mais viens… viens voir, comme ils étaient beaux… viens voir comme c’est beau… tu peux pas, non tu peux pas dire le contraire… ! non, c’était beau… ! c’est beau… et c’est toujours beau quoi… quoi comme quoi… ? c’était beau… beau comme… une matinée de printemps, tiens, avec cette masse énorme et noire qui montait vite, un vent de tous les diables en sourdine, comme une vague se dresse, se cabre, comme la langue du ciel s’ouvre pour gober le soleil… c’est ça… et beau comme la langue baveuse et râpeuse sur une pierre de sel, le rose sur la croûte et le souffle chaud dans les oreilles, sur le visage, trois coups comme ça d’air humide dans les oreilles, de reconnaissance faciale, animale, à humer… beau comme la véranda-débarras, aux plaques d’éverite voilée de soleil qui craquent les jours de coups de vent, les plaques de polystyrène à se soulever et l’ampoule qui clignote… du beau aussi comme le chien sur ses gardes les pattes avant écartées, à japper, japper, pour faire s’envoler la grosse pierre et puis, comme la tête plongée dans l’eau à draguer le fond de la rivière, à tirer, tirer la pierre trop grosse, et les premiers clapots de la pluie qui affolent les araignées d’eau… beau comme la chaux et la lumière grise sur les murs de la grange, à gratter, à graver, à en gaver les ongles sans savoir ce qu’on a inscrit, ou écrit, avec des ombres partout et l’ampoule qui vacille et fait danser les ombres et le quadrille aux papillons médusés… et beau comme il faut baisser la tête pour entrer dans le pâr à gorets, devenu une espèce d’entrepôt pour vieux journaux et magazines, et des nids de luxe pour les souris… c’était beau comme le TUB sans pneus rouge bordeaux à bandes jaune paille, dans la cour engrillagée, par la porte coulissante grippée, les poules à couver sur des sièges de voiture… c’était beau comme nos têtes dans le râtelier à foin, par la trappe coulissante, à passer d’un côté, à disparaître de l’autre, à grimper sur la pyramide de bottes, à passer la tête par la lucarne, voire la foudre à travers le feuillage du pied de frêne… beau comme les hirondelles du soir, à discuter en ligne sur le fil téléphonique de la cour, beau comme t’imagines qu’elles perçoivent et traduisent les appels en cours, et même que c’est elles qui font les communications, jusqu’à se taire de concert et s’envoler comme un seul homme… beau comme le grenier en forme de cave remplie de cartons à arranger, combiner, architecturer pour un fort d’Apaches en plumes synthétiques et arc de pacotille, la cheminée pour totem d’engoulevent et dans de pluie… beau comme le coq sur le guidon de Yamaha dans la maison du bas, à pousser un chant soufflé par le voile d’ombre qui tombe et recouvre le four à pain… beau comme les peupliers, bras dessus bras dessous avec le lierre en lianes, balançaient ensemble leurs têtes dans un ciel argent massif… beau comme un clic de chauve-souris à faire tomber la nuit sous les roues des orages… beau comme le souffle de la scie quand on l’enclenche, comme le claquement régulier de la grosse agrafe de la courroie, comme les stridulations des dents à l’attaque des bûches, à couvrir le tonnerre, comme la sciure jetée au sol et l’odeur de bois frais qui vole, et les coups de coin sur le billot noué… et beau comme d’enfourcher une vache et partir au grand galop, ses cornes d’abondance indifférentes en main comme celle de la bête imaginaire que tu deviens dans un vaisseau de cuir en force vive, à l’assaut des foudres caudines… et comme ces belles libellules de camouflage, des micros plein les yeux, en suspension sur l’extrémité de la branche à déplier leurs ailes, les replier, les déplier comme pour vérifier que tout est OK capitaine avant de repartir au moindre coup de vent, au moindre ombrage qui passe… du beau comme la machine à coper les jhoutes, dans l’écurie à ciel ouvert et murs éponges, sur trois pattes et une manivelles, pas mal de rouille, pour de beaux