Plusieurs textes. Peut-être long à lire. Peut-être chiant. Peut-être que "peut-être" est à bannir. En tous cas une prolifération. Preuve par neuf. Neuf le chiffre ou neuf différent de d'habitude ? Fabrication de timbres-poste. C'est du courrier que l'on rédige sur du timbre-poste. Et plus c'est petit plus ça devient grand, insondable. Donc on ne sonde pas trop non plus. On ne canule pas. On essaie en tous cas. Et l'ordre dans tout ça. Chronologique, anti ? Pas très important. On ne procrastine pas en se servant de l'ordre, en prenant l'ordre comme prétexte.
Distance
Prendre de la distance. Effectuer un mouvement de recul. Ne pas rester collé à l’évidence. Se détacher peu à peu de l’évidence, du cliché, d’une idée toute faite . Considérer l’ensemble. Les tenants et aboutissants. Posséder un peu de bon sens , le faire hurler si possible dans l’étreinte afin qu’il s’amollisse devienne plus coulant. Puis s’installer en périphérie, en marge, en orbite. Devenir spectateur sur les gradins. Trouver une bonne place si possible.
Qu’y a t’il donc à voir ainsi qui ne soit déjà vu mille fois et revu. Ce n’est sans doute pas ce qu’il y a à voir l’important. C’est le point de vue où on se situera pour voir. Chercher en premier lieu le point de vue. Tâtonner au besoin. Ne pas emprunter les sentiers battus. Se perdre en considérations puis lever le nez, se fier aux étoiles.
Estimer la distance. Respecter la distance. Apprécier la distance. L’appréhender. La craindre. Évaluer la distance. Se tenir à bonne distance. Maintenir une distance. Gommer, effacer la distance. Briser la glace. Affronter la distance. Ne pas tenir compte de la distance. Subir le choc de plein fouet. Se retrouver en état de choc. Se remettre du choc.
Recommencer à prendre de la distance, etc, etc
Tendre
Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau: Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille.
Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle.
Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit
- Un bien que l’on ne saurait supporter en l’état
- Un mal que l’on cherche à renommer
- Une énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux.
Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement.
Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l’on sent que l’on s’égare, si l’on tend vers l’abus, l’extrême.
Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l’effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l’adversité produirait autant d’ efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l’ignorance ou dans l’oubli.
Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés
Se lancer
Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous…
Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête.
Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf.
Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça.
Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.
L’abondance, la mesure
Tout ça pourrait rendre cinglé. Peut-être est-il déjà trop tard. Cette profusion d’idées qui ne cesse de se déverser comme l’eau d’une fontaine de jardin, une fontaine qui s’autopompe en circuit clos. Les nains de jardin tout autour restent silencieux. Un merle moqueur se moque. Prisonnier de l’abondance, vilain condamné à la servilité pire qu’obéir , serf misérable. Le malgré-soi revient à fond de train. La victime. Un peu de mesure mon petit vieux. Tout à fait le genre de victime qui établit méticuleux le compte des lunettes, de dents en or, de cheveux dans les camps. On compte et puis on balance sur le tas, des montagnes se créent ainsi. Des concrétions infinies. Le malgré-soi capot. Mais quel petit salaud. Petit doigt sur la couture du pyjama rayé. Non mais tu te rends compte, toi qui voulais résister. Preuve qu’on ne change pas si facilement sa nature. Que pour certain la nécessité d’un maître va se loger dans la profondeur la plus débile de l’être. Être ainsi dominé par sa propre abondance, ne pas savoir comment lui résister. Une soumission terrifiante, quand on y pense.
Que la mesure jaillisse de ce tas de boue, en fabrique un golem, préserve les enfants prisonniers du ghetto. Tomber à genoux. Implorer la géométrie. Allumer des cierges au Nombre d’Or. Se mettre à plat ventre devant la moindre représentation d’un fantasme de simple, d’austérité.
