Est-ce montée ou descente le virage, l’accélération toute contenue qui en découle, qui toute conduite l’épouse, le pied sans poids sur la pédale, l’auto plonge, tu ne t’es pas préparé, s’élève, te voilà baignant dans l’effet, et l’effet est mon élément. Et l’effet d’évidence est mon élément, que soudaine une sueur te prenne, une bouffée, par tes extrémités que tu as moites, tes pieds au-dessus du plancher baignant et te voilà, à présent entièrement baignant en effet, où est mon élément et respirant ainsi, le respirant c’est moi, tu m’attrapes, me respires. À moi, tu ne t’es pas préparé à la vitre entrebaissée, la vitre conducteur, à la vitre de ton côté le filet turbulent d’air te prend et c’est par le creux d’abord de l’oreille, mon abordage, que je te souffle ma présence où en l’effet tu te trouves flottant, l’effet plongeant comme si une grande inspiration, aussi grande que là tu peux prendre ou est-ce une expiration longue saturée d’elle-même, concentrée, par laquelle, condensée, tu descends jusqu’à rejoindre, ramassée, ta face postérieure escamotée contre le fond du siège, dans la sellerie, te propulsait. À moi tu n’es pas préparé, ta route étant pourtant la collection de tout ce à quoi tu peux t’attendre, le défilé, la grande revue, la contournante, la quotidienne revue de tout ce à côté de quoi tu passes, tous ceux. Tu n’es pas pour autant averti, pas mûr, tu n’es pas échaudé, pas prêt à moi, il te faudra, bien qu’instamment je te pende à l’oreille, encore de ces longs détours, contournements que sont tes mots ou bien tes rêves pour me toucher. Cependant tu la tends, l’oreille, l’approches à la corde de la courbe, ou est-ce où le virage est la tangente, côté passager, où c’est tangent que tu m’entends. Tu me reçois, ton auto, ta trajectoire, il y a du plongeon et du flottement, l’effet est l’évidence, l’évidence à laquelle tu te rends, mon effet sur toi, et mon élément, mon étirement, ma parole, voilà que l’élément conduit, voilà qu’il propage, ondoie, inonde, s’infiltre et insinue. À moi, jamais tu n’es prêt et cependant dans l’échangeur, cela qui est la vitesse même, qui est la circulation même, qui en est et le germe et le cœur comme la feuille à l’arbre est, le cœur pulsant et distribuant, dispatchant, ventilant, nœud qu’on dit routier, nœud qui n’en est pas un ou dénoué, en voie de dénouement, lié délié comme sont les bras autour du corps, les bras nus ou quand ils font de grands signes qui sont danses aux entours, articulations du corps et sans pouvoir s’en détacher, ce qui ne saurait en cet instant être ton cas, les mains empoignées au volant, tu te rends, et est-ce là. Et ne l’as-tu pas toujours en travers de ta route ou tout aussi bien dans son défilement vu, l’échangeur, tout échangeur, ou en particulier ce nœud, cet échangeur en trompette-là, comme un manège, noyé dans son boqueteau qu’il est, approcher, n’en percevais-tu pas pour toi-même, ressentais-tu pas en toi-même les arbres entre eux tourner, l’impassible tornade, d’un mouvement quasi décomposé quand c’est toi qui, dans ton auto, t’y lançait, à quel assaut. Qu’est-ce alors, qu’est-ce là que se rendre, sur un échangeur, et se rend-on sur un échangeur, s’échange-t-on, vas-tu te rendre. Est-ce là que tu te rends, est-ce à ce moment-là que tu te rends, te laisse aller, faire et conduire. Arpèges que tout cela. Modulations. Ma toccata arpeggiata. Ces souffles qui t’accueillent et troublent, mes insufflations, ces insinuations sont mes préludes. Adresses à l’automobiliste en toi. Mon échauffement. Écoute à présent. Écoute ce que j’ai, non, je n’ai rien, ce qui vient à te dire. Car je n’ai, il n’y a rien à dire. Tout à entendre. Je