Derrière les silences, mon corps souffre plus qu’il ne l’aurait cru et pas du tout de ce qu’il avait imaginé.Je croyais que ce qui me manquerait le plus c’était cette confiance d’âme à âme que j’entretenais avec eux pour lesquels je disais pouvoir tout donner, la vie même, pour les sauver. Ce rôle de pasteur, je continue à le pratiquer auprès des petites âmes de mon village, dans le bruit des métiers à tisser ou dans les prés à garder vaches et moutons avec les petits enfants. Je le fais clandestinement en me méfiant des têtes brulées qui dénoncent si facilement ce qu’ils ne comprennent pas. Je me cache, moi qui voudrais parler au grand jour dans la lumière. Et cette honte me fait souffrir. Je souffre dans ma chair d’imaginer ce que deviendront ces enfants et ces sans-culottes dans ce monde sans Dieu. Je souffre de voir se déchainer librement de bas instincts de lucre et de vengeance. Sauront-ils seulement garder la réserve et la mesure dans lesquels ils me demandaient de les maintenir ? J’ai vu sortir les écus pour acquérir ces biens appelés biens nationaux dont j’avais la garde et qu’ils se sont partagés aux enchères. Je souffre de leur avidité qui se déchaine et va les perdre. Plus aucune bienveillance, plus de pardon, juste ce désir de possession. Mais ce dont mon corps souffre plus encore, c’est de ne plus avoir le calme que je trouvais dans l’obscurité de ma petite église et la lecture des textes. C’est un manque cruel que l’absence de ces mots dans lesquels je trouvais l’espoir et le repos. Je marche sans fin dans les grands bois pour y retrouver un peu de cette sérénité. Les forêts de haute futaie m’apaisent et bercent mon âme. J’y retrouve l’espérance en des jours meilleurs. Dans les hétraies de ce pays surtout, dont j’aime la pure clarté qui passe entre les troncs. C’est peut-être pour elles que je n’ai pas voulu quitter cette terre de France. Je n’en avais pas les moyens ni les soutiens certes, mais quelque chose de plus profond me répugnait comme quand on sent qu’il faut rester pour veiller une personne malade. Peut-être, sait-on jamais, trouvera-t-on le geste à faire, la parole à prononcer qui éloigneront le mal. C’est une douleur étrange que cette souffrance qui m’étreint pour ceux qui sont partis et qu’ils nomment immigrés. J’imagine l’ arrachement que cela implique, je le ressens comme s’il fallait me séparer d’un bras ou d’une jambe, s’arracher un peu de chair, se condamner au martyr. Je perds confiance certains jours. Plus rien ne semble avoir de sens. Je ne ressens alors plus ni colère, ni révolte, ni désir autre que de me laisser aller au désespoir. Ce sont les pires moments que ceux où je ressens l’immense inutilité de cette vie sur terre misérable. La fatigue me vient, immense et aveuglante. Je connaissais autrefois aussi ces moments; j’ai peur maintenant qu’il ne me reste pas assez de temps pour les surmonter. Si par malheur, je me laissais aller au pire ! Le temps, oui le temps qu’il me reste. Quatre ans déjà ont passé depuis qu’on m’a remplacé. Pour combien de temps encore ? Trois ans bientôt qu’ils ont exécuté le roi ! De quels espoirs me suis-je aveuglé au début ? J’avais confiance et je croyais être utile. Cet ordre nouveau, j’y croyais, cette aspiration à l’égalité aussi. J’ai aimé voir partager, j’ai aimé même qu’on me dépouille de ses possessions que je n’avais qu’en garde, j’ai aimé ce dénuement qui me laissait plus léger. Était-ce arrogance ou simple attachement à mes proches que je ne voulais pas quitter, de la faiblesse ? Je souffre terriblement de ces erreurs, de mon manque de discernement. Je m’en fais reproche chaque jour. C’est dans la prière que j’aurais dû trouver plus de clairvoyance. Désormais l’avenir me fait peur, autant que de rester dans le vide et vague de mon inutilité, autant d’être rappelé à mon ministère dans un monde détruit. Que trouverai-je après tant d’années ? Des âmes errantes et perdues, bouffies d’arrogance, ayant renoncé à tout amour du prochain, soupçonneuses et avides ? Mon corps et mon esprit seront trop faibles pour le supporter à déjà plus de soixante ans. Et où reposerai-je si la mort me surprend ? Je n’ose y penser. Il me faudrait avoir la force de tirer louange d’avoir été soumis à une si dure époque et cela non plus je ne le peux pas. Je me fais trop de reproches pour y parvenir. Il me faudrait un guide, un soutien, un pair pour déposer ma peine et il n’y a plus rien que le silence, ou plutôt le hurlement incessant de mes angoisses. Je ne dors plus, trop de choses m’habitent. J’ai honte de m’être cru plus malin que le Malin. j’ai pactisé avec le diable, je suis perdu. Mon corps croyait aspirer à la solitude, au contraire elle me rend fou. Autour de moi ils défrichent, ils enlèvent à la terre arbustes, buissons et épines, font fuir les oiseaux et les bêtes. Je sais, ils veulent semer, faire rendre à la terre le prix de leur travail. Ils s’épuisent, se chicanent et se volent, tout cela pour manger et amasser. Ils ne connaissent plus le repos, plus jamais ils ne prennent soin de leur âme, plus jamais ils ne s’arrêtent pour entendre la parole. Cette terre nue où ne poussent même plus les fougères, où ils tracent péniblement des sillons m’est désolation et souffrance. Ils piègent les oiseaux et traquent les bêtes sauvages, ils fouillent la terre pour en extraire de nouvelles richesses, ils détournent les ruisseaux pour en prendre l’eau, ils font la guerre, ils tuent et déchainent la haine.Il ne sera pas possible de revenir en arrière.
Merci Danièle de nous faire découvrir ce personnage qu’on a envie de connaître davantage.
Merci Elise de t’intéresser à l’abbé Truchard qui n’a rien d’un personnage banal et dont j’ai reconstitué le parcours au cours de mes recherches sur l’histoire de Lissieu. Voilà ce que j’en sais :
https://www.lesmotsjustes.org/post/lissieu-et-son-cur%C3%A9-sous-la-r%C3%A9volution-puis-le-concordat
Danielle en lisant me suis dit qu’il avait surement existé… ai cherché sur Google et le premier Antoine Truchard que j’au trouvé est notre contemporain, n’est pas prêtre, mais un ancien ingénieur du son qui s’est reconverti et apprend tout seul à devenir agriculteur (ont au moins en commun l’amour des plantes et des arbres)
Vous le faites vraiment revivre l’abbé.
Merci Brigitte, Non seulement il a existé mais j ai reçu des nouvelles d une descendante d un de ses neveux qui m a dit avoir rencontré ses cousins américains.
Peut-être ton antoine truchard appartient -il à la même souche.