Puis une fois la bonne conscience refaite, repartir ventre à terre. Se vautrer dans l’abondance de nouveau. Se réveiller la nuit pour mieux encore la servir. Des fois qu’on aurait eut malheur de laisser passer une idée. Des fois que la culpabilité nous tenaillerait d’avoir laisser sans contrôle la main mise sur la profusion. Des fois qu’on toucherait enfin la flamme, qu’elle nous liquiderait nous consumant comme il faut. Carbonisation totale de l’éphémère, fauché en plein vol. Combustion impeccable, petit tas de cendres choyant au sol, vite balayé par les grands vents, la pluie, avalé aussitôt par les terres, la rigole qui zigzag entre les limaces, les salades. Digéré par l’oubli.
Chaque jour c’est ainsi que Sisyphe vit. Et ça ne lui viendrait pas à l’idée de laisser tomber son caillou, de dire ça suffit comme ça les conneries. De prendre sa serviette de bain, de se rendre à la plage, de piquer une tête puis d’aller s’allonger sur le sable, se rôtir la couenne au soleil. De prendre du bon temps.
Un sacré manque d’imagination finalement.
—La mesure viendra d’elle-même ou bien ne viendra pas.
C’est ce que rumine Sisyphe comme but ou comme raison. Sans doute est-ce la seule possibilité d’imagination une fois que toutes les autres auront été dans l’ivresse, la fièvre, épuisées.
—Brûler l’abondance , la mesure, par les deux bouts.
Voir du dehors quand on est mort
Ce que l’on peut voir du dehors, depuis la mort est apaisant. Il ne sert strictement à rien de s’énerver. Il n’y a plus la moindre raison de s’énerver, ou d’avoir peur, ou de continuer à porter des œillères. Être vivant nécessite des œillères. L’illusion est à ce point totale du temps et de l’espace, que pour se diriger dans la vie il faut des œillères quand on est dans la vie. Quand on est mort plus d’espace-temps pour voir il suffit juste d’y penser, de vouloir voir. Et c’est instantané. La chose à voir nous est donnée aussitôt à voir. Comment voir une chose quand on est mort sans tous les outils, les sens qui nous permettaient, vivant , de la voir.
C’est simple il suffit de se détacher d’une ancienne vision subjective et donc fausse la plupart du temps. Encore que dans la mort les choses à voir ne soient pas plus justes que fausses. Ni agréables ou désagréables.
Les choses que l’on voit quand on est mort sont de la même neutralité que celui qui les voit. Et comment ne pourrait-on pas être neutre dans cet état là ? Comment pourrait on encore éprouver la plus petite préférence, le moindre engouement, de la déception, de l’aversion, ou on ne sait quoi encore qui ne cesse de casser les pieds des vivants.
Être mort et regarder les choses ainsi comme du dehors, mais c’est bien sûr une expression. Car mort la notion de dehors et de dedans disparaît elle-aussi.
La question est ensuite de savoir si le phénomène se produit de façon instantanée. Est-ce que l’on perd immédiatement toute subjectivité envers ce que l’on voit quand on pense à quelque chose. Est-ce que penser à quelque chose est encore possible durant un certain temps. Le temps de la décomposition du corps par exemple.
On pense tant qu’il a à bouffer pour les vers, ou les asticots, nos pensées transitent ainsi vers un monde d’invertébrés les nourrissent, comme nos pensées nourrissent la terre, équilibre les taux, le ph, fournit suffisamment d’acide ou d’alcalinité aux sols. Ce n’est pas si sot de songer que la chimie de nos pensées dans le phénomène de la décomposition rééquilibre l’argile, la glaise, la faune, la flore. Ce serait un minimum, la moindre des politesses.
Regarder n’est pas le bon mot. Contempler le monde du dehors. Peut-être que la décomposition mène à un certain “lâcher prise” authentique celui-là. Et une fois que tout nous sera parfaitement égal on pourra enfin contempler du dehors le monde.