suis dans la bretelle. J’emprunte la bretelle. Je prends la bretelle. Je prends cette bretelle chaque fois. Je la prends la bretelle toutes les fois. Il était toutes les fois. Qu’est-ce que je vois ? Qu’est-ce qu’il fait dans la bretelle ? Il est dans la bretelle. Il marche sur le bord. Je ne sais pas s’il marche. Je vais trop vite. Déjà. J’accélère. Je suis en pleine accélération. Je sors du virage de la bretelle. J’appuie d’autant plus sur l’accélérateur qu’elle la voie, l’accès est en côte. Elle monte. Il se trouve à la sortie du virage et déjà je le dépasse, qui marche, marche face à moi sur le bord, dans la portion d’accélération, j’approche la section, le segment, la zone d’insertion à moi tu n’es pas préparé, étant la surprise. Je suis la surprise même. Je ne suis jamais la même où ma voie se biaise, biseaute, où la ligne large, épaisse, la grasse, ligne de crème se hache, zèbre, après les zébras, se discontinue, devient franchissable pour m’établir en pleine vitesse, en toute accélération, en liberté, libération de la pesanteur départementale et des routes partagées car je suis une bête de voie rapide, un prédateur solitaire, je suis une auto lancée, je suis en auto lancé en douceur, non, en puissance, en fluidité, oui en force où plus le pied est au plancher plus le véhicule adhère au sol, c’est ça, aspirateur, je suce la voie rapide, suceur de route et sans rien hésiter vu qu’elle est derrière comme devant à deux voies et que sur ma gauche côté conducteur donc tout va me laisser le passage, un cédez-le-passage est dessiné à la surface de la Terre pour que je m’insère et pose, m’impose, m’est destiné donc j’emporte toutes les chances avec moi pour que le flux de la circulation se déporte et me laisse entrer ce qui s’appelle surgir, débouler pour ne faire aucune obstruction ni un obstacle aucune entrave ni objection à me laisser filer, la liberté est de conduire, laisse-moi m’enfoncer dans l’agglo, en ligne de mire le premier rond-point de l’agglo, carrefour de l’Europe et ses drapeaux… À présent marche arrière, tu as quelqu’un laissé derrière, retour échangeur et dis-moi tout. Dis-moi toute. L’histoire. Tu me diras tout, tu vas toute me dire, tu te reprends. Tu reprends que sitôt entrevu je l’ai dépassé voilà qui est dit, ce que je me dis au rond-point 2 km plus loin de l’Europe et ses drapeaux sous ses lampadaires et la pluie, la pluie drue, qu’à peine deviné il me fut soufflé par la vitesse que j’avais prise dans la circulation inséré que j’étais dans l’instant où je le prenais en compte, je le laissais sur le bord de la route, que je l’ai à peine vu ou au dernier moment, que je ne sais et ne saurais dire donc à quoi il ressemble, ou ressemblait, à rien, à moi, à peine aperçu je ne le voyais plus ni dans le rétro latéral, ni central, rien à faire à cause des phares et parce que je suis suivi, dans la nuit, l’ai-je inventé, l’ai-je halluciné, qu’à peine l’ai-je esquissé, je l’emporte avec moi, ou le laisse là, je le dépose dans les mots et c’est tout comme ou une laisse entre lui et moi, téléscopique, que j’aurais pu le tuer voilà ce qui me vient, vient tout au bout de ces mots-là, voilà qu’il me poursuit, lui ou son image inconnaissable dans les phares, à la limite de l’éclairage, faisceaux, pinceaux et cependant que tout y défile et passe, l’agglo, ses abords et ses sols, marquages, raccords divers il y a quelqu’un, quelqu’un avec sa lumière qui est rétrospective et demeure comme une tache dans l’œil, à sa surface accompagnant le mouvement des paupières, des clignements, des clignotants, quelqu’un qui fait tache, ne s’efface pas, fantôme embarqué, un quelqu’un qui ne passe pas.
