Un vieil homme marche dans l’allée du parc. Plus exactement il trottine. Ses vieilles articulations le font souffrir. Ses rotules craquent. Surtout les jours où il fait humide. Il s’avance jusqu’au banc où il vient s’assoir tous les jours. Le cinquième sur la droite de l’allée, depuis le marronnier qui fait angle. Dos au Nord, car on y profite pleinement des rayons obliques de chaleur même au cœur de l’hiver. Et l’été le soleil ne tape pas trop fort sous le feuillage épais. Il est toujours un peu essoufflé. Il compte : un deux, trois, quatre. Au cinquième marronnier, il reconnaît le banc où il s’assoit tous les jours. Il a tout son temps. En général il reste une heure assis sur ce banc. C’est un temps qu’il a décidé de s’accorder. Après tout personne ne l’attends. Il pose sa canne à l’horizontale sur les lattes. Le bois grince. Son dos voûté n’épouse pas parfaitement l’assise. Il fronce les sourcils, lève les yeux au ciel maugréant contre les nuages serrés. L’humidité pas très bon pour les rotules. Il manquerait plus qu’une crise de goutte l’empêche de sortir. Une bogue de marron tombe à ses pieds. Ensuite il ne pense plus. C’est pour cela qu’il vient s’assoir sur ce banc. Précisément. Pour faire le vide. Certains jours, lorsqu’il n’a pas oublié d’acheter le journal il le feuillette en vitesse. Ses yeux glissent plutôt qu’ils ne lisent. Il le replie toujours avec grand soin sur ses genoux, du plat de la main le lisse et le dépose près de sa canne. S’il n’a pas de journal il se contente juste de ne pas penser. La bogue de marron est brune et toute flétrie. Sur le bitume de l’allée, l’entrelacs des vélos. Une nourrice vêtue d’un foulard rouge, piqué de minuscules fleurs blanche, suit une poussette double. La toile est orange trop criard et un lange sali dépasse de la poche aménagée à cet effet à l’arrière. Deux enfants d’environ vingt quatre mois sont assoupis à l’avant. Des jumeaux. Un garçon et une fille. Ils ne ressemblent pas. Il ont la même taille, le même âge à une poignée de secondes près. Ils ne se ressembleront jamais. C’est une fille et un garçon. Tous deux assoupis. Un ballon traverse la chaussée poursuivi par un adolescent rouge et en sueur. L’herbe n’est presque plus visible aux abords immédiats de la ligne grise bordé d’arbres. La faute aux bogues et feuilles mortes des marronniers. Ne reste que quelques touffes de gazon jaunissant pour éviter le gris du ciel de rejoindre le gris anthracite. Une ligne d’horizon en quelque sorte. Jaune. La bogue qui vient de tomber est d’un beau vert frais. Elle s’est fendue en quatre pelures qui laissent luire un marron brun brillant au sommet blanc. Mat et duveteux. Un rayon de soleil s’aventure, timide sur le plancher de feuilles craquantes. Le vieil homme a vidé toute pensée. Il ne pense plus à rien. Lointain, un clocher carillonne douze fois. Il est midi murmure le vieil homme. Il cligne les paupières. Ragaillardi par son heure vide. Puis Il prend sa canne. Se lève péniblement et repart. Ses rotules craquent beaucoup. Demain on peut toujours espérer une éclaircie
Cette consigne d' »écriture du dehors » me fait beaucoup réfléchir. Je la perçois, dans ton texte, comme un écriture sur un fil, très précise, presque délicate. Cela donne une image très nette, isolée de ce vieil homme et du vide qui l’enveloppe. J’aime.
Merci Jean Luc ! Effectivement ces exercices du dedans au dehors permettent de mieux discerner les frontières et ce que l’on souhaite y mettre à lire de part et d’autre
Il se contente juste de ne pas penser : on voit parfaitement les choses. Le regard les lit, les lie et les délie. J’aime cette façon de passer des unes aux autres sur le fil de la bogue et dans la présence absence du vieil homme (qui regarde?)