Elle respire à peine. Apnée qu’elle contrôle d’on ne sait quelle partie du corps. S’il s’agit d’interdire toute émotion trop vive de la submerger. Les efforts qu’elle fait pour lisser la barre à son front, ne rien laisser paraître du stress qui la dévore. L’œil s’inquiète et roule vers les autres, sans les regarder directement, mais fugace, par en-dessous, jauge la concurrence. Elle-même se sent dévisagée. Des regards dans son dos la contournent, des regards pointillés ou insistants, qui sondent, évaluent, statuent, critiques dards d’insectes qui la pénètrent et diffusent leur venin, accroissent son angoisse. Debout, elle passe d’un pied sur l’autre, mais le mouvement deviné est interne, oscille entre l’estomac et le cœur. Le mouvement est percussion contre ses parois, sa peau invisible dans son survêtement noir, son collant invisible dessous et seulement l’ouverture devant, par où l’on voit le justaucorps, par où les battements irréguliers, par où le frissonnement instable, la chair de poule qui n’est pas de froid. Mais son ventre triche et lui remonte à la bouche. Ses lèvres se pincent pour éviter à l’air d’entrer et sortir. Exclure qu’il la contamine. Moins que les muscles, l’intérieur tout entier en tension, les organes figés dans leur eaux, leurs tissus, cette sclérose quand les membres s’efforcent de se délier, de se laisser aller à leur souplesse naturelle, relâchés. Elle attend, fébrile, l’entrée en scène, se demande quels seront les exercices imposés, combien ils seront pour la juger. Est-ce que les autres seront meilleurs qu’elle ? Est-ce qu’elle a ses chances ? Ce passage de haie du concours la tord sans la briser, quelque chose se retient encore. Mais cette légère morsure lui mange la gorge, ce pincement continu à ses tempes. Pour tromper le monde, se donner une contenance, elle fait craquer ses articulations, sa façon sonore d’habiter l’espace, de se sentir pleine de cette atmosphère qu’elle déplace, viciée de l’anxiété et lourde de ses déserts. Elle se cambre à l’extrême, son dos arqué, ployé, elle envisage le plafond comme une récompense, un refuge possible.
Et voilà que je n’ai moi non plus pas d’autres mots : très fort… C’est de l’admiration — et sans doute un peu dimanche, allez, encore un effort : j’aime qu’au corps en tension du sujet répondent les tissus musculaires de ta phrase
Merci Christophe, mais les derniers mots que tu écris me dissent que je pourrai travailler davantage dans cette direction, « pousser la langue » 😉
Je me suis mal fait comprendre. Au contraire je voulais saluer l’adéquation entre ton texte et son sujet
Si si, mais je peux sans doute aller plus loin en fait dans ce travail là…
On vit le stress de la gymnaste, j’aime les mots employés « sa façon sonore d’habiter l’espace », « Moins que les muscles, l’intérieur tout entier en tension, les organes figés dans leur eaux, leurs tissus, cette sclérose quand les membres s’efforcent de se délier, de se laisser aller à leur souplesse naturelle, relâchés ». Merci, Perle.
Merci Anne (une danseuse en fait, mais pour l’angoisse du concours, c’est la même)
J’aime cette description minutieuse des parties qu’habitent le corps comme autant de gros plans portés sur une somme de détails. De ces signes que transpire l’angoisse, très finement racontée. Beau texte.
Merci pour ce retour
Portrait tout en tension. Effet pleinement réussi et ressenti, très communicatif, une apnée qui nous gagne nous aussi, lecteurs. Merci !
Merci à vous !
« Cette légère morsure lui mange la gorge … ». La tension portée à son comble, si justes mots, pour dire l’avant du saut. ( elle disait : j’ai la bouche en carton avant d’entrer en scène. Et ça se voyait parfois dans les lumières)
» j’ai la bouche en carton avant d’entrer en scène » C’est beau cette expression, c’est de qui ?
Et merci aussi.