filets de betteraves saignants à faire pâlir le chef de la boucherie chevaline, mais il devait être mort… du beau comme les têtes qui sautaient derrière les fenêtres et les truffes plaquées sur les vitres, à faire de la buée et laisser une trace balayée par le claquement et le glissement des gouttes… beau comme les pneus lisses entassés, alignés par dizaines, centaines peut-être, en guise de clôture hermétique, de pots de fleurs surprises pour orties géantes et abris tropicaux des nids de guêpes contre les ondées et les giboulées glacées… beau comme les becs ouverts nichés serrés et haut perchés sur une solive, dans le ventre de la terre que la tempête fera à peine trembler… c’était beau comme de l’entrave entre les pattes, que c’est pas bien en soi de ralentir la marche comme ça, mais tu savais pas, tu savais que le bruit de ce gros bâton sur le sol, les ricochets du bois sur les cailloux, un peu comme les fameuses casseroles au cul des bagnoles de mariés et autant dire au cul de la vie de couple comme si c’était une métaphore de l’avenir ou du vivre-ensemble, mais pas là, pas l’entrave devant, ce morceau de bois pendu au cou, fendu, rongé petit à petit, blanchi avec le temps, à râcler, à gratter la terre, à arracher l’herbe, creuser son sillon, sa ligne tordue, beau comme ça juste le temps de remonter se mettre à l’abri… et comme dans la belle Dauphine sans siège arrière, les cous nus, à couver dans le coffre, les poussins qui se réfugient sous les sièges avant et tu retrouves à l’intérieur, poussé par les guêpes sorties du moteur par les fentes du capot, coincé par l’averse drue… beau comme le chiot entre les sacs de patates dans le chai, qu’on prend dans le creux de la main, à gémir faiblement, la rafale engouffrée sous la porte usée, tremblante, la mère à l’œil de bille et les oreilles en pointe… beau comme la caravane sur cales, la banquette déchirée, pleine de poussière et les toiles d’araignées dans tous les recoins, instable, la fenêtre battante et l’arrière à bascule… et du beau comme de s’allonger sur le dos de Margot, au matin, toujours en pyjama rayé comme sorti de prison, la tête et les mains cherchant à se glisser sous la peau de l’animal, se tapir sous le pelage noir et blanc et la fine couche de suint comme sous la couverture électrique zébrée, les soirs d’hiver…
- Avec tout ce que j’ai en tête, bien sûr (je me répète, je crois, mais avec un ou deux tours d’écrou du temps, peut-être pas tant que ça, c’est juste une piqûre de rappel) qu’on peut faire mieux que moi. Mais voilà, ça se passe dans ma tête, il n’y a personne d’autre pour faire mieux. De toute façon, le jour où ça arrivera (c’est vrai, ça peut arriver), il ne se passera rien de mieux ni rien de pire. Si tout se loge dans la tête, le fond de la chose ne vient pas de là, vous le savez bien.
- Images cassées – S’il n’y avait que les images…
- L’orgue de barbarie (je me répète), la partition à trous et c’est le l’air soufflé, engouffré dans les perforations grâce au reste de la page blanche (ce rouleau cartonné, rigide, plié, déplié dans l’orgue, replié), qui fait la musique dans les anches ou les flûtes. Est-ce la bonne image pour évoquer la mécanique des textes à trous. Il faudrait mieux connaître la mécanique de la chose, plus complexe qu’on ne l’imagine. L’orgue de barbarie, avec par exemple 3 registres, 42 bourdons, 12 doublures de basses, 30 bourdons célestes, 30 flûtes ouvertes, c’est un peu un orgue d’église portatif, pour un organiste amateur qui n’a rien à faire d’autre qu’à tourner la manivelle (encore faut-il tenir le bon rythme, la bonne mesure, sans faiblir, comme le tambour du célèbre Boléro), et chacun de deviner de quel air populaire fantomatique il s’agit. — Et c’est ça aussi un texte à trous : un texte fantôme, qui a l’air mais cherche sa musique ?
- Il y a une espèce de repli dans ma démarche, à se concentrer, tant bien que mal, sur l’animal. (À développer.)
