Derrière les silences, mon corps aplati de chagrin. Ce sont des choses qu’on ne dit pas — c’est la fin. L’insensé, l’inéluctable, une condamnation impossible à entendre. Soudainement je comprends et mes pensées s’effondrent sur elles-mêmes. Derrière les silences mon corps se repaît de larmes, abandonne, au milieu d’un lit défait, se retourne, cherche une présence dans la nuit, écoute le bruit du temps. Une dent qui meurt, du bout de la langue j’excite la douleur. Amère, noircie. Mes jambes tressautent, des impatiences. Il faut venir. Il faut s’arracher à l’été, aux filles petites, et faire le voyage. Un avion, aucun souvenir de qui m’aura accompagnée à l’aéroport. Mais je n’oublie pas ton corps réduit ton visage défait tes joues creuses ta bouche ouverte un drap sans couleur, c’est fini. Je ne sais plus marcher, je fraye entre les corps immobiles. Tout est lenteur, noir, chaleur. Mes yeux sont absorbés par le sol et ils ne voient rien. Mes jambes rompues à saisir la distance, t’accompagner. L’impensable. Mon corps tremble — tombe prêterai à sourire. Mon corps ne sait pas vraiment, il plie sous une déferlante de peur. Elle s’épaissit entre les pierres, s’attache aux plis de mes paupières, aux commissures des lèvres, derrière les genoux. Elle enfle sous le soleil. Elle s’accroche aux pins parasols, son odeur acide m’écœure. Elle porte une promesse de bataille, il faut la faire taire. Le souvenir de ta langue figée, désormais murée, pas dessous mais derrière la pierre. Derrière dévalent les roches et le vent caresse la mer. Le jour cède et j’ai envie de fuir. Mon corps chaviré au milieu d’un lit défait je cherche un souvenir, ma main glissée entre les cuisses, dans le réconfort de la peau à peau. J’effleure la nuit, ma main s’engourdit, des fourmis. Ma main, un membre fantôme. Au bout du bras, c’est ta main qui déborde de tendresse. Ta main une effraction à ma solitude. Des images qui reviennent. La courbe de la plage sous la chaleur, ta silhouette ronde qui suit le rivage, la distance qui transforme la mère en enfant. La peau réchauffée de soleil est l’endroit où le passé et le présent se fondent. Ton visage soudainement proche, un sourire, le menton que tu soulèves pour indiquer que ce que tu vas nous dire là c’est important, définitif. Inventer des phrases, retrouver le grain de ta voix, trois comptines qui réveillent l’enfance, la lune est ronde, elle a deux yeux un nez une bouche, répète après moi, ta voix venue de si loin. Mon œil observe le plafond, fixe une lézarde, j’oublie la fougue, les nuits sauvages. Mon corps au milieu d’un lit défait s’estompe, rétrécit. Mon corps ment, il se cache, se recroqueville sous le drap. Feint le repos, feint l’absence. Derrière les silences elle est là, elle m’attend.
C’est beau. Merci Caroline Diaz.