Mon esprit loque. Chaos confusion de la matière. Cette nuit tout a été foutu en l’air. Intériorité qui grogne, des coups de marteau contre ma colonne vertébrale contre ma tête tout grince, et il faut s’ouvrir le crane. En sortir mes pensées obsédantes. Mes trous noirs. Mes foules terrorisées. Mes incendies. Et mon corps flambe. Et ma tête grince. Il pleut des pierres à en perdre la raison au royaume de mes angoisses. Et en moi, dans la terre rêche de mes entrailles, abondance de fossiles de souvenirs restes pourrissants de temps déchus, veillent des cités englouties. Des menaces dorment. Elles rêvent. Pestent. J’ai les yeux embués d’associations inexplicables. Pensées qui chavirent m’échappent s’évanouissent ne se résument plus qu’à quelques mots, s’évaporent. Et des reproches. Lourdeur de la tête qui cogite. Il faut se redresser. La réalité, on se la prendra en pleine gueule. Nos mains en seront coupées. Nos pieds en seront broyés. Nos bras et nos jambes en seront cloués. On s’y noiera comme dans un verre de pisse. Lamentables lamentations de ma tête malade. Frustrations. Colère. Abandons. Rage. Paroles aiguisées qui te traversent, c’est comme des flèches, et il faudrait en faire une force, rebondir, voler haut, la motivation des imbéciles qui te suce qui te vide. Matinée fracturée — ou peut-être a-t-on passé midi. Tes murs sont pleins de fissures, de sourires lugubres. Te voilà, les yeux enfin ouverts, écarquillés, rongé de projets d’avenir. Je serai je serai je serai. Ton corps est maintenant désarticulé. Je serai je serai je serai. Te voilà parcourant le monde armé de tes dernières dents. Tu l’envahis. Fais trembler la terre. La mer est brisée par tes prises de tête. Tu es plein d’ouragans. Ta mâchoire et tes narines sont pleines de villes surpeuplées. Ton dos est plein de crises structurelles. Tu as les poches pleines de démunis qui piaillent. Yeux embués. Frustrations encore. Colère toujours. Toujours les abandons, la rage. Et toujours les mêmes paroles, on ne s’y fait pas, reproches qui tournent t’obsèdent, et la langue s’épuise en explications, perd des forces à se justifier, et toujours la même honte. Le réveil est toujours aussi douloureux. La tête toujours aussi lourde. Alors l’angoisse, qui me suivait dans mes rêves, mes histoires à dormir debout, me traquait, se cachait dans mes cheveux, se révéla à moi, vive, sanguinolente, douloureuse, et moi, je célébrais le jour glorieux. Douleur au bras. Pour avoir dormi de travers. Douleur qui m’écrase le bras l’épaule le dos. Tout tordu chez moi la nuit. Bras sous l’oreille, soutenant la tête lourde, lourde. Moi, sur le ventre dormant, ventre portant tout le corps, tout le poids du monde. Corps tordu. Corps hideux. Lourd. De tant de cataclysmes. De destructions en séries. De morts en pagailles. Corps encombrant. Corps tant de fois torpillé. Corps qu’on cache. Brindille desséchée. Et la matinée est fracturée peut-être a-t-on passé midi. Que seras-tu, satané fils de pute ? capitaine de navire ? avocat en droit administratif ? auteur à succès ? mendiant se trainant sur les trottoir pour un peu de pitié ? Tu ne sais rien faire de tes dix doigts. Ta vie est un fiasco. Tu mènes une existence minable. Et tu veux une place quelque part ? Qu’on te donne les clefs de quoi que ce soit ? Regarde-toi, à plus de trente ans, tu dépends de ta mère. Tu voudrais diriger le monde, encore faut-il que tu saches faire tes lacets. Tu finiras seul. Personne ne veut de toi. Tu fais même honte à ton chat. Tétanisé, je me force à me lever. Je traine mon ombre. Me force à sortir de chez moi. Et le chemin est long si long, l’avenir si incertain. Se forcer à passer la porte. A baisser la poignée. La pousser. Refermer derrière soi. Se forcer à sortir. Marcher. Marcher encore. Et encore. Et encore. Traverser le pont. Se trainer. Vers la gare. Y penser contribue déjà à l’épuisement un épuisement qui m’écrase me prive de toute volonté d’aller plus loin que la porte de ma chambre, je m’y accroche. Mes jambes sont lourdes d’inquiétudes. Mes