Téléphone corps avec nuit comme immense caisse de résonance . C’est moi, je ne te dérange pas ? Et ta voix dans les graves qui brasillent, une comète suivie de silences enchâssés. C’est fini, tu ne peux plus appeler comme avant alors c’est moi qui décroche, façon de parler. Tu m’entends ? Je peux me déplacer un peu si tu veux. Là, dans le coeur, on dirait que ça capte mieux. Je sais que tu ne peux pas répondre : il y a cette béance de l’autre côté. Avant, on disait: « Au bout du fil ». Mais là, il n’y a plus de fil. Et à la limite, plus personne, ce n’est plus la peine. A la limite seulement. Je sens bien que quelqu’un comme toi est près d’une fenêtre donnant sur le vaisseau qui ressemble au bâtiment central de la Cité idéale déserte, celle de Piero della Francesca. Tu veux que je me déplace encore un peu ? Je sais que tu me donnes des indications mais souvent la communication est brouillée : personne ne m’a appris à utiliser cet appareil-là. Il parait qu’il faut avoir confiance, et que si ça capte mal, il y a d’autres moyens. Il faut passer par un opérateur : le sommeil est un réseau complexe de fils brillants à l’intérieur de la tête et le rêve est un mobile très utile. Où ? Tu es où ? A cette question vertigineuse tu as déjà répondu en passant par la plate-forme du rêve mais je n’ai pas tout compris. Il était question de nébuleuses, bien plus proches que ce qu’on imagine, de temps suspendu dans les tableaux, de peinture conduisant la présence, d’énergies dissimulées dans les coutures d’un monde dur à vivre et à réparer, de rues et de places. Oui, je suis là, j’écoute. Dans mon ventre ? Comment est-ce possible ? On ne communique pas avec le ventre. Pourtant si : quelque chose me dit qu’une voie est ouverte et le signe, c’est une grande douceur, dans le ventre justement. On ne nous apprend pas ça avec les technologies dites nouvelles et déjà dépassées, si vieilles. L’oreille en fait est partout : dans la tête, dans le ventre. J’ai bien entendu : nous allons nous voir en pleine ville. Dis-moi où, ne me laisse pas chercher comme une folle. Près du vaisseau ? Tu ne prononces aucun des mots qu’on reconnait quand on appuie le bord de l’écran contre un peu d’oreille et un peu de joue. Il se trouve que dans le corps téléphone, dans les nerfs, j’ai bien reçu les informations. Oui, je suis toujours là, je note, il faut que je me souvienne et que je décode. Ce sera dans un périmètre précis, déjà délimité au temps des anciennes communications. Assez facile de rassembler les appels, de tracer, de borner. Des lieux-clés tu dis ? J’écoute. La statue de l’archange, une reine surplombant à distance le bassin, le square de Saint-Julien-le-pauvre, et sous les arcades de la belle place, un café. Alors c’est là ? Si je comprends bien, je dois aussi relire les pages des cahiers d’avant, quand on s’appelait pour se retrouver et que j’écrivais tout. On n’avait pas de portable mais on y arrivait toujours, rien n’était compliqué. Maintenant, on dirait que c’est pareil, même si ton corps a disparu de la circulation. Le grand téléphone de nuit m’envoie une image via son service de messagerie multimédia. Je regarde l’arrivage, car le téléphone sert à ça aussi : regarder, lire. C’est un dessin figurant le Petit Poucet : il a ton visage. La nuit est profonde comme une forêt de l’Est, l’enfant sème ses cailloux blancs sur un sentier à peine visible. Il faut juste marcher dans le sillage, discerner dans chaque caillou l’éclat d’un lieu, d’une encre, d’une aquarelle, d’un visage, sachant qu’il faudra de la patience et du temps pour atteindre l’espace des retrouvailles. Allez, je raccroche, le petit jour se forme, il faut que j’y aille. Nous avons rendez-vous, je ne serai pas en retard.
j’ai ouvert pour essayer de comprendre ce qui était attendu, ne suis pas certaine d’avoir compris, parce que j’ai été happée par le texte et en suis restée à lui
Happée par le texte moi aussi… amours anciennes reprogrammées ? rendez vous inventé ? ça n’a pas d’importance… j’ai suivi moi aussi votre nuit profonde, me raccrochant à l’idée de forêt et de sentiers qui se dessinent au fur et à mesure qu’on avance…
Merci à toutes deux, Brigitte et Françoise, de votre passage. Ce texte, comme les autres, est un prisme, un capteur. Le contexte ? Reprogrammation non. La parole à Victor H: « L’être pleuré est disparu, non parti. Nous n’apercevons plus son doux visage, nous nous sentons sous ses ailes. Les morts sont invisibles mais ils ne sont pas absents. »
Poursuivons.