Elle en voit passer des coquelicots. Il faut dire que c’est la saison. Il y a des coquelicots dans les champs et des boutons d’or dans les prés. Elle aime ces fleurs de talus. Des sauvageonnes qui vont bien à son état d’esprit. Elle voit les tâches rouges du coquelicot. De toutes petites tâches rouges qui se parsèment sur son chemin. Il y a une touffe de coquelicots devant une maison prés de chez elle. Une touffe qui laisse des tâches colorées sur le trottoir. C’est un rouge écarlate, un rouge qui éclate et qui éclabousse tous les champs d’à côté. Sur cette touffe, il y a tout un tas de petites fleurs qui sont sorties et des petites bourses qui ne demandent qu’à éclater. Pourtant, il fait frais en ce début de mois de mai. Il y a ces tas de petits coquelicots qui prennent racine dans le sable, au ras du bitume, le long d’un grillage, presque au pied d’un portail. Petites tâches singulières qui ne demandent qu’à tout éclabousser.
Elle va à la médiathèque pour échanger ses bouquins. Elle en ramène dix, elle en reprend dix. Elle prend aussi six revues. Tout cela pour dire qu’elle a du choix ? C’est un faux choix. Que va-t-elle bien pouvoir prendre ? Guillaume Musso ou Marc Levi ? Perec ou Pessoa ? Le choix est si vaste que ce n’est plus un choix. Aurélie Valognes ou Louise de Vilmorin ? Vache qui rit ou Epoisses ? Virginie Grimaldi ou Annie Ernaux ? Fromage ou dessert ? Elle doit choisir dix documents. Des romans, des documentaires, de la nature, de la culture ? Peut-être un peu tout cela. Ce choix crucial à son futur bien-être la laisse indifférente. Il faudrait qu’elle s’implique dans le choix des documents. Elle sent que les écarts seront grands. La médiathèque est un grand paquebot qui se pose sur des vagues. C’est un grand paquebot qui tangue sous la houle. Plus personne ne va sur le ponton. Plus personne pour la fréquenter. D’où les dix livres que l’on peut emprunter. Pour trois semaines. Ça demande de l’assiduité. La bibliothécaire ne lit plus. Elle s’endort sur les livres. Elle n’emprunte plus de livre mais conseille Aurélie Valognes ou Virginie Grimaldi, Guillaume Musso ou Marc Lévy. Elle, elle préfère dormir. Elle se laisse chahuter par le paquebot qui tangue. Elle ne lit plus, elle dort profondément.
L’idée de sa mort ne lui appartenait pas. Elle n’y pensait pas ou n’y pensait plus. Elle y avait déjà pensé autrefois et elle n’était pas morte. Elle avait survécu à tout cela. Maintenant, elle vivait dans un entre-deux, entre la vie qui coulait et la mort qui courait. C’est qu’elle n’y croyait plus à sa mort. Pourtant elle savait qu’elle l’attendait mais comme elle se regardait vivre, elle n’imaginait plus qu’elle allait mourir. Que fera-t-on quand elle ne sera plus là ? Eh bien on vivra dans un entre-deux, entre la vie qui coule et la mort qui court.