bras sont lourds de renoncements. Sur mon front il y a de la honte. Tu pourrais tu pourrais tu pourrais. Tant d’injonctions. Tant de mépris. Se tuer pour être un chouia convenable. Et supporter leurs regards moqueurs. Leurs paroles infectes. Leurs conseils. Leur étonnement. Leur bienveillance. Leurs mondanités. Leur agacement. Tous ces mots, ces airs concernés, ces interrogations, ces victoires qu’on vous jette à la gueule, qui s’agitent sous votre nez, et tout est si facile au royaume des biensatisfaits. Ils savent où aller, eux. Ils sont légers. Il faudrait avancer à leur rythme. La vie a toujours quelque chose à offrir. Et sot est celui qui ne se baisse pas pour ramasser les cadeaux que la terre lui offre, saisir les opportunités. Il faut toujours croire en soi. Et leurs regards sont si lourds. Et leurs sourires sont si lourds. Fractionnés. Comme cette matinée. Ou peut-être a-t-on passé midi. Et le chemin est si long on pourrait à tout moment clamser le ciel nous tomber sur la tête. Alors je me suis barricadé. J’ai dormi. Comme l’ancre d’une épave. Tu as voyagé sur toute la Terre tu as poussé tes pas très loin porté le malheur à ceux qui t’attendaient. Partout où tu passais on devenait fou. Tu leur as appris des choses qu’ils ne voulaient pas apprendre. Que dans le monde ils étaient seuls. Qu’ils finiront seuls. Que dans l’univers ils ne sont rien. Tu leur as révélé leur ridicule. Leur inutilité. Des hurlements se sont fait entendre. Ils t’ont supplié de leur foutre la paix. Ils chérissaient leurs illusions. Tes sombres présages broyaient leurs projets d’avenir. Tu es devenu indésirable. Leurs ongles sont tombés. Leurs dents sont tombées. Leurs cheveux. Ce n’était plus que des cadavres infects. Tu leur as révélé les gouffres de ton cœur moisi. Certains ont feint de rire. Ils gémissaient, risibles mauviettes, et toi, tu les tuais encore. Pourquoi ? pleuraient-ils, pourquoi s’acharner ? nous casser les os ? nous brûler encore ? Tout t’écœurait chez eux. Leur hypocrisie. Leurs sourires mielleux. Leur tolérance sans limites. Leur amour sans limites. Leur éducation. Leurs valeurs. Leurs idéaux. Tout volait en éclats. Ils étaient seuls, maintenant, perdus, insignifiants. Tu as parcouru tout l’univers pour délivrer ta pensée. Tu t’es enfoncé loin, infiniment. Tu as vu des villes brisées. Des hameaux humiliés. Des montagnes agonisantes. Des forêts en cendres. Des soleils vieillissants. Des espaces froids où la vie est impossible. La fin des temps. Tout a fini dans ma chambre. Douleur habituelle de mon dos. Toujours l’angoisse qui mord. Toujours mon manque de volonté. J’étire mes pensées qui tournent dans ma tête ça ne s’arrête pas, ne veut pas se calmer. Le mur est plein de fissures. De grimaces. Dehors le vent rouspète. C’est déjà le soir. Une journée de perdue. Gâchée par ma médiocrité. Mon incapacité à faire quoi que ce soit. Mener des projets à bout. Supporter les autres. Et je repense à toutes les paroles qui prédisaient ma débâcle. Tu ne sais rien faire ta vie est minable regarde les gens de ton âge. Je résistais vainement aux preuves de mon inutilité. Colères cataclysmiques. Ma voix est pleine d’explosions. Aujourd’hui, je ne suis plus qu’une loque pensante. Une loque qui essaie de penser qui essaie d’étirer ses pensées et tout ça se délite, ça s’évapore. Parfois, je veux y croire. Je me raconte des histoires. Je serai capitaine de navire, avocat en droit administratif, romancier à succès… Mais pourquoi se mentir ? Je suis une loque pensante dans un corps trop lourd à porter.
Une journée où il pleut des pierres à en perdre la raison. Je rencontre votre écriture. Dans ce texte une voix pleine d’explosions qui me touche. Merci
Merci à vous.
Texte très fort. Merci Jad.
et les fissures dans les murs me rappellent les murs de livres qui s’écroulent de ton revisite#04. Il y a (malheureusement ?) une grande homogénéité entre tes textes, Jad, qui gagnent encore à être lus les uns à la suite des autres — comme on lirait, peut-être, « Un homme qui dort » ?
N’abandonne pas