Derrière les silences, son corps, les silences et les hautes herbes, les mousses rases. La Masse allongée, est ronde et rose. Elle n’est pas uniforme. Au long des versants escarpés, sur la chair élastique, je trottine. Elle gît parmi les hautes herbes, sous la lumière, dans la trouée, les excroissances rosées, rattachées au troncs, exposées aux rayons du soleil, déposées parmi les rugosités des lichens. On dit, c’est la clairière. La lisière est ouverte. La clairière est fermée. La lumière tombe et chauffe le sol. Les anémones des bois projettent en retour des éclats d’argent. Je parcours zones tissées et colorées, les traverse avec précaution. Je m’efforce de ne pas m’égarer entre les mailles. Certains chutent et atterrissent sur une membrane à la trame plus serrée. C’est là monde plein d’odeurs tantôt légères, tantôt musquées, humide toujours et chaud. Aux extrémités, sont de longues lianes lisses et noires qui tombent en cascade jusqu’au sol. Faites d’une matière mystérieuse et familière, elles forment, avec certain appendice bombé, dont le volume est à peine perceptible par nos sens si coutumiers du minuscule, le dernier lien qui l’unit à nos corps recouverts de chitine. Elle a été des nôtres, dit-on, autrefois. La géante. La Masse. Derrière les silences, la Masse étendue imprévisible, se gonfle et se dégonfle. Une large palme s’agite pour chasser quelque ami volant et bourdonnant. Des orifices s’ouvrent sur des lacs d’eau et de sel, régulièrement balayés par de courtes soies vibrantes comme des antennes, signaux factices, leurres meurtriers. La trace noire des cadavres noyés apparaît parfois aux commissures, pièges humides et tendres où deux surfaces occasionnellement s’embrassent et se referment.
Il est des jours où la Masse est absente. Derrière les silences, derrière son absence, les traces, l’odeur, les restes de présence. Je trottine et perçois les contours de la Masse, l’herbe tassée les premiers jours, les résidus, fibres et peaux dégradées. L’air est chaud, derrière les silences, il ondule à proximité de la Masse, puis une vibration, un bourdonnement, un insecte invisible. Elle a été des nôtres autrefois. Derrière les silences le brouillard sonore de voix mêlées, bruissement d’ailes, frottement des cigales, goutte d’eau, déplacement de la terre au passage du lombric. Dans le brouillard, la Masse agite sa palme et l’air vibre. La Masse est reparue. La Masse, à son tour : fredonne.
J’aime l’idée du corps comme massif ou terrain (et me demande — mais ne préfère pas savoir quel insecte (?) le perçoit ainsi)
Comme souvent, je ne me rends compte qu’a posteriori du fait qu’on peut interpréter bien au-delà de ce qui est écrit, aussi je ne dévoilerai rien de la platitude de l’idée source !