Ce que c’est que d’écouter Bashung
J., la jambalaya c’est son truc, elle en parle, elle en parle alors un jour faut y aller. Ça vient d’un voyage à New Orleans, elle dit. Cette femme qui parlait français avec un accent fallait voir. Je sais pas si y’en a encore qui parlent comme ça, le français ça doit se perdre dans ces régions. Minuit dans la cuisine y’a un robinet qui couine mais au déjeuner le lendemain, ce régal. Et ce voyage dans le bus l’animateur, entre deux Bashung il nous racontait des histoires d’indiens, de trappeurs à te faire froid dans le dos, il les avait entendues ou il les inventait au fur et à mesure, je crois plutôt ça. Bashung à cette époque c’était Gaby, pas d’hier, dans le retro j’ai la raie douteuse. Nouvelle Orléans, ce voyage avec C. c’était presque mieux que Venise, alors la jambalaya, c’est pas que j’aime tant ça mais c’est le souvenir de rêve et puis le mot, c’est beau jambalaya New Orleans, t’es bien plus belle que Mauricette il lui chantait en riant. Ce que vous mangez là, c’est tout ça, les rigolades avec le bras de C. autour de moi, les trappeurs qui se faisaient manger tout cru par les ours, Bijou bijou moi je mets les bouts, les indiens et cowboys à Paname, l’arrivée à Bâton Rouge, le Mississipi sous un déluge, le bateau à roue à aube. C. il est mort pas si longtemps après ce voyage mais c’était si bien et il reste la jamabalaya. Oui, à quoi ça sert la frite si t’as pas les moules ?
Ce que c’est que de traîner ses guêtres à la Tourette
Bien sûr la semaine avant il y avait eu l’insupportable mais elle l’avait décidé il y a longtemps alors elle y est allée. Un train, la copine à la gare, le déjeuner sympa, un autre train. Des murs de béton gris, Le Corbusier n’y est pas allé avec le dos de la truelle, elle s’est dit, deux jours là-dedans, … C’est un couvent un lieu replié sur lui-même, enclos de murs dont on sent bien que le hasard n’a pas été une option quand on les a construits, qu’ils ne sont pas là pour faire le mur. Un enclos du monde, tu es là et elle s’y est tout de suite sentie en lien avec l’ailleurs, comme dans un théâtre tu te sens ici et partout, comme dans un bon livre tu te sens ici et partout, elle ne sait pas comment dire ça, le soir, le repas dans le réfectoire dessiné par Iannis Xenakis, les jeunes architectes italiens lui ont dit que les pans de verre ondulatoires rythment une partition, que avant d’attaquer le lieu et le dessin, Le Corbusier avait fait un tour au Thoronet, la nuit dans sa cellule monacale tout en longueur, nombre d’or certes mais béton encore, le débouché sur les arbres, cadrage photographique l’a émue. Comme si l’insupportable l’avait rejointe ici, avait réussi à passer le mur dans un sens et s’était fait piéger, retenu avec elle dans cette petite cellule aux dimensions réfléchies et que la perte devenait plus supportable parce que partagée. Elle avait apporté l’enceinte qui ne la quitte pas en voyage, se serait passé des chants grégoriens, du JS Bach, mais aucune envie de ça, elle s’est demandée ce que lui aurait écouté.
Ce que c’est que de chanter Amel Bent
La grande maison de toutes les fêtes, éparpillées, elles l’ont vendue, Là c’est dans une jolie banlieue, une maison au bout d’une impasse, M. est venue de L. c’est son anniversaire, la fête c’est pour elle, I. est venue de R. P. de C., A. et I. de P., les autres va savoir, beaucoup de médecins, elles se sont toutes connues pendant leurs études. Trois, quatre générations, comment on compte une génération, question d’âge ou de parenté ? L’enfant de la copine de ma mère a 28 ans et moi j’en ai 18. Même génération ? Pas sûr. Noir blanc danois turc métis américain français tous grandi et vécu ici, cowboys à Paname mais la faute à personne. Allez on va chanter une chanson pour M.. On répète et après on la fera pour de bon. A peine quelques mots et la répétition est finie, on passe directement au réel : tout le monde connait Ma philosophie de Amel Bent et chante à tue tête Je suis métisse mais pas martyre J’avance le cœur léger Mais toujours le poing levé. M. raconte son émotion un soir sur un quai de Seine, il y a des années, une foule s’était mise à chanter Emmenez moi au bout de la terre, musique et paroles au début un peu hésitantes mais rapidement transformées en un chœur superbe, ses yeux s’étaient mouillés. Puissance de la chanson populaire, pour le meilleur, espérons jamais pour le pire. Il parait que les Italiens chantaient des airs de Verdi dans la rue.
Très agréable à lire, fluide, dense, vif. Il y a une belle oralité rythmée, disons : gouleyante, comme un… vendanges tardives.