Quand je vais par là, je me gare toujours au même endroit avant le tunnel pour les bus et les parkings couverts, en face de l’ancien collège vert amande provisoirement réhabilité parce que l’autre a brûlé. J’ai plusieurs souvenirs ici, certains de l’enfance, d’autres quand mes enfants étaient collégiens : une fois, hélé par une ancienne élève qui m’avoua être restée cloîtrée plusieurs années chez elle. On monte sur la dalle, au premier niveau enceint de logements, puis par d’autres escaliers, on atteint le niveau supérieur plus aéré. On passe devant la boucherie épicerie qui fait l’angle. D’abord, on cherche. Chaque montée correspond à un numéro, le bâtiment n’est qu’un seul et même édifice, une interminable barre d’immeuble, un utopique serpent bétonné des années soixante-dix qui s’enroule autour d’un parc. Les balcons des façades en damier multicolore sont encombrés. Il y a souvent des passants et de la marmaille agitée qui court sur les plaques granuleuses et slaloment sous les piliers des arcades. Il y a des escaliers en béton à colimaçon et des portes vitrées avec des interphones dans des recoins encastrés. La liste des noms est interminable. On la fait défiler en pressant le bouton sous l’icône en forme de triangle. Celui qu’on cherche est mal orthographié. On monte un étage. On traverse une coursive, genre de passerelle extérieure, puis on pénètre dans un second couloir austère. Portes de métal à droite et à gauche. On sonne. Rien. Encore. Bruit feutré. Cliquetis dans la serrure. La porte s’entrouvre sur le visage ensommeillé de la maman. Il est 13 heures. Tout le monde dormait : « Christian, Professor ! »
Je vois le numéro depuis ma voiture. La convention de stage posée sur le siège passager. Clignotant. Créneau. En face, c’est la tour des riches. Ilian qui peut l’observer depuis sa terrasse m’explique : on l’appelle comme ça parce que les habitants sont propriétaires. En tout, il y a huit tours. Une vingtaine d’étages, blanches, bardées de bois foncé, tout comme les onze immeubles allongés qu’elles dominent et qui eux s’élèvent de quatre étages. C’est l’entrée du quartier dessiné par l’architecte Maurice Novarina, (le père de Valère). De l’autre côté de la rue, les immeubles des années deux milles-dix où habite Ilian le prolongent à leur manière. Opposition de style. Là, deux mille logements construits pour les jeux olympiques en 68, une ZUP conçue pour devenir un village piéton, verdoyant, parsemé de sculptures mais vidée de ses commerces par la présence toute proche de Grand-Place. Je connais le lieu par les parking et les halls (ordinateur portable sur le haillon de la Fiesta ou sur les casiers des boîtes à lettres pendant le confinement) Toujours, ça bricole sur le bitume. Des voitures sur cric et sans la roue penchent au-dessus d’un ou deux types. Des bandes de gosses cavalent partout. Ils empruntent des passerelles qui dominent les voies de circulation. Des jeunes stagnent aux sommets des marches. Ici, chez Ilian, le front de rue est continu. On se gare au pied des bâtiments, il y a même des garages en sous-sol. Interphone sur grille et portail tout contre la rue. Carré d’herbe. Deuxième interphone sous le porche. Baie vitrée, hall carrelé aspect marbre rose. Un panonceau indique le nom du bailleur social. La façade est bleue sans réelle unité avec ses voisines. Chaque appartement possède sa terrasse. J’attends dans le hall en tenant la porte aux deux poussettes qui viennent.
Au rond point, quand on arrive à la zone commerciale, juste avant le pont, on prend cette dernière sortie qu’on ignore d’habitude et sur cinq-cents mètres on longe, à droite l’autoroute (on est légèrement surélevé par rapport aux glissières), à gauche un parc qui se trouve derrière une butte boisée. Les immeubles neufs se trouvent là sur la gauche après le nouveau cimetière. Les cinq bâtiments sont disposés perpendiculairement autour des parterres de fleurs et des parkings. Quelques tuyaux à drain dépassent ça et là. Quelques rectangles de bitume manquent d’enrobé. Les grandes barres brunes de l’ancien quartier dépassent deux rues plus loin. Les grilles du collège et le gymnase jouxtent les résidences. Il n’y a pas de bus, ici. Il faut traverser le parc pour atteindre le premier arrêt. Un gars du réseau de transport m’a expliqué : le collège est excentré et mobilise des bus pour acheminer des élèves qui viennent de quartiers à l’opposé de la commune. Du coup, la zone est une enclave sans transport en commun pour les habitants. Je la récupère le jour de l’examen pour être sûr qu’elle soit à l’heure. On discute avec sa mère. Elle me montre la bordure de ciment contre laquelle Mia est tombée le jour de la bagarre.
A droite après le supermarché, on passe devant les constructions neuves, le site industriel qui s’étend avec ses façades vitrées noires. On reprend encore à droite en s’approchant de la rivière. Les digues sont bétonnées par endroit. Elle m’a dit de suivre la direction de la déchetterie. En effet, j’arrive devant le portail vert et les bennes organisées au centre d’un circuit bitumé surélevé avec plan incliné. Bruits de ferrailles entrechoquées, voix portées. Un panneau proposant du rempaillage avec un dessin de chaise est appuyé contre le poteau à l’entrée. Caché sur la droite, c’est l’entrée du terrain comme elle dit. Il y a une dizaine de caravanes sur le goudron. Le lieu semble plutôt vide. Elle se tient droite au centre dans un survêtement rose et gris. Prête pour son oral.
Tous les prénoms ont été modifiés
Ces terrains silencieux qui finalement en disent pas mal…