Terminés les liens de filiation, les hiérarchies, la peur des fins de mois, l’avidité des soldes, la course à l’échalote. Enfin pas tout à fait. Ça continuera. Bien sur que tout ça continuera. Mais on pourra le voir sans y prendre part. En étant parfaitement détaché du pourquoi et du comment. Alors c’est certain on verra bien mieux tout ça du dehors que du dedans autrefois. Ce sera comme un ballet, un tableau, un film d’auteur, un spectacle incessant. Et qui durera le temps nécessaire, ou suffisant satisfaisant ce désir de voir. Car au bout d’un moment plus ou moins long quand le vent du désert soulèvera la poussière de nos os, nous n’aurons peut-être plus besoin de rien, pas même de voir. Il y aura une fête dans le dehors à ce moment là chez les vivants. Les oiseaux s’ébroueront dans les mares les étangs chanteront. Ce sera le signal. Le vent pourra nous soulever très haut dans le ciel, peut-être que durant un moment on sera oiseau. Peut-être que tout finira ainsi en trille, en spirale, en volutes. On verra encore une toute dernière fois la terre et les habitants de la terre, puis les champs rapetisseront comme des mouchoirs, un patchwork irlandais. On sortira de la stratosphère, on continuera ainsi à s’élever, puis à sortir du système solaire, de la galaxie, de la voie Lactée, on naviguera ainsi jusqu’aux confins de l’univers, puis on en sortira aussi définitivement. On ne verra plus rien mais on verra ça très bien, parfaitement, comme un nez au milieu d’une figure. Et ce sera fini vraiment une bonne fois pour toutes.
Faire des étincelles
Ce que l’on comprend seul d’un événement, d’un texte, d’une parole dite. Ce que l’on fabrique seul de tout ça. Quitte à être totalement à côté de la signification qu’attribue la collectivité. Tout chemine de la naïveté première, par la bêtise-soi-disant- puis par le malaise, la culpabilité, le jugement, l’enfermement, la libération et la rédemption qui est le retour chez soi, le retour à sa propre naïveté qui vaut bien toutes les sciences entr’aperçues dans ce périple. Faire d’une tare, d’un égarement, d’une solitude, une force plutôt que tout ces harassements, ces accablements, qui nous rongent sans relâche. Parce qu’on aurait commis comme le crime de s’inventer un sens personnel à la vie qu’on mène, qu’on sent, aux événements qui ne cessent de se déployer, et d’ailleurs dont personne ne sait le pourquoi du comment mais s’impose l’air d’avoir l’air de savoir, tout ça pour être à l’heure grégaire, à la mode ou je ne sais quoi.
—Mais non vous ne pouvez, vous n’avez pas le droit, vous vous égarez ! Tenez allez donc au coin, prenez ce bonnet d’âne, et mon pied au cul, et ma main sur la gueule, en passant.
Comme cela parait naturel désormais d’ânonner , en raison de l’habitude prise tôt, enfoncée de grès ou de force dans le ciboulot.
Je comprends mon attrait furieux pour les silex, leur cassure nette, leur avantage tranchant. Je suis du silex comme on est des villes, de la campagne.
L’obsession de faire du feu en frappant l’un contre l’autre deux silex m’est venue tôt. J’y ai passé comme on passe des rames de papier au déchiqueteur, beaucoup de temps, toute une enfance. Jamais je n’ai obtenu autre chose que des étincelles. Il ne m’est pas venue l’idée de l’étoupe, du foin, de la brindille, du duvet comme combustible. C’est que le feu en lui-même, une fois pris- cette idée majeure partagée par un si grand nombre, ne m’intéressait pas. C’était son origine, la naissance du feu qui me fascinait bien plus que de m’y réchauffer de m’en rassurer ou d’en être éclairé.
