descendu. Je vais aux vitres. Le jour est aux vitres, derrière, du jardin. Je m’approche. J’entre dans le jour sur le carrelage. Les pieds, nus, d’abord. J’avance dans le jour — sans sortir. Le jour s’allonge dans le séjour. Ou se dresse. Sans m’avancer trop, non plus. Se répand. Gagne. Sur la pointe des pieds, nus. Ne rien toucher. Sans un bruit — juste les pieds un peu collant, de la nuit, sur le carrelage — smack. Ne rien bouger. Je laisse la maison au jour. Juste la main dans le sac — j’ai reculé — dans l’entrée — côté rue, retour à l’ombre. Dans le sac de sport je fouille parmi toutes les choses noires — chercher du noir dans le noir… Je me couvre — je te raconte. Je mets le minimum. Il n’y a encore aucun mot entre moi et le jour. Aucun mot échangé dans la maison…
Où le dix avril glisse, se coule dans le premier mars. Je ne suis bientôt plus le dix avril mais le premier mars ; moi-même le premier mars ; le premier mars en personne. Je sors de ma nuit…
DIX AVRIL / PREMIER MARS
Je suis au diapason du jour. C’est comme cela que je l’entends. En phase. Le jour me comprend.
PREMIER MARS, raconte,
Glissant. J’ai glissé. Me serais glissé entre les tas de débris de toitures pour les remblais des chemins et les oiseaux migrateurs, et les clôtures ; longeant, j’aurais longé les clôtures des enceintes des centres de formation (ELFE) aux métiers du bâtiment et les ateliers de fabrication de bandes de convoyage de granulats en caoutchouc (Alfyma, Zone d’activité des Remises) ; laissé, je laisserais derrière moi des chantiers mobiles d’assainissement, de curage et de tonte des abords verts sur la voie publique par les services municipaux ; longe, longerais, j’ai longé les stades, le mur du cimetière et les hauts filets des stades et le long, long grillage de l’étang des Remises, dépassés ses un… deux… trois pêcheurs sur l’eau et (j’entre en forêt) un peu après le fourgon blanc à la dame (la route à traverser), me glisse, me serais glissé sous ses vitres ou je m’écarte, dessinant une ellipse, je me serais éclipsé, fait discret, serais passé l’air de rien, d’un coureur, fais comme si je passais (alors que non, je ne passe pas : je tourne, j’explore, je fréquente, ne fais rien moins que passer, habite, anime, je suis l’animation de cette partie ou extrémité du bois — qui suis-je ?) ; noté aurais, ai, à la place, ce jour (depuis des jours) la présence d’un chantier forestier autorisé du … au …, et les étendues de grumes en épis de part et d’autre du chemin et le petit utilitaire blanc d’un sylviculteur, c’est écrit dessus, personne, je retraverse la route (en sortie de rond-point de desserte de la zone et puis du bourg) repassant de Haute en Basse Queue du massif et des pins et des bruyères aux mares et aux jonquilles — c’est ça — continue comme ça — de me dire tout
… Une scène. Mes jours me font une scène.
En guise de trois unités, il n’y a que moi. Mes jours n’ont que moi. Je suis l’unificateur, je suis l’agent fédérateur de mes jours. Ou le plus grand commun diviseur. Séparateur central (va pour un titre). — Est-ce que ce ne serait pas un grand pas — un grand pas dans le sens d’un étoffement du roman (de la vie vécue comme un roman ? qu’est-ce que je raconte ?) — que je me fasse, de mes jours, le plus petit commun multiple ?
Délégué à mes jours. Comment s’appelait l’autre ? Sous-commandant.
J’ai pensé à ça :
#été2023 #05 | Un point de dissension
ou de tremblement…
D’interrogation ?