En allant te chercher, je tombe sur lui, ç’aurait pu être moi, tombe n’est pas le mot. Mon auto est une trombe comme toutes les autos, une chasse d’eau, elle chasse tout derrière, dans la nuit. Dans la pluie de la nuit. Mon auto laisse tout le monde derrière. Sauf toi. Je te réserve la place à mon côté, du mort, elle t’attend. J’ai passé l’aspirateur dans tout l’habitacle et déhoussé et secoué les housses, dépoussiéré la planche de bord. L’auto est prête à n’importe quel voyage, le premier venu. Derrière nous la nuit se refait en un clin d’œil. Est-il retourné lui à la nuit, non, il a rejoint par la bretelle les lumières de la zone et puis du bourg. Vraisemblablement. Il est à poil à sécher chez lui à l’heure qu’il est, ce n’est pas de lui que je parle. C’est de l’autre, l’autre que je raconte, celui parvenu là où je l’ai croisé, non, advenu à cette extrémité, ce couronnement. Cette statue de pluie. Il tient sa lampe dans les phares, droit dirigée, mais c’est sa tête que j’ai vu avant sa lampe, sa tête non, sa face. La projection de mes phares dans sa face, sa lampe ne peut rien pour lui, il sort de sa nuit sa lampe à la main, en est extrait détaché et comme expulsé par les phares des autos et c’est sa nudité cette lampe qu’il a, qu’il tient plantée dans les phares, c’est comme s’il était, son absence de mobile ou de raison, dénudé comme si, tenant sa lampe des deux mains à bout de bras serrés contre lui, il portait sa main là, je veux dire : dénué, démuni, l’air démuni ou perdu je veux dire : ahuri, c’est ahurissant non. Ce sont les arbres, hérissés en voûte qu’ils sont par-dessus sa tête les arbres nus d’hiver, leurs houppiers comme des synapses les poils dressés dans l’échangeur, ce n’est pas comme si je ne l’empruntais jamais, ça a à voir avec les arbres, nous sommes un arbre pionnier de croissance rapide. Notre espèce est considérée comme exotique envahissante avérée en Île-de-France. Nous supportons mal les forts vents. Assez mal la taille sévère et l’élagage. Nos feuilles caduques apparaissent tard au printemps. Nos épines et notre croissance rapide sont un atout pour faire des haies. Nos fleurs qui apparaissent entre mai et juin sont blanches, en grappes pendantes parfumées, mellifères, de 10 à 25 cm de long, je connais leur manège, je vois bien comme ils tournent, l’air de rien, je les ai vu tourner, on leur voit au travers quand ils se tiennent en noir, noirs en silhouette dans le contre-jour, contre le ciel, ciel émaillé du soir, immobiles faussement. Il y a quelque chose avec ces arbres. Nous aimons le plein soleil. Nous supportons la mi-ombre. Nous craignons la pleine ombre et les vents forts. Notre système racinaire très développé permet de stabiliser les sols. Notre feuillage caduc, assez dense, se forme tardivement et tombe tôt, nous laissant complètement dépouillés la moitié de l’année. Nos épines peuvent faire de nous une haie défensive. Nos feuilles, vert vif, longues de 15 à 20 cm, sont composées d’un nombre impair de folioles ovales. Nos fleurs, blanches, parfumées et très mellifères, groupées en grosses grappes pendantes, s’épanouissent en mai-juin — qui sommes-nous ?
en italique au premier paragraphe, un parmi de semblables fragments ébauchés pour la consigne « Voix de la prose / Faire un livre #08 » de l’été 2021 et qui ne trouve sa tournure, son établissement, son transitoire aboutissement (et c’est comme un atterrissage) que maintenant, là — les textes sont des sas (moi je les ai toujours rêvés en pods façon The Fly (1986 film))
Échangeur : cela fonctionne bien en réponse, en échange, avec les accumulations temporelles de la proposition de lancement. Dans ton texte, une fluidité étonnante. C’est une matière-toi qui circule à même la phrase. Donc bravo pour cette ouverture-peau. L’histoire arrive de loin – je partage cela avec toi, qui sait si je parviendrai à la rejoindre. Bonne suite pour les étapes 4bis ou 5.
Merci Nolwenn. Avec plaisir. À fond dans la quête
Incroyable, étonnant ce travail de la langue si singulier. Un vrai voyage dans tous les sens du terme. Merci
Merci beaucoup Françoise. Dans le temps (long) où cela s’écrit, c’est un chaos qui fait perdre (pied peut-être, en tout cas) toute assurance. Une confusion. Je souhaite qu’à la lecture cela ne se sente pas trop (et glisse)…