- Il y a la main qui s’avance et la main qui se retire, la main qui prend et la main qui donne, la main qui caresse, la main qui cogne, la main positive, la négative, la main au panier et les pieds à la place des mains, les mains jointes de la prière, le poing levé de la colère, la main tendue, les mains serrées, les bras ouverts. — Parler des mains, les photographier, les filmer, les donner à voir, me semble être parmi les choses les plus complexes qui soient, avec le visage. (Je me souviens d’un exercice d’écriture sur les mains.)
- « Cet enchevêtrement de répétitions entretient la vie dans le vivant », écrit Bernard Noël dans Un Trajet en hiver.
- Je n’avais pas encore lu la production de Chatf n°8 et son propos sur la comparaison, quand moi-même je m’interrogeais sur sa fonction. Et c’est étrange cette conjonction, et du coup cette inflexion qui m’incite à répondre en la manipulant à l’excès. Reste à savoir si je vais conserver le thème de la beauté (animale), et parvenir à tenir le rythme de la comparaison sans raison.
- Ce que veut Chatf n°8 en substance :
- un point de départ, même surgi tout proche de l’écriture automatique, du flou intérieur, d’un système bref de mots qui ensemble ne font pas sens ;
- mais si, de cette toute première image, on en faisait surgir une autre, comme décalcomanie, en conservant un élément, construction, contexte, un mot plus fort que les autres, et qu’on renouvelait le processus ?
- (Il y a là quelque chose de ce que remarquait Barthes, que la peinture de Nicolas de Staël tenait dans 5 cm2 d’un tableau de Paul Cézanne. Ou comme dans le clip du célèbre Mia d’IAM, où la caméra avance d’un lieu à l’autre, de scène en scène, par à-coups en zoomant sur un détail puis un autre à l’arrière-plan dans ce détail passé au premier plan. Ou encore, le jeu poétique japonais du kasen, consistant à produire une série de haïkus en fonction de ce que chaque haïku évoque, d’effet de lecture en effet de lecture — quelque chose comme ça.)
- Quand on parle de lire entre les lignes, c’est que ce qu’il y a à lire comporte en soi des trous, des tranchées, des crevasses, où fuit le sens.
- Comparaison à répétitions : pour viser la beauté animale — dans un comparé sans comparant, sinon vide —, on substituera à beau, le mot animal : on dira animal comme… et l’on donnera de la voix, on lâchera les fauves : le comparé se fera adjectif, substantif, voire adverbe.
- C’est comme une technique complexe, disons un tour de magie : on vous explique l’astuce, on vous décrit la manipulation, vous concevez et comprenez très bien la chose ; on vous la montre, vous ne savez plus trop, vous vous faites toujours avoir, vous n’avez rien vu ; vous vous y essayez, c’est tout simplement impossible, les bras en tombent.
- Le mot de Lautréamont, « beau comme la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection » vérifie l’adage selon lequel comparaison n’est pas raison, et lui donne un nouveau tour d’écrou. Lautréamont pourrait ajouter : Bien au contraire !
- Ne pas oublier le milieu.
- Beaucoup de présent, un peu de passé, pas de réelle concordance des temps, ça ira comme ça, mais foutue langue.
- Je n’aurais pas cru parvenir à dresser une liste assez longue, même si elle reste très incomplète (mais c’est un peu dans la nature de la liste de rester ouverte, même si l’énumération est exhaustive, non ?).
- Zut ! j’ai oublié Minouchette, la chatte blanche de Dada, avec une belle queue tigrée, zébrée de gris, pas farouche, de beaux yeux ronds comme des agates pour les jours de pleine lune.
- (Qu’on semble loin, loin, de la ville.)
- Macha Méril dans Une Femme mariée de JLG :
« Pardon… ? Non, j’peux pas comprendre… j’peux pas comprendre le présent. C’est plus fort que moi. Bien sûr, ce que j’aime, ce qui m’intéresse, c’est cette… c’est cette chose qui m’échappe, que j’arrive pas à contrôler dans le présent. Et c’est pour ça que j’aime ça. J’ai envie de contrôler parce que j’pense et parce que j’peux pas m’empêcher de penser et parce que j’suis pas, j’suis pas un animal. Quelquefois j’regrette. C’est bien les animaux, ils ont, ils sont naturels, ils ont les gestes natu… c’est toujours beaux les animaux ! Mais voilà, nous il faut qu’on comprenne… »