Comment ne pas évoluer sous les yeux du jour ? C’est, je crois, la question que me pose le dix avril. Comment me soustraire aux regards de mes jours ? Si je les dis mes jours, ce n’est certes pas qu’ils soient à moi, que j’en dispose. Non qu’ils m’appartiennent, au contraire, mes jours me possèdent. Je suis la marotte de mes jours. Les premiers et dix mars — le dix étant réplique, prolongement et, substantiellement, dérive, dérive dangereuse, du premier —, semblent être — oh, loin d’être les seuls — animés du désir de substituer l’être-en-pleine-forêt au plein jour. D’entrer dans le, dans du massif.
Je ne suis pas le maître de mes jours — au contraire. Il m’apparaît que, m’étant levé avant l’aube un certain dix avril, j’ai pu désirer, bien que ce désir me demeurât informulé, leur échapper ? Tentais-je une échappée de nuit — une grande évasion ? Un pas de côté me suffit. Je n’eus alors que l’idée de dérouler et tendre un fil de nuit — un fil de fiction, un fil de narration — à travers mes jours. Je disais : faire passer la nuit dans le jour. Le lui faire traverser, jusqu’au jour suivant, jusqu’à joindre et s’adjoindre la nuit prochaine, passer ensemble dans le jour qui suit, ainsi de suite. Un fil continu de nuit à travers la discontinuité, le manteau d’arlequin de mes jours ? Prendre de l’avance, les prendre de vitesse. Quelque chose d’enfin programmatique. D’enfin aventureux. Et puis ne pas nous laisser rattraper. Le jour qui vient, être là pour le voir venir — quand sa venue au quotidien me prend au dépourvu, démuni, me dicte son agenda. Prendre les devants du jour. Prendre la décision du jour, décider du jour. L’inventer. — Est-ce ce que l’on peut entendre quand inconsidérément on associe le monde à qui se lève tôt ? Quand on dit le monde, n’entend-on que : le jour ?
Prendre de court la vie de tous les jours. Un jour et son champion ; son jockey, ou son trotteur ; son destrier ; son coureur ou son amant ; marathonien, son messager ; son chevalier servant décident d’un commun accord de prendre la vie, le reste de leur vie de court, d’en aller plus vite que le cours — ou de le suspendre ?
PREMIER MARS, en arrêt,
Et comme elle l’autre jour de sur ma droite a surgi, en simple joggeuse rose non, ni abricot ni pêche, mais corail fluo de haut, je surgirais…
PREMIER MARS, à l’approche,
Arrivée de par la voie aux tuiles au bout des étangs, là l’expansivité des feuillages se resserrant autour de moi pour former couloir et ombre, coulisse de verdure, je le surprends dans une bizarre position d’arrêt présentant sa face, non à la perspective du chemin, bien qu’au plein milieu et sur un pied quasiment comme perché, mais à la lisière…
PREMIER MARS
Surpris plus qu’elle certainement. Elle, va, tandis que j’allais m’arrêter. Or quel coureur s’arrête ? Quel coureur ne court pas ? N’êtes-vous pas sorti de chez vous pour courir ? N’avez-vous pas bravé l’interdiction générale dans le sain but d’une dépense et resourcement de votre corps ? m’interroge-t-elle du regard — que je sens question brûlante au coin du mien…
PREMIER MARS / PREMIER MARS
Pourquoi sinon ? Pour respirer. Pour voir…
PREMIER MARS
… Les domaines de la respiration sont plus grands une fois pénétrés que l’appréciation que l’on en peut avoir depuis leurs lisières. La coureuse a comme moi largement dépassé le kilomètre du périmètre de sortie autorisé autour du domicile, de quelque maison que l’on sorte. Je suis comme elle, surpris, au milieu du parc qui ne dit pas son nom…
PREMIER MARS
Je le surprends alors qu’il allait faire une pause, souffler, je le vois essoufflé mais cet idiot, de même m’ayant vu, repart de plus belle, évidemment dans le sens opposé d’où je viens si bien que, non seulement nous ne nous croisons pas, mais je l’ai sous les yeux encore un petit moment — avant qu’il ne prenne une allée perpendiculaire allant tout droit à travers bois rejoindre la route qui la coupe…