La grosse boite d’allumettes sur le plan de travail de la cuisine, une facilité détestable. Frotter une allumette contre la partie rugueuse de l’emballage, faire un tel geste de manière machinale, en pensant aux fins de mois, aux commissions, au linge, aux semis, à l’injustice chronique des quolibets, des critiques, des moqueries, voilà dans quel état ou lieu de l’esprit résidait ma mère une grande partie du temps. Frotter une allumette sans y penser pour allumer le feu sous le faitout, la poêle, l’introduire dans la gueule noire d’un four pour rôtir le poulet, réchauffer ou dorer le gratin de nouilles, se jeter dans cette facilité sans y penser, m’expliqua en grande partie je crois ce vers quoi mène une énorme partie de nos apprentissages. Faire des choses sans y penser, en pensant à autre chose, ne jamais être là mais logé dans l’ailleurs, la rêverie furieuse des lendemains qui chantent.
Battre le briquet, expression attrapé dans un conte de fée, Perrault ou Grimm, non Andersen plutôt : Le petit soldat de plomb. Ou peut-être Riquet à la houppe, je reviens donc à Perrault. Mais peu importe le lieu, l’origine, la référence. Battre le briquet, pour dire allumer la flamme d’un briquet. Cela incite immédiatement à penser la peine qu’il faut infliger à un objet quelconque pour qu’il produise l’étincelle puis la flamme. Toute l’éducation que nous avons subit ne tient-elle pas dans cette expression désuète.
Il fait noir, on n’y voit goutte, mais si l’on bat le briquet l’obscurité, l’ignorance reculeront. Ceci expliquant cela il ne fut pas rare que je choisisse l’obscurité en y pénétrant les mains vides, sans silex, sans allumette, sans briquet.
Je crois que je voulais comprendre cette obscurité, sa nature, sa raison d’être. Me faire ma propre idée de cette obscurité.
Évidemment ainsi en apparence je n’arrive nulle part pour la plupart des gens. Ils ne peuvent se faire une idée de nulle part, désirant plus que tout des lieux balisés, avec des torches de préférence, de grands feux, des feux rouges, des feux de stationnement, des feux de position, des panneaux de signalisation, indiquant le meilleur sens de circulation possible pour ne pas s’égarer. J’aime le soir quand le soleil frappe ou bat les surfaces vitrées des immeubles de la ville. Quand des étincelles surgissent des grandes tours au delà de Neuilly, son pont, du coté de Courbevoie ou Puteaux. Dans ce quartier neuf qu’on nomme la Défense.
Il y a là une sorte de rétribution du minéral, du silex, une intention qui ressurgit du fond des âges. La géométrie, la froideur, les angles aigus, tranchant, les étincelles aux surfaces vitrées beaucoup plus larges, un meilleur accueil à l’étincelle, peut-être une glorification de celle-ci bien plus que partout ailleurs dans la ville de l’autre coté du pont qui enjambe la Seine.
Taper un silex contre un autre jusqu’à ce que l’odeur qui s’en dégage vous prenne le nez, vous enivre, nous avons ce pouvoir depuis le fond des âges. Est-ce vraiment pour nous prémunir contre l’obscurité, pour seulement ça et cuire des aliments et nous chauffer. Je crois que c’est bien plus et en même temps si peu. Peut-être qu’une grande partie de ce que nous nommons poésie provient que de ça. Taper un silex contre un autre, provoquer des chocs dans la minéralité, peut-être du son, pourquoi pas une musique si on prend la précaution d’observer le rythme qui nous conduit. De temps à autre la chair en pâtit, le tranchant de la pierre tranche la chair, le sang jaillit. Il faut peut-être perdre beaucoup de sang ainsi pour créer la moindre étincelle en tapant l’un contre l’autre deux silex. C’est un apprentissage aussi.
J’ai lu ce texte comme un carnet de la tête qui cherche son activité du dehors en tours et détours jusqu’à l’os. Merci Patrick.