Le vieux petit serpent
Il toussait un peu son amertume dans son mouchoir ; cette amertume qui le consumait de l’intérieur. La peau de son cou pendait, comme celle d’un poulet. On devinait le petit garçon qu’il avait été, émerveillé d’un monde qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé. Avant, c’était autre chose, avant le monde avait un sens. Le monde d’aujourd’hui, les jeunes d’aujourd’hui, il ne les comprenait pas, il ne les aimait pas. Toutes ces races mélangées, toutes ces étrangetés, il n’en voulait pas. Avant son monde était fait de ses semblables. L’acide de cette amertume, de ces regrets, lui dévoraient les chairs, lui empoisonnait aussi le sang. Il était devenu un vieux petit serpent qui se mordait la queue par réflexe, tournant en rond toute la journée, incapable d’avancer dans ce monde effrayant.
Le jeune homme brun
Il avait la peau mate et les cheveux noirs, il était mince. On imaginait en le voyant qu’il avait des origines méditerranéennes. Il souriait, il essayait de faire bonne impression, la jeune femme qui était présente devait être sa patronne. Il avait l’âge où l’on peut dévorer le monde, et il ramassait des crottes de chien toute la journée.
Un sourire pincé
Elle était habillée d’un jean noir moulant, et en haut d’une chemise à carreaux, verte, une chemise de bûcheron. Les pans de sa chemise étaient rentrés sur son jean, uniquement sur le devant, comme la mode du moment l’imposait. Elle avait les cheveux lisses et noirs, une teinture certainement. Elle ressemblait à un personnage de série télévisée. Quand elle parlait, elle donnait l’impression de retenir chaque mot et pour faire un effet, elle ne le lâchait qu’avec un petit sourire pincé. Les mots ordinaires devenaient des bonbons sucrés, inodores et incolores.
cette troisième-là a trop entendu les 13h — le serpent est plus émouvant