PREMIER MARS
On ne quitte pas comme cela la maison des jours… Elle cueille en moi le moment que j’avais choisi, et comme anticipé, et comme attendu, de me suspendre, pour me surprendre…
PREMIER MARS
Cela n’est qu’un léger tremblement de l’air entre nous…
PREMIER MARS
Sachant qu’elle n’est qu’à dix foulées ou vingt pas quand elle débouche…
UN DIX AVRIL, aux environs,
Sous le couvert de l’heure très matinale se précipiter dans les bois c’est me rendre invisible : pour le jour qui vient, et les prémices de la pousse printanière des feuilles ne suffisant pas à faire écran entre moi et la route ; moi et un véhicule ; moi et une vigilance ; une patrouille (selfie : là c’est moi et un bas de jogging perdu), c’est m’enfoncer encore qu’il faut et tant que ma course me signale, dans un milieu où à première vue — et qui pour pousser au-delà ? — rien ne bouge…
PREMIER MARS
… Pas une complicité — même si, nous trouvant tous les deux là où ni moi ni lui ne devrions nous trouver — dans ce no man’s land entre le monde d’avant et celui d’après — nous savons à quoi nous en tenir — nous n’allons pas palabrer…
UN DIX AVRIL ou juste avant,
Comment je ne me tords pas une cheville à ce remblaiement de tuiles dans les fondrières du chemin (à gauche étang de société de pêche : désert ; à droite étang à ski nautique : cygnes, tremplin ; clôtures) que n’émiette plus le passage d’aucun véhicule : c’est que presque je ne touche pas le sol : cela est ma technique de run reposant sur la respiration : qui m’est une suspension : je cours sur coussins d’air (en breathplay) : mes expirations.
PREMIER MARS
Je ne pense pas à mal, simplement je remporte avec moi autour des étangs l’impression d’avoir commis une indiscrétion. Comme si je l’avais pris en pleine embrassade, pratiquant de l’air-je-ne-sais-quoi — ou presque-rien…
UN JOUR
Elle, certes, n’est pas cette femme — une dame — qui me surprit assise sur une souche en sous-bois, à peu de pas de la lisière et de ma course, et à portée indubitable de cette éructation de stentor que je venais un jour de faire retentir — parce qu’à force de respiration en courant par la bouche, certainement j’avale trop d’air — et dans une simultanéité telle de mon rendu et de son apparition que je crus — la question n’en étant pas à ce jour tranchée — qu’elle en était le résultat, ou l’émission…
PREMIER MARS
A-t-il sur lui son petit papier ?
PREMIER MARS
Il n’y a qu’elle et moi. C’est entre elle et moi.
Où comment le jour se regarde en miroir… Savez-vous qu’il existe un miroir aérien ? On appelle aussi cela atmosphère.
Je dirais que nous vivons dans l’insensibilisation des jours. Leur succession anesthésie comme l’application d’un baume. Leur enchaînement. À y regarder de trop près, mes jours me deviennent sensibles comme des dents — ça me fait un point — ça me lance au niveau de la racine. De plus en plus de points sensibles, chaque jour il me pousse une dent. Mes jours sont des dents contre moi. La gueule de mes jours. Allez faire un roman avec ça.
LE DIX MARS
Au-dessus des haillons au pied de l’arbre — c’est un charme, ou un érable, je n’y suis plus, je ne sais pas. Je ne peux pas vérifier — il faudra que je t’y renvoie. Ceci s’adresse à moi. Voir. Le tronc en pousse divisé depuis la souche, innervé il me semble. J’ai l’image de ses feuilles toutes mortes autour, en tapis — petites et dentées, elles me reviennent, qui sont au sol poussées par celles de l’année. Ayant résisté aux vents et aux gelées de l’hiver, voilà que le temps doux, le temps de respirer les achève et détache, et qu’à bout de branches sur les haillons elles, comme le regard, tombent, le regard de l’autre jour, ton regard — je te vois, je te comprends, t’inclus dans le tableau.
PREMIER MARS
… Et voilà que, sans aller, de s’y poser, jusqu’à les recouvrir, sans aller jusqu’à te retenir elles font à ces vêtements — abandonnés ? volés ? arrachés ? — un haut, un bas, comme un écrin — écrin d’automne, de déchéance — oh comme l’oxydation de toute chose en la nature est belle, est élégante — les feuilles ne tombent que pour elles, qu’entre elles, les bois ne pleurent, ou pleuvent que sur eux-mêmes, la forêt n’est belle que pour elle — c’est cela l’élégance, la vraie, demeure inadressée — cela vous prend un de ces cachets… sans aller jusqu’à te retenir : tu n’es que regard, souffle et regard, et le regard, c’est bien connu, papillon, vole — mais d’avance je sais que tu reviendras : parce que je, premier mars, te le demande — et, plus expressément, instamment, parce que tu es mon corps, et véhicule — c’est ainsi que tu es ma propriété — enfin… ma copropriété. — Comment ne me suivrais-tu pas ?… L’enseignement que me prodiguent les jours est infini et sans cesse repris. Autant de jours, autant de maîtres — même si, à tous, mythos, se prendre pour le grand jour — car leur point de vue est, malgré eux, étriqué : ils sont comme les chevaux, s’effarouchent pour un rien, des œillères les rassurent et les confortent dans leur assiette — ils règnent chacun sur un territoire de rien : moi. Je leur demande pardon pour l’analogie, certainement mal choisie — quoique, sans doute et pour commencer je sois, non seulement le secrétaire, et l’intendant, et l’homme à tout faire de mes jours, mais en fin de compte et dans le meilleur des cas — en nos plus beaux instants — leur cavalier.
LE DIX MARS
Un (bas) gris (à pince), un (haut) blanc (hoodie), au pied d’un charme donc… J’ai en tête — mais où ai-je la tête ? — l’image de cet arbre qui ne retient aucune attention, n’a rien de particulier ou de spécial si ce n’est qu’il constitue un point extrême de la parcelle plantée ; qu’il marque la croisée de deux chemins ; qu’il a poussé, ou a été laissé pousser là (en taillis sous futaie) — me le feras-tu (à moi), lui et ses oripeaux — m’est souvenance en leur immédiate proximité de poupées folkloriques mitées elles-mêmes et comme on en voit sur les lunettes arrière des berlines et les planches de bord des cabines des semi-remorques (sous les guirlandes) —, sous un jour nouveau voir, et rejoindre : AUJOURD’HUI-même (…)
Deux jours mis en présence. En forêt. Ainsi que deux chevaliers qui vont, à leur insu, à la rencontre l’un de l’autre. Se connaissant. Ne se connaissant que trop. Ayant déjà frayé ; maille à partir ; des choses — des vérités — à se dire. Deux jours entre tous les autres, la forêt des autres : venus du passé, à cheval — le partageant. Ce dont deux jours, les jours dans leur ensemble sont capables — et coutumiers — c’est, chevaliers, cela : de monter un même cheval — destrier, palefroi, cela est à débattre, c’est selon les jours — sans se mettre jamais d’accord sur la destination, la mission, l’aventure. Tous les jours sur le même cheval. Un pari. Drôle de cheval. Qui se devrait d’être à lui-même son propre lad, son palefrenier, mais encore et par exigence ou autorisation expresse l’intendant, factotum, valet de pied et scribe et embaumeur de la maison entière des jours.
Les jours sont des chevaliers. J’envisage un livre qui serait un roman de chevalerie. Un calendrier qui serait un roman. Un journal, ou un agenda, métamorphosé, autofictif, en roman de chevalerie. Les jours sont tombés du calendrier. Désarçonnés les jours.
PREMIER MARS
(…) Tu fermes enfin ta gueule. Là tu n’as plus rien à dicter. On ne t’entend plus chanter. Ça te fait au moins fermer ta gueule. Tu es à méditer ce que tu viens de faire. Ce que tu viens d’enlever, d’emporter. Maintenant que c’est fait, tu cherches les mobiles, les raisons, les explications — à fournir à qui te les demanderait, les exigerait. Les gendarmes, le contrôle routier que tu as repéré de loin au rond-point. Ce rond-point aux gendarmes, c’est comme si tu le contournais… Moi, premier mars, je ne l’aurais pas fait… Je n’aurais pas procédé ainsi. Je ne serais pas allé jusque là : les enfourner, le haut et le bas dans un sac poubelle 20 l et rapporter à la maison — et descendre à la cave. Moi je les aurais — immédiatement — enfilés, ces effets. Voilà ce que moi, volant premier mars, moi dix-neuf janvier j’aurais fait…
Lequel d’entre tous mes jours ici retenir ? Où convoquer les autres. Assemblée générale. Penchés sur un point de détail comme les fées autour du berceau. Il m’apparaît que l’exercice m’incite et me conduit à inventer un public — le public rassemblé de mes jours — et peut-être un chœur — à chacun d’entre eux, à mes moments présents — moments of being, n’est-ce pas ? —, ces moments où je suis présent au cours de ma vie au point que cela pourrait en faire un drame ; où j’y participe ; au point de la mettre en jeu. — D’où :
#été2023 #05 | Du jeu entre les jours
Entre les jours il y a du jeu. Cela joue entre les jours — ce qui n’est exactement pas le même jeu que formulé précédemment…
Arrivé à ce point il me faut expliciter. Ce que j’entends par jour c’est, plus précisément, un événement dans le jour, qui va lui donner sa tonalité, va faire que la date du jour vaudra pour numéro d’enregistrement et remémoration. Cela peut très bien n’être qu’une seconde de ce jour — peut-être même pas : une intuition suffit, un élan fictif. Le temps passant et ce jour s’éloignant dans les profondeurs — abîmes rétrospectifs — du calendrier, ce que j’appelle jour ne nommera plus que cet événement, s’y verra par le recul dans le temps réduit, cristallisé. Quand je dis jour, il faut entendre : événement ayant eu lieu à la date du jour : rencontre ; découverte ; survenue (surprise) ; nouvelle (épiphanie). Ce « jour » est par conséquent protéiforme — il prend la forme d’un objet, d’une personne (quelqu’un), d’un lieu, d’une situation, d’une lumière (un ciel)… Un jour peut tout être. Il est aussi bien, et généralement, une combinaison (synthèse ou patchwork) d’éléments. Une configuration. Un jour est donc une espèce d’épisode, mais demeuré en suspens — comme sans acteurs. Il ne s’y est le plus souvent rien passé. C’est un événement en puissance. En attendant, c’est un non-lieu. Un non-lieu en latence d’avoir lieu. Une possibilité — disait Kundera. Voilà : un jour, dans mon vocabulaire, est une possibilité. Un jour de ma vie n’a jamais tout a fait fini — jamais tout à fait commencé — d’être — à vivre. C’est un jour à vivre — et qui le demeure. Ne demandant qu’à vivre ou s’animer. (Mes jours sont un peu comme les Personnages à réactiver de P. Joseph…)
Ils ont une caractéristique commune qui leur est très probablement une condition sine qua non d’émergence : ces jours m’arrivent dans la solitude. Mes jours sont des avatars de la solitude.
#été2023 #05 | La solitude de mes jours
Ce que j’appelle ici mes jours, c’est ce que de tout temps — depuis que je me suis mis à écrire — je rassemble sous le titre de Contenus enlèvement.