J’emprunte la Super Cinq de ma mère. Je descends par les routes sinueuses et puis par les droites le département. J’ai vingt ans. Je me vois critique d’art. Nous discutions de la frustration ressentie à la lecture des comptes-rendus d’exposition dans la presse spécialisée, parce qu’ils s’embarquaient d’emblée dans des délires d’analyses que nous considérions hors-sol, sans jamais nous les avoir décrites. Leurs auteurs les avaient-ils seulement vues ? La description — un préalable, non ? Nous nous imaginions mesurer l’expo, même. Ça commençait autour de nous à réfléchir à des expositions à vivre, à plusieurs, à les tenter. No Man’s Time. Avec. Ozone… Qu’est-ce qu’une exposition de groupe ? Quel paysage ? Quel microcosme — quel rêve (quelle rave même) ? Quel milieu — quel habitat et quelle cohabitation ? L’exposition comme mode de vie, comme temps partagé — je tenterais quelques années plus tard d’en écrire un mémoire…
French Kiss II est une exposition de jeunes artistes français qui s’est tenue à l’APAC (Association pour l’art contemporain) de Nevers pendant l’été 1991. Curated by Éric Troncy — je crois me souvenir que certains des artistes étaient crédités comme co-curateurs. C’était ça les années 90 : tous curateurs. Horizontalité. L’exposition déballée par terre. Je vous passe la description (un bric-à-brac entre la kermesse et l’aire de jeu avec un moulage de caisse de supermarché tapis roulant compris — mais comme je suis réducteur…)… Toujours est-il que dans l’élan de retenir et noter le moindre détail de l’exposition, mais encore les plus petites choses (et aussi les plus grandes) qui me passaient par la tête en la traversant, en y baignant, m’y échauffant (c’était un local dans une zone ou j’invente ?), j’ai continué au retour : j’ai noté dans ma tête, récapitulant en m’arrêtant ici et là sur un parking, sur un carnet sur ma cuisse, tout ce que je voyais et ressentais sur et de la route. L’exposition ne m’avait pas quitté — j’en étais l’extension. (Je me souviens avoir suivi pendant un long moment, me retenant, pour une fois, de la doubler, une remorque transportant une espèce de véranda — un de ces showrooms mobiles de foire — avec seulement les rayons du soleil de la fin de l’après-midi dedans…) Pour un compte-rendu d’exposition, c’était un peu — et toute proportion départementale gardée — gonzo.