– Voyage 1 –
reflet fatigué plein de préoccupations dans la vitre sale
ville toits rouges noirs qui croit s’étend crève l’horizon cubes
entassés ciel bleu feuillages verts tirant sur le jaune le gris
dans le wagon ça piaille bavarde il y a un enfant qui crie
tunnel sombre les vitres me renvoient mon agacement reflet
des autres passagers de moi qui essaie de faire en vain silence
dans ma tête le tunnel se prolonge noir lumière jaune pisse
du wagon livre qui me fuit difficultés à y bitter quelque chose
au bout du tunnel la lumière le ciel est gris délavé verdâtre
des bâtiments explosés en feu brisés comme des allumettes
des trains couchés métal rouillé des rails vitres brisées
des arbres tordus gris à nouveau le tunnel ça piaille
laideur de ces physiques alambiqués faces fatiguées bruyantes
vieux mépris social qui guette livre qui ne veut pas se lire
– Paris –
mains arrachées cœur saignant la terre inondée tremble
les façades crasseuses ont des regards pleins d’appréhension
l’humanité s’étage on s’ignore les pigeons là-haut
observent posés sur les toits ou chiant sur le pauvre badaud
en bas gronder les prières des foules impitoyables
les pierres assemblées font un patrimoine plein de cadavres
c’est partout chants et danses slogans hurlés fracas des pianos
peintres cabarets on meurt seul dans les chambres de bonnes
chacun se méfie de l’autre on se guette se juge ivre de rancœur
une tour de métal lève son majeur haut vers le ciel
– Voyage 2 –
tours cités blocs lignes droites ou courbes points horizon
lumière des couleurs images floues insaisissables paysages
terre sèche craquelée poussière le soleil nous en veut
et des murs nous enferment bâillonnés effacés il faut en sortir
misérable humanité qui piaille des enfants crient qu’ils
se cassent disparaissent herbes desséchées déserts paysages
morts les livres abimés ont des mots lourds trop lourds à
porter une voix dans le haut-parleur annonce le prochain arrêt
– Damas –
sur les toits des taches blanches ou rouillées milliers d’yeux
le soleil nous en veut d’avoir du temps libre à perdre
un nuage gris de pollution opaque a recouvert notre insouciance
voitures taxis autobus brouhahas coups de klaxons injures
mendiants se trainant parfois amputés d’un bras d’une jambe
odeurs insoutenables soleil enragé ici un cadavre de chat
un vieux souk recouvert on y vend épices fruits secs tissus
on déguste de la glace au mastic préparée au mortier
des femmes voilées trainent derrière elles leurs domestiques des
Indonésiennes Mauritaniennes Philippines esclaves modernes
deux enfants avec nonchalance ont balancé leur bouteille de soda
on voit partout accroché le même portrait d’homme sévère
– Voyage 3 –
bruit qui tape qui cogne fort le wagon me ramène à la réalité
il est plein le wagon d’âmes en peine qui se serrent s’asphyxient
veulent exister contre autrui la chaleur humaine a tout embrasé
dehors des champs de blé de lavande de tournesol
des oliviers des orangers et des rizières à perte de vue
des paysans dansent folkloriquement au son du biniou
on se piétine ou se lacère tous les prétextes sont bons pour se haïr
les druides au pied des dolmens et des menhirs sont de sortie
– Bristol –
gonflées des échos lointain de la mer et le cœur d’une crainte
le chant des goélands m’a tiré de mon sommeil j’ai les oreilles
tenace pressentiment d’apocalypse le vent siffle et sous le ciel
délavé des pubs des boutiques depuis des millions d’années
abandonnés des restaurants sans clients sont les vestiges
d’une civilisation trépassée une rue s’élève là une librairie
souvenir d’une école de langues où se croisaient les nationalités
souvenir d’une boite de nuit qui puait l’alcool et la misère
un supermarché plus loin et tout au bout là-haut dans le ciel
comme une cathédrale imposante l’Université de Bristol
– Voyage 4 –
océan vagues qui battent le train s’enfonce tunnel
sombre oiseaux par milliers gueulent échos d’un lointain
ailleurs elles sont les vagues pleines de remords
pleines d’îles cocotiers sable brun montagnes verdoyantes
des corps se dorent sur leurs planches des surfeurs tentent
de toucher le ciel les rivages sont pleins de chants le soleil
nous en veut tempêtes destruction de l’espace et du temps
l’eau est constellée de morceaux de corps à la dérive
– Fort-de-France –
il faut les imaginer ces bâtiments aux façades multicolores
qu’aucun cataclysme n’ébranlera ces huttes dressées
fièrement au marché on vend papaye banane coco on mange
de la glace au mastic préparée au mortier il faut la voir
l’église pointant téméraire sa flèche haut vers le ciel
les boutiques abandonnées les foules balançant des pavés
l’imagination encore tente de saisir les lignes droites ou
courbes points horizon lumière les images floues et ternes
qu’y fait-on nonchalamment assis un livre à la main
qu’y fait-on luttant contre les piaillements des passagers
– Voyage 5 –
le wagon s’est dépeuplé ça crie moins à part quelqu’un
au téléphone retour des arbres tirant sur le jaune
on cherche des repères la ville aux toits noirs rouges
on cherche des repères encore un tunnel avant d’arriver
la lecture peut reprendre l’humanité s’est éteinte maintenant
on ne le fait pas on pense on regarde le ciel qui rougit s’assombrit
les nuages l’autoroute ça roule encore là on cogite on pense
au chat qui nous attend aux livres qui ne se liront pas on voit
la gare pointer son nez la voix dans le haut-parleur a annoncé
le nom de l’arrêt on attend que le quai cesse de défiler s’arrête
– Joinville-le-Pont –
quotidien morose retour à la case départ le pont tant
de fois parcouru s’accroche à mes pas me condamne
à revenir à ruminer tourner en rond si je buvais la Seine
et tous les déchets qui s’y noient je ne serai pas désaltéré
sec et foisonnant, comme